Exécution des peines et des mesures pour mineur·e·s
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, un système unique de justice pénale concernait toutes les personnes ayant transgressé la loi pénale, mineur·e·s et majeur·e·s confondus. La construction progressive, par les sciences médicales et psychologiques, de la figure de l’enfant comme « être en développement », plus malléable, mais aussi plus vulnérable et moins responsable qu’une personne adulte, a conduit, dès le début du XXe siècle, à la mise en place, dans la plupart des pays du monde, de systèmes de justice spécifiquement destinés au traitement des mineur·e·s délinquant·e·s. Dès sa création, la justice des mineur·e·s place au cœur de ses objectifs l’éducation et la protection et laisse au second plan – du moins dans ses intentions explicites – la punition. Cette orientation éducative donne dès lors un rôle important aux acteur·trice·s et institutions faisant partie de l’État social au sens large (éducateur·trice·s, travailleur·euse·s sociaux, psychologues, maîtres socio-professionnels, etc.). Parallèlement, les paniques morales récurrentes associées à la « violence juvénile » ainsi que la demande sociale de maintien de « l’ordre public » ont, elles aussi, contribué à façonner la manière dont la société réagit aux actes de délinquance commis par des mineur·e·s. Par conséquent, la justice des mineur·e·s est le résultat d’une hybridation entre la logique sociale et la logique pénale, entre la visée éducative et la visée punitive, ce qui accroît la complexité de ce champ d’intervention.
Dès la fin du XXe siècle, on assiste en Europe à la remise en question progressive de ce modèle protectionnel de justice des mineur·e·s : le seuil de majorité pénale est rabaissé dans certains pays et les impératifs de contrôle et de punition sont remis au centre de la prise en charge des jeunes délinquant·e·s. La réforme de la justice des mineur·e·s en Suisse – engagée avec l’adoption du nouveau Droit pénal des mineurs en 2007 puis avec la mise en œuvre de la Procédure pénale applicable aux mineur·e·s en 2011 – s’inscrit partiellement dans cette tendance sécuritaire, tout en réaffirmant la prédominance de l’objectif éducatif. La lutte contre la délinquance violente et la récidive figure parmi les arguments justifiant les innovations apportées au nouveau texte de loi, notamment la possibilité de cumuler pour un même jeune une mesure de protection et une peine. Néanmoins, la majorité pénale est maintenue à 18 ans sans exception, alors qu’en France par exemple, un· mineur·e âgé·e de plus de 16 ans peut, dans certaines circonstances, être condamné·e à la même peine que celle prévue pour les adultes.
Une des questions centrales concernant l’exécution des peines et des mesures de protection pour mineur·e·s est la déconnexion possible entre le besoin réel de structures de prise en charge des mineur·e·s délinquant·e·s – besoin qui découle des jugements prononcés au tribunal – et les logiques politiques qui administrent ces structures. Il peut par exemple arriver, comme c’est le cas en Suisse depuis quelques années, que les institutions fermées pour mineur·e·s délinquant·e·s soient systématiquement sous-occupées, car la délinquance juvénile effective diminue, alors que les élu·e·s politiques, sensibles aux discours sécuritaires, ont promu la construction de nouveaux établissements fermés. Dans d’autres contextes nationaux, on observe à l’inverse que les peines en milieu ouvert sont trop peu souvent prononcées par les juges en raison de la capacité de prise en charge restreinte des dispositifs de milieu ouvert. L’exécution des peines ne relève donc pas de la mise en œuvre mécanique d’une décision judiciaire mais dépend de logiques sociales, politiques et économiques complexes.
Les institutions de prise en charge des mineur·e·s délinquant·e·s doivent également composer, depuis une dizaine d’années, avec la multiplication des types de professionnel·le·s œuvrant en leur sein. Alors que les éducateur·trice·s et autres professionnel·le·s du travail social occupaient une place quasiment hégémonique, on constate aujourd’hui la présence croissante d’acteur·trice·s du champ médico-thérapeutique, ainsi que l’arrivée de professionnel·le·s de la sécurité. La présence de ces nouveaux·elles acteur·trice·s au sein des institutions pour mineur·e·s induit une redéfinition des territoires de l’action professionnelle, une spécialisation des rôles et la remise en question de la polyvalence du métier d’éducateur·trice. Par ailleurs, la présence de psychologues et psychiatres dans les institutions s’accompagne de nouveaux discours savants sur les causes de la délinquance juvénile, qui pointent davantage les troubles psychiques que les problèmes d’exclusion sociale et professionnelle.
On assiste également à une certaine remise en question du monopole étatique en matière pénale, dont les conséquences sont observables à différents niveaux. D’abord, sous la forme d’une injonction à réduire les coûts de la prise en charge des mineur·e·s délinquant·e·s – tout en garantissant son efficacité – qui tend à fragiliser le modèle protectionnel de justice des mineur·e·s, basé sur des interventions longues et individualisées. Par ailleurs, certaines mesures de protection, comme l’assistance personnelle, sont fréquemment exécutées par des organismes privés du secteur associatif ; dans un tel contexte, la même mesure peut être exécutée de manières très diverses et l’autonomie des acteur·trice·s d’exécution des mesures par rapport aux institutions judiciaires se voit renforcée. Enfin, on constate l’émergence de nouvelles formes de justice dites « restauratrices » – dont la médiation pénale est la principale expression en Suisse – qui impliquent davantage les acteur·trice·s privé·e·s et notamment la victime du délit.
Finalement, on observe une sorte de polarisation de la réaction sociale à la délinquance juvénile : d’un côté, un durcissement des sanctions pour les cas lourds mais minoritaires ; de l’autre, diverses formes de prises en charge en milieu ouvert, basées sur une surveillance souple et promouvant la « prise de conscience » et la « responsabilisation » des jeunes délinquant·e·s, sans toutefois parvenir à offrir les ressources nécessaires à leur réinsertion. L’accroissement des inégalités sociales et la surenchère des diplômes exigés sur le marché de l’emploi combinés au stigmate du ou de la « jeune délinquant·e » constituent en effet souvent des obstacles durables à l’insertion socioprofessionnelle. Face à la multiplication des peines et mesures alternatives à l’enfermement il serait donc erroné de conclure à un adoucissement de la réponse pénale. Il convient plutôt de s’interroger sur les formes singulières de contrôle à l’œuvre dans ces prises en charge en milieu ouvert : celles-ci exigent des jeunes un autocontrôle permanent et une capacité à se montrer autonomes et responsables. Ces compétences – autonomie, responsabilité, autocontrôle – deviennent ainsi paradoxalement des conditions de possibilité de la prise en charge, et non plus des objectifs à atteindre au terme de l’intervention socioéducative.
Références
Frauenfelder, A., Nada, E. & Bugnon, G. (2016). Division morale du travail et recompositions du sens de l’enfermement en Centre éducatif fermé. Déviance et société, 39(4), 477-500.Muncie, J. (2006). Repenalisation and rights : explorations in comparative youth criminology. The Howard Journal of Criminal Justice, 45(1), 42-70.
Viredaz, B. (2005). Le dualisme des peines et des mesures tel que le prévoit la nouvelle Loi fédérale sur la condition pénale des mineurs. Schweizerische Zeitschrift für Strafrecht / Revue pénale suisse, 123(2), 174-186.