Délinquance et politique criminelle
Version originale en allemand
Le fait que la délinquance se caractérise par la violation pénale indique clairement qu’il n’y aurait pas de délinquance sans un code pénal (généralement national). Ce dernier a le monopole s’agissant de définir ce qui constitue la délinquance. Le lien entre le crime et la peine, traité à plusieurs reprises dans la littérature (Beccaria, Dostoïevski, etc.), souligne que la délinquance n’existe pas naturellement, mais qu’elle est déterminée par la loi et donc par la politique criminelle.
La criminologie traditionnelle, au contraire, se référait uniquement à l’acte criminel et l’isolait du contexte interactif de sa perception normative. Toutefois, le caractère intersubjectif des structures sociales impose, s’agissant de la reconstruction de la délinquance en tant que partie intégrante de la société, de prendre en compte l’interaction sociale. Car c’est dans l’interaction sociale que les actions se voient attribuer une certaine compréhension et que les mentalités relatives se constituent. Il ne s’agit pas de prendre position sur la responsabilité individuelle de l’auteur·trice pour ses actes telle que préconisée par le droit pénal, mais plutôt d’un dogme, qui ne peut pas être argumenté par les sciences sociales.
Au centre de cette réflexion se trouve la question des causes de la délinquance. À l’image d’une histoire infinie, des liens hétérogènes avec la criminalité sont explorés et superposés. Pour ce faire, on utilise les connaissances issues de la recherche génétique et cérébrale, de la psychiatrie, de la sociologie, de la psychologie, de l’économie, ainsi que des approches d’analyse discursive et d’anthropologie culturelle. Suivant la conclusion de Kunz et Singelnstein, toutes ces tentatives explicatives aboutissent à une image aux approches multiples et aux contours peu précis.
La question de savoir s’il existe des crimes « naturels » (génocide, crimes contre l’humanité) ubiquitaires et non codifiés est controversée : ici aussi, il faut s’attendre à ce qu’il y ait différentes conceptions culturellement spécifiques, qui se traduisent généralement par des normes criminelles liées à la culture. Considérant que le scandale ne devient scandale que par les réactions qu’il suscite, on peut affirmer qu’un acte sera considéré comme délictueux à condition d’être enregistré formellement et d’engager des poursuites pénales. Les actes non découverts ou non enregistrés ne seraient alors pas considérés comme relevant de la délinquance.
L’ampleur et la gravité de la délinquance connue et enregistrée par les autorités sont saisies dans les statistiques criminelles par diverses instances de justice pénale selon des critères essentiellement pénaux. De plus, on tente de déterminer la délinquance non détectée dans des études des chiffres noirs. De telles enquêtes démoscopiques s’intéressent à la perception de la délinquance par la population. Il est impossible de vérifier si les réponses reflètent avec authenticité la « véritable » charge de délinquance. Il faut toujours s’attendre à des distorsions dans la perception et dans les manières de répondre, de sorte que même les études sur les chiffres noirs ne reflètent guère la réalité du volume et du type de la délinquance.
L’idée qu’un grand nombre de délits graves soient commis par un petit nombre de multirécidivistes a inspiré des études à long terme sur la récidive (aussi pour la statistique des condamnations pénales de la Confédération). Elles s’efforcent surtout de déterminer quels types de sanctions sont le moins susceptibles d’entraîner des récidives et donc plus efficaces en termes de prévention. De telles études n’évaluent certes pas les récidives, mais les nouvelles condamnations. Celles-ci sont déterminées par des circonstances telles que l’intensité du contrôle et la visibilité sociale. Elles ne couvrent absolument pas les récidives non découvertes. Différentes circonstances, en dehors de la peine antérieure, influent sur la survenue ou l’absence de nouvelles condamnations. En cas de délinquance réitérée, il faut tenir compte des variations de durée de la période d’impunité et de la gravité du nouveau délit.
En plus de leur incrimination formelle, les actes délictueux sont stigmatisés socialement. Les effets d’un tel ostracisme peuvent dépasser la peine en tant que telle et perdurer au-delà. Plus la peine est élevée, plus la stigmatisation sociale est grande. Comme l’ostracisme ne se contrôle guère et qu’il dépasse généralement la sévérité des sanctions pénales imposée juridiquement, surtout en des périodes de punitivité accrue, la peine étatique est souvent alourdie par cet effet secondaire stigmatisant. Pour déterminer la sanction appropriée, il conviendrait donc de choisir celle qui semble tout juste équitable par rapport au crime commis mais qui impliquerait, de ce fait, un minimum de conséquences secondaires.
La délinquance en tant qu’action jugée négativement est attribuée à des individus ou à des groupes sociaux selon les mêmes règles qui prévalent pour des actes jugés positivement. La réputation, la considération et les rapports de pouvoir opèrent. Le contrôle pénal fait partie de la structure macrosociale de la société tout en la mettant en œuvre. L’intensité de la délinquance reflète la hiérarchie sociale : un nombre supérieur à la moyenne de personnes de faible statut social sont poursuivies pénalement.
Contrairement à l’intuition, des peines sévères ne réduisent ni le nombre ni la gravité des délits. Au contraire : compte tenu des graves effets de stigmatisation de peines élevées, on doit plutôt s’attendre à une spirale qui augmente la délinquance. Cela suggère de choisir la plus légère des sanctions prévues par la loi selon le cas concret.
La gestion étatique de la délinquance (politique criminelle) influe donc sur cette dernière. La politique criminelle entretient des liens directs avec les politiques sociale et sociétale. L’expression de Franz von Liszt, à savoir que la politique sociale est la meilleure politique criminelle, a été complétée par Gustav Radbruch. Selon lui, la mission, problématique, du droit pénal serait de compenser ce que la politique sociale aurait omis d’offrir au criminel. En opposition à ces considérations, dans la pratique, le droit pénal est parfois activé sous la pression populiste même si des mesures de politique sociale étaient tout autant, voire mieux appropriées. La répression pénale de la consommation de drogues ou de la mendicité est dans cette logique parfaitement discutable.
La politique criminelle est de plus en plus marquée par les émotions et craintes suscitées, voire suggérées par les médias. De telles craintes de la population à l’égard de multirécidivistes ou de terroristes entraînent des durcissements de la politique criminelle. La sécurité, la prévention et le contrôle revêtent beaucoup d’importance. Il n’empêche que sous les influences macro-sociales (mondialisation, néolibéralisme), les nations avec un profil d’État social présentent un taux de criminalité plus faible et moins dangereux que les nations à structure néolibérale.
La politique criminelle traditionnellement modérée de la Suisse est devenue plus sévère récemment. Les révisions du droit pénal et les initiatives populaires (internement à vie, renvoi d’étrangers criminels, imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine, peines plus sévères à l’encontre des chauffards) complètent et durcissent l’éventail des sanctions. Cette tendance se reflète plus particulièrement dans les mesures de sécurité (internement à vie pour les délinquant·e·s jugé·e·s très dangereux·euses, traitement institutionnel des délinquant·e·s souffrant de troubles psychiques graves). Pour des raisons de sécurité, les libérations anticipées deviennent plus délicates. Compte tenu des besoins accrus de la population en matière de sécurité, la volonté d’appliquer des sanctions sévères s’est développée. Quant à la communauté scientifique, elle est sceptique quant à l’efficacité de ce durcissement.
Références
Kunz, K.-L. (2015). Soziales Klima, Sanktionspraxis und Kriminalität. Schweizerische Zeitschrift für Kriminologie, 15(2), 18-26.Kunz, K.-L. & Singelnstein, T. (2016). Kriminologie : eine Grundlegung (7., grundlegend überarb. Aufl.). Bern : Haupt.
Kury, H., Brandenstein, M. & Yoshida, T. (2009). Kriminologische Vergleichsanalyse : Kriminalpräventive Wirksamkeit härterer Sanktionen. Zur neuen Punitivität im Ausland (USA, Finnland, Japan). Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, 121(1), 190-238.