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Santé des personnes âgées

Stefano Cavalli


Première édition: December 2020

Selon Le Grand Robert, la vieillesse est « caractérisée par un affaiblissement global des fonctions physiologiques et des facultés mentales ». Le risque d’incapacités ou de souffrir de maladies chroniques croit avec l’âge. La santé, par ses ruptures et défaillances, s’impose comme la source principale de changements de vie, elle est au cœur des préoccupations des personnes âgées. Mais ses manifestations et son évolution varient largement selon les individus et la dimension considérée (physique, fonctionnelle, cognitive, etc.). La santé est aussi une condition importante du bien-être, notion qui renvoie à une réalité plus large impliquant les conditions matérielles, l’environnement ou les liens sociaux.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’évolution des sociétés occidentales a produit une embellie significative de l’état de santé, et plus en général des conditions de vie, de la population âgée. En même temps on a assisté à l’émergence du « troisième âge », fruit d’une dissociation progressive entre le moment de la retraite et celui de la sénescence. Le troisième âge s’offre aux individus comme une nouvelle étape du parcours de vie riche de potentialités, un cadeau dont on souhaite profiter, alors que la véritable vieillesse (le « quatrième âge ») est repoussée vers un âge toujours plus avancé. Il faut cependant récuser l’opposition entre un troisième âge de tous les possibles et un quatrième âge plombé par tous les maux.

Dans les années 1970 et 1980, la vieillesse était le plus souvent vue comme un poids, aussi bien pour les personnes concernées – elle rimait avec dépendance, mise à l’écart, voire « mort sociale » – que pour la collectivité. Dans les décennies suivantes, suite à l’émergence d’une vision plus positive, sont établies des politiques promouvant le vieillissement « réussi », actif, en bonne santé. Ceci se traduit en un discours préventif et dans la mise en place de stratégies qui valorisent l’activité physique et le bénévolat, le maintien d’une bonne santé ou encore l’alimentation saine, le tout dans le but de favoriser le bien-être des individus et réduire les effets du vieillissement (ou « vieillir sans devenir vieux », comme on peut lire dans un document de l’Organisation mondiale de la santé de 2002). Cette perspective, dans sa version plus radicale, fait l’objet de plusieurs critiques : d’une part, le « bien vieillir » risque de se transformer en une obligation et l’individu de devenir le seul maître de son propre vieillissement, en déresponsabilisant l’État ; d’autre part, l’impression est que ces politiques prennent comme modèle le troisième âge mais montrent leurs limites en ce qui concerne le quatrième âge.

Depuis les années 1990, de nouveaux concepts ont surgi pour rendre compte de la condition des personnes très âgées. Le grand âge se caractérise par un processus de fragilisation qui très souvent déclenche un état de fragilité. La fragilisation correspond à une altération, progressive ou par à coup, mais inévitable avec l’avance en âge, des réserves de divers ordres : physiologiques, sensori-motrices, cognitives, etc. La fragilité, quant à elle, apparaît à partir d’un certain seuil d’insuffisance et affecte la résilience d’une personne, c’est-à-dire sa capacité à préserver un équilibre avec son environnement ou à le récréer à la suite d’événements perturbateurs. De nos jours, le trait commun du quatrième âge n’est ni la maladie ni la dépendance, mais une fragilité dont l’expérience peut prendre un caractère durable, a des implications importantes dans plusieurs aspects de la vie quotidienne et requiert la mobilisation de différents types de ressources : des savoirs faire et capacités d’adaptation de l’individu, aux aides de son entourage familial et amical, jusqu’aux apports de professionnels (services d’aides et de soins à domicile, foyers et hôpitaux de jour, EMS, etc.).

En comparaison internationale, en Suisse l’état de santé des personnes âgées est plus que satisfaisant. Selon une enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (SHARE), la Suisse présente des meilleurs scores par rapport au reste de l’Europe, avec un moindre pourcentage de personnes qui se disent en mauvaise santé ou qui ont des limitations dans les activités de la vie quotidienne, et une prévalence de la fragilité inférieure à la moyenne. Dans notre pays, une forte majorité des personnes de 65 à 80 ans jouissent d’une santé relativement bonne et mènent une vie indépendante ; même au-delà, le fait de souffrir de dépendance chronique aux soins reste minoritaire. Et l’amélioration du bilan de santé au fil des décennies se poursuit en ce début de XXIe siècle, tandis que l’évolution est moins claire dans d’autres régions du monde : aux États-Unis, seuls les cas de handicap sévère ont connu une (légère) diminution au cours des années 1990, et la situation semble s’être stabilisée depuis 2000 ; dans certains pays d’Europe latine s’observent les effets néfastes de la Grande Récession.

Au-delà des tendances générales, il importe de souligner la grande hétérogénéité des situations de vie chez les personnes âgées. Tous ne vieillissent pas de la même manière et, même à âge semblable, les différences de santé entre les individus sont extrêmes (notamment selon genre et le statut socioéconomique). Elles résultent des parcours de vie distincts ainsi que des environnements physiques et sociaux traversés. Répondre aux besoins d’une population si diversifiée est loin d’être aisé et peut entraîner des politiques décousues.

Un autre enjeu des politiques sociosanitaires est représenté par la prise en charge de la fragilité. Notion par définition multidimensionnelle, elle appelle des réponses globales plutôt que de considérer chaque besoin séparément. Il convient également d’examiner les liens entre la fragilité et d’autres types de vulnérabilité, comme la précarité économique et la faible insertion relationnelle. Par exemple, la combinaison d’isolement social et fragilité peut se traduire en un fort sentiment de solitude et une grande anxiété. Mais si un réseau complexe de services est à disposition des personnes âgées pour faire face aux problèmes de santé, les réponses institutionnelles à la vulnérabilité relationnelle demeurent rares.

Enfin, il faut concevoir la santé des personnes âgées dans toute sa complexité, sans se limiter à la présence ou l’absence de maladie et incapacités, et en intégrant des dimensions plus subjectives. Les résultats de plusieurs études, transversales et longitudinales, menées en Suisse ont mis en évidence une aptitude remarquable des personnes du grand âge à réguler subjectivement l’impact de pertes liées à la santé, à rebondir malgré des ressources diminuées. Alors que l’état de santé tend à se dégrader au fil des ans, et cela presque toujours de manière irréversible, l’évaluation subjective que les individus portent sur leur santé reste étonnamment stable. Cette capacité d’adaptation a un impact positif sur le bien-être des personnes âgées. Les politiques publiques doivent donc envisager des mesures qui aident les personnes fragiles à faire face aux déclins associés au vieillissement, à reconstruire une vie quotidienne qui fasse sens.

Références

Höpflinger, F., Bayer-Oglesby, L. & Zumbrunn, A. (Éd.) (2011). La dépendance des personnes âgées et les soins de longue durée scénarios actualisés pour la Suisse. Berne : H. Huber.

Lalive d’Epinay, C. & Cavalli, S. (2013). Le quatrième âge ou la dernière étape de la vie. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.

World Health Organization (2015). World report on ageing and health. Geneva : WHO.

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