Intégration et insertion (sociale et professionnelle)
Version originale en allemand
En Suisse, l’insertion professionnelle comme étalon de l’intégration sociale remonte à l’émergence de l’État social moderne. Au début du XXe siècle, celui-ci a collectivisé la protection contre les risques individuels (aujourd’hui perçus comme des risques sociaux) et intégré les individus assurés dans un collectif d’assurance. Ainsi, les individus sont liés les uns aux autres et à l’État par le biais d’une solidarité démocratiquement légitimée entre personnes qui ne se connaissent pas. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le mandat d’intégration des assurances sociales et des prestations sous condition de ressources a été développé et concrétisé, en mettant l’accent sur l’insertion professionnelle des personnes en âge de travailler. Dès lors, le mandat d’intégration prend naissance au moment où ces personnes sont exclues du marché du travail. La tâche principale consiste à maintenir ou à rétablir leur employabilité afin qu’elles puissent retrouver rapidement un emploi.
L’assurance-invalidité (AI), introduite en 1960, ouvre le droit à des prestations s’il est attesté que, pour raison de santé, une personne en âge de travailler n’est pas en mesure d’exercer une activité rémunérée, ou seulement de manière restreinte. En 2012, dans le cadre de la 6e révision, le principe directeur de l’AI, à savoir « la réadaptation prime la rente », est rappelé. Sa mise en œuvre sera de plus en plus fortement exigée par le monde politique. L’AI considère que son mandat d’intégration consiste à exiger des assuré·e·s n’étant pas en incapacité totale de travailler qu’ils et elles mettent à profit leur capacité de travail résiduelle. Elle leur propose deux types de mesures d’intégration : des mesures de réadaptation socioprofessionnelle et des mesures d’occupation. Les premières visent à maintenir ou à rétablir une capacité d’insertion, alors que les secondes offrent une structuration des journées et visent à maintenir la capacité de travail résiduelle. En ce qui concerne la participation des personnes en situation de handicap à la société au-delà d’une activité professionnelle salariée, elle est généralement désignée par le terme d’inclusion.
Quant à l’assurance-chômage (AC), fondée en 1983, l’un de ses trois principaux objectifs est l’intégration durable au marché du travail. Cette mission est assumée depuis 1997 par les Offices régionaux de placement (ORP). Outre des prestations de conseil et de placement, les ORP appliquent diverses mesures du marché du travail (MMT). Elles sont décidées par les conseillers et conseillères en personnel selon leur appréciation et assignées aux assuré·e·s sous peine de sanctions. Dans le cadre de la 4e révision de l’AC, pour des raisons de coûts, les prestations de base de l’assurance-chômage ont été réduites (plus particulièrement pour les jeunes adultes) à partir d’avril 2011. L’objectif était d’inciter davantage les assuré·e·s à réintégrer rapidement le marché du travail.
Le dispositif de l’aide sociale poursuit également un mandat d’intégration, formalisé lors de la révision des normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) de 1998. En plus de garantir les moyens d’existence, l’aide sociale vise désormais explicitement à promouvoir l’indépendance financière des ménages assistés. Le nouveau concept dual d’insertion professionnelle et sociale est introduit dans les normes. Diverses mesures d’insertion sont proposées aux niveaux cantonal, régional et, parfois, communal. L’éventail varie considérablement d’un lieu géographique à l’autre. L’attribution est laissée à la discrétion des assistantes et assistants sociaux et peut nécessiter l’approbation des autorités sociales. La révision des normes CSIAS de 2005 lie plus étroitement les prestations d’aide sociale à la volonté d’intégration des bénéficiaires. Le forfait pour l’entretien est réduit, compensé partiellement par un système de suppléments afin d’honorer les efforts d’intégration fournis. De plus, dans certaines régions, des « conventions d’intégration », empruntées au domaine de la migration, sont utilisées dans l’aide sociale. Ces conventions sont conclues entre l’autorité et les bénéficiaires de l’aide sociale. Elles définissent les étapes du processus d’intégration. Si les bénéficiaires refusent de participer à une mesure d’insertion ou l’abandonnent de leur propre initiative, leur forfait pour l’entretien s’en trouve réduit. Enfin, en 2016, dans l’idée de renforcer pour les jeunes adultes le lien entre la garantie de l’existence et l’insertion, leur forfait d’entretien est réduit lorsqu’ils et elles n’exercent pas d’activité rémunérée ou ne suivent pas de formation et vivent seul·e·s.
En résumé, notons que, au sein de la politique sociale suisse, le concept d’intégration s’est modifié au cours des dernières années. Les assurances sociales ne se limitent plus à assurer la sécurité financière des ayants droit, mais soutiennent activement leur (ré)insertion. De leur côté, les ayants droit sont censés jouer un rôle actif dans le processus d’insertion, le mot d’ordre étant : « obligation de réduire les dommages ». Selon le principe de la prestation et de la contre-prestation, les efforts individuels d’intégration prennent de plus en plus d’importance, tandis que le mandat d’assurer l’existence est relativisé.
Dans le contexte d’une répartition toujours plus inégale du travail dans la société, il est nécessaire de considérer d’un œil critique la priorité accordée à l’insertion sur le marché du travail. Les personnes peu qualifiées ne trouvent pratiquement plus d’emploi. Elles sont plus souvent employées sur un deuxième marché du travail (ou marché complémentaire). Dans certains cas, de tels emplois – à salaire partiel ou en programme d’emplois temporaires – peuvent avoir du sens en offrant une structuration des journées voire en ouvrant éventuellement de nouvelles perspectives. Toutefois, de tels emplois dans un marché du travail parallèle et subordonné ne peuvent remplir les fonctions d’une activité rémunérée exercée au sein du premier marché du travail telles qu’énumérées ci-dessus.
Bien que le concept d’intégration se soit élargi depuis le début du siècle et que l’insertion professionnelle et l’insertion sociale soient mieux différenciées, cette dernière continue de jouer un rôle secondaire, étant considérée comme une étape préalable à l’insertion professionnelle ou comme une alternative à une insertion professionnelle ratée ou impossible. Une équivalence des deux objectifs d’insertion – professionnelle et sociale – est actuellement inconcevable. A cela s’ajoutent les aspects de discipline sociale inhérents à la politique d’activation. Concevoir l’intégration comme une simple insertion unilatérale des individus dans une société donnée n’est pas pertinent car l’accent est mis sur les seules prestations à fournir par les « personnes à intégrer ». Une telle individualisation ne tient pas compte de la nécessaire réciprocité d’un processus d’intégration réussi. De plus, l’évolution des dispositifs de protection sociale décrite ci-dessus risque de compromettre des acquis et principes centraux, tels le principe de finalité et le droit à la couverture du minimum vital dans l’aide sociale. Les transformations en cours relativisent le droit fondamental à des conditions de vie décentes sur la base d’assignations socio-normatives à la (dés-)intégration. L’État social moderne n’a donc pas seulement un effet intégrateur, mais exclut certaines catégories de personnes, en traçant des frontières entre les personnes éligibles (« pauvres dignes ») et non éligibles (« pauvres indignes »). Ainsi, seules les personnes pauvres jugées aptes à l’emploi ou employables ont pleinement accès aux mesures d’intégration.
Références
Gallie, D. & Paugam, S. (2002). Social precarity and social integration : report for the European Commission Directorate-General Employment Eurobarometer 56.1. Luxembourg : Office for official publications of the European Communities.Kutzner, S., Mäder, U., Knöpfel, C., Heinzmann, C. & Pakoci, D. (2009). Sozialhilfe in der Schweiz : Klassifikation, Integration und Ausschluss von Klienten. Zürich : Rüegger.
Schallberger, P. & Wyer, B. (2010). Praxis der Aktivierung : Eine Untersuchung von Programmen zur vorübergehenden Beschäftigung. Konstanz : UVK.