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Parentalité

Lorraine Odier


Première édition: December 2020

Le terme parentalité, souvent utilisé dans divers registres, recouvre plusieurs significations. Les spécialistes en isolent trois principales. Dans les champs psychanalytique ou psychologique, la parentalité renvoie généralement aux processus psychiques ou psychoaffectifs que vivent les individus lorsqu’ils deviennent « parent ». Dans le champ de l’anthropologie, se distinguant de la parenté, elle désigne la position sociale et les responsabilités qui définissent celles et ceux que l’on nomme parent dans divers contextes sociohistoriques. Enfin, dans le champ juridique, ou celui des politiques sociales, la parentalité sert plus généralement à qualifier les compétences et l’exercice des tâches qui incombent à la position parentale légale. Elle tend, dans ce champ, à une non-reconnaissance légale des tâches parentales assumées par des conjoints ou partenaires de parents légaux et à l’exclusion de certains droits. Par exemple, les parents « non-statutaires » (dans des familles recomposées non-mariées ou homoparentales) sont soumis à l’obligation d’entretien s’ils vivent avec les enfants, mais ne peuvent obtenir le droit de garde en cas de décès du parent légal ou de séparation qu’à condition qu’un magistrat considère que c’est important pour le développement de l’enfant.

Si ces trois définitions diffèrent, elles ont pour point commun de désigner un processus individuel ou social et dénaturaliser les liens parent-enfant. Leur émergence a ainsi permis de nommer et de penser la fonction ou le rôle parental en dehors du lien biologique et de la distinction entre maternité et paternité. Elles apportent une complexification à la notion de famille comme en témoignent les exemples historiques d’utilisation du terme évoqués ci-dessous.

C’est autour de revendications visant à obtenir une reconnaissance de la pluralité des modes de « faire famille » et à les rendre visibles que la notion de parentalité s’est en effet popularisée et propagée. Dans l’espace francophone, c’est d’abord dans les années 1970 autour du combat pour la déstigmatisation de celles que l’on nommait les « filles-mères » que le terme parentalité associé à la particule « mono » a émergé dans l’espace public. Plus récemment, les expressions « homoparentalité » et « pluriparentalité » ont aussi été revendiquées pour une reconnaissance de l’exercice parental des parents de même sexe, ou des beaux-parents dans le cadre de familles dites recomposées.

Si l’histoire de l’utilisation de cette notion révèle des enjeux de reconnaissance de la pluralité des situations d’éducation des enfants dans la sphère privée et une volonté de dénaturaliser la position parentale, et plus particulièrement maternelle, l’histoire des politiques sociales se référant aux pratiques parentales montre les ambiguïtés du terme et les enjeux sociaux qui s’y rapportent.

Historiquement, en Suisse, on peut identifier l’une des premières formes d’intervention dans la parentalité, entendue comme « pratiques parentales », dans des programmes d’eugénisme « positifs » des années 1920, ayant pour objectifs de renforcer la reproduction des « bons » éléments de la population. Par exemple, les « bureaux de conseil sur le mariage », dont celui de Zurich fondé en 1932, réunissaient des groupes de jeunes femmes pour leur adresser des conseils sur le choix d’un bon mari et sur la bonne tenue du foyer en vue de favoriser une éducation appropriée des générations à venir. Par ailleurs, comme l’a révélé le scandale des enfants de la « Grande route », des parents considérés comme inadéquats, généralement en raison de leur appartenance de race ou ethnique, de leur niveau de vie ou de leur écart avec les normes conjugales pouvaient être internés et se voyaient retirer leurs enfants de force. Ceux-ci étaient alors placés en institutions étatiques ou religieuses ou encore dans des familles d’accueil, généralement paysannes et preneuses d’une nouvelle main-d’œuvre, sur la base des mesures de protection de l’enfance du Code civil entré en vigueur en 1912 et des internements à fin d’assistance. Alors que ces placements de force se perpétuent jusque dans les années 1980, plusieurs initiatives privées cherchent à les éviter en intervenant sur les pratiques et les compétences parentales en vue de les renforcer ou de les normaliser. Dès les années 1950, des Écoles de Parents, par exemple, émergent dans les cantons romands et à Winterthour. À travers leurs cours et leurs groupes de parole animés par des professionnel·le·s de l’enfance, elles soulignent le processus d’apprentissage des tâches et responsabilités parentales. Les mères, premières destinataires de ces programmes, sont dès lors valorisées dans l’exercice des tâches parentales reconnues comme n’étant pas « naturelles » mais acquises et complexes. Dans ce même mouvement, la position maternelle est l’objet de nouvelles normes auxquelles les mères sont confrontées. Cette tension entre valorisation et surveillance traverse toute l’histoire des politiques sociales visant la parentalité.

Depuis la fin des années 1990, cette tension se construit autour de la prolifération d’expert·e·s qui interviennent sur la parentalité et développent toujours plus de savoirs à son sujet – notamment sur les relations affectives entre parents et enfants ou sur les « limites à poser aux enfants ». Si ces savoirs ont l’avantage de rendre visibles des pratiques jusque-là peu valorisées et de proposer des outils aux personnes (principalement des femmes) qui les assument, ils conduisent également à produire des normes et à élargir le spectre des pratiques considérées comme problématiques.

Par ailleurs, les programmes étatiques et para-étatiques de soutien à la parentalité – par exemple le programme Positive Parenting Program dans plusieurs cantons, Elternbildung à Zurich, le programme national « l’Education donne la force » mené entre 2006-2010, ou encore les programmes de soutien aux familles monoparentales – continuent généralement de viser des populations très spécifiques : « les familles migrantes » ou les « jeunes mères ». Sous un vocable d’aide et de soutien, on assiste à une sorte d’euphémisation de la stigmatisation de certaines pratiques parentales et des rapports sociaux qui s’y articulent, notamment les rapports sociaux de sexe.

En Suisse, comme dans de nombreux pays européens et plus largement occidentaux, les dispositifs et les politiques publiques visant la parentalité tendent à s’intensifier depuis la fin du XXe siècle. Cependant, comme pour les politiques familiales, ils sont souvent pris en charge par des organismes privés et ne font pas l’objet d’une politique nationale coordonnée.

Au-delà d’une action publique visant plus spécifiquement les mères, la responsabilité et l’exercice des pratiques parentales restent fortement assumés par les mères et les femmes, malgré un investissement accru des hommes. Si les conséquences de l’inégal partage des tâches sont déjà connues, des travaux récents montrent comment l’entrée en parentalité constitue un moment clé dans la sexuation des trajectoires professionnelles. Les carrières masculines étant favorisées par l’arrivée d’un enfant (augmentation des responsabilités et du salaire) alors que les trajectoires féminines sont freinées. Tout en permettant de nommer et valoriser des tâches et une implication longtemps considérées comme « naturelles » et « féminines », les programmes visant la parentalité tendent à occulter la dimension fortement sexuée de l’exercice parental et de l’intervention des expert·e·s.

Références

Bachmann, L., Gaberel, P. & Modak, M. (2016). La parentalité : perspectives critiques. Lausanne : Éditions ÉÉSP.

Furrer, M., Heiniger, K., Huonker, T., Jenzer, S. & Praz, A.-F. (Hrsg.) (2014). Fürsorge und Zwang : Fremdplatzierung von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz 1850-1980. Basel : Schwabe.

Odier, L. (2018). Métamorphoses de la figure parentale : analyse des discours de l’École des parents de Genève, 1950 à 2010. Lausanne : Antipodes.

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