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Responsabilité sociale des entreprises

Thomas Beschorner

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Le concept de responsabilité sociale des entreprises, appelé aussi responsabilité des entreprises ou encore Corporate Social Responsibility (CSR), décrit l’intégration d’aspects sociaux et écologiques dans les activités entrepreneuriales ainsi que la responsabilité à assumer l’impact de ces activités sur la société. Il est essentiel que cette responsabilité s’inscrive dans une logique d’intégration au sein du cœur de métier de l’entreprise. Cela signifie que la CSR regarde comment les entreprises génèrent leurs bénéfices et non comment elles les utilisent au sens d’une « éthique de don ».

La discussion autour de la responsabilité des entreprises s’est intensifiée et a gagné en maturité depuis les années 1980 en parallèle à la montée en puissance de la société civile, dans un contexte de mondialisation croissante et à l’occasion de conférences majeures qui se sont traduites par le rapport Brundtland (1987) ou d’autres documents liés à la Conférence de Rio (1992). Plusieurs scandales impliquant des entreprises durant ces trente dernières années ainsi que la crise financière mondiale à la fin de la dernière décennie alimentent et font progresser le débat.

Le monde politique, le monde économique et la société reconnaissent toujours plus souvent que, dans une économie mondiale, le développement durable ne peut plus relever uniquement de réglementations étatiques (règles du jeu) car celles-ci sont (à de rares exceptions près) généralement liées à la notion d’État-nation et du droit national. La capacité limitée d’action des pouvoirs politiques et juridiques entraîne ainsi un déplacement partiel du niveau de responsabilité : au-delà des règles du jeu édictées par le monde politique, l’attention se porte toujours plus souvent sur la responsabilité des entreprises. Il faut y ajouter la notion de soft law qui recouvre toute une série d’initiatives générales ou sectorielles, visant à développer des solutions collectives à un échelon situé entre le politique et l’entreprise. Ces initiatives, qui ont tendance à impliquer moult acteur·trice·s différent·e·s, sont activées en partie par des entreprises et en partie par la société civile. Elles sont aussi appelées « initiatives multipartites » (multi stakeholder initiative).

La notion de Corporate Social Responsibility englobe une vaste palette de thèmes sociaux et écologiques, dont les conditions de travail, les droits humains, la protection de l’environnement, la prévention de la corruption, la concurrence loyale, la protection des consommateur·trice·s, les taxes et impôts, la transparence.

Si, il y a encore quelques années, la responsabilité de l’entreprise était un concept totalement volontaire, comme le prévoyait notamment le Livre vert de la Commission européenne de 2001, la Commission européenne a retravaillé dix ans plus tard sa définition du concept en supprimant cette notion de démarche volontaire. Cela a constitué dès cette époque un signe avant-coureur de ce qu’allait devenir la pratique au sein de l’Union européenne (UE), à savoir l’obligation de rédiger depuis 2017 des rapports sur la CSR pour les entreprises d’importance publique majeure et comptant plus de 500 employé·e·s.

En comparaison avec la situation internationale et surtout en Europe, les débats politiques et médiatiques en Suisse sont caractérisés par une forte polarisation entre la « droite » et la « gauche » qui considèrent la thématique de manière critique, pour des raisons bien différentes toutefois. Les uns craignent qu’une CSR nuise à la politique économique libérale. Les autres y voient une tentative d’assouplir les réglementations et exigent des mesures juridiquement contraignantes. Dans sa prise de position officielle sur la CSR (2015), le Conseil fédéral a élevé la question de la responsabilité des entreprises à un échelon politique en Suisse aussi, embrayant ainsi le pas aux autres pays européens qui ont adopté cette logique depuis les années 2000. Si cette prise de position prévoit différentes mesures favorisant la responsabilité des entreprises en Suisse, elle n’exige toutefois aucun rapport obligatoire sur la CSR. Il faut désormais attendre de voir comment les différents projets se concrétiseront en pratique. Au-delà de cette initiative de Berne, toute une série de normes et d’orientations internationales revêtent également de l’importance pour les entreprises suisses : comme les normes d’élaboration des rapports de la Global Reporting Initiative, le Pacte mondial des Nations unies, la norme ISO 26000, les recommandations de l’OCDE pour les entreprises multinationales, le cadre Ruggie en matière de droits humains ou encore les Sustainable Development Goals, pour ne citer que quelques exemples.

Volkswagen falsifie ses mesures d’émissions polluantes, les banques manipulent les indices financiers et la FIFA fait davantage penser à une organisation mafieuse qu’à une fédération sportive. Ce ne sont certes que quelques exemples des délits commis par des entreprises, mais ils placent la responsabilité d’entreprise en mauvaise position dans le débat public.

Pour faire avancer les choses de manière productive, il conviendrait dans un premier temps d’observer les pratiques entrepreneuriales de manière nuancée. Elles sont en effet extrêmement variées. Ainsi, certaines entreprises prennent la CSR au sérieux, l’intègrent efficacement dans leur organisation et appliquent aussi des critères sociaux et écologiques à leurs stratégies. D’autres confondent la CSR avec une posture de marketing et communiquent beaucoup à ce sujet, sans pour autant agir proportionnellement en interne. Enfin, il existe aussi des entreprises qui méprisent purement et simplement les questions sociales et écologiques, quand elles ne piétinent pas la notion même de responsabilité.

Il conviendrait par ailleurs de définir de manière adéquate le terme de responsabilité d’entreprise, afin qu’il ait un sens sur le plan normatif prenant son essence éthique au sérieux. Les débats académiques et publics tendent à envisager la CSR uniquement comme des options win-win, devant autant servir à la société qu’à l’entreprise. Cette approche en elle-même est irrecevable, dans la mesure où elle mélange les questions du « bien faire » avec celles de l’implémentation.

Troisièmement, tant les débats académiques que les pratiques des entreprises devraient davantage adopter une position proactive plutôt que défensive ou réactive vis-à-vis de la CSR. La responsabilité d’entreprise ne consiste en effet pas seulement à éviter des pratiques immorales (telles que la corruption, la falsification de bilans, etc.), mais aussi à se demander plus particulièrement quelle contribution les entreprises peuvent apporter à la société via de bonnes pratiques commerciales. Envisager la responsabilité des entreprises de manière proactive revient aussi à considérer les entreprises comme des acteur·trice·s politiques qui participent au processus de gouvernance ou Governance sociétale et contribuent à développer une politique (sociale) d’intérêt général.

Enfin, il serait bon de réfléchir plus en profondeur au rôle de la politique (et du droit) dans le contexte de la responsabilité d’entreprise. Des programmes d’action nationaux comme la prise de position du Conseil fédéral suisse sont un bon point de départ. Ils doivent toutefois être mis en pratique. Mais la politique (et le droit) ne doivent pas se limiter à des mesures d’encouragement de ce type, mais aussi appliquer les lois contraignantes ou hard law classiques via des mécanismes de pilotage. L’Allemagne a entamé des discussions au sujet du droit pénal des entreprises, la Suisses et d’autres pays européens auraient tout intérêt à faire de même. L’initiative multinationales responsables ouvrira peut-être cette voie.

Références

Beschorner, T. (2006). Social Responsibility of Firms. In J. Beckert & M. Zafirovski (Eds.). International encyclopedia of economic sociology (pp. 618-622). London : Routledge.

Conseil fédéral. (2015). La responsabilité sociétale des entreprises : position et plan d’action du Conseil fédéral concernant la responsabilité des entreprises à l’égard de la société et de l’environnement. Berne : Confédération suisse.

Schneider, A. & Schmidpeter, R. (Hrsg.) (2015). Corporate social responsibility : Verantwortungsvolle Unternehmensführung in Theorie und Praxis (2., erg. und erw. Aufl.). Berlin : Springer Gabler.

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