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Libéralisme

Olivier Meuwly


Première édition: December 2020

Nourri de la philosophie de John Locke puis de celle des Lumières, ainsi que d’Adam Smith sur le plan économique, le libéralisme vise la primauté de la liberté de l’individu contre l’arbitraire et l’interventionnisme de l’État. Il revêt sa formulation moderne au tournant des XVIIIe et XIXe siècles avec les déclarations américaine (1776) et française (1789). Une question réside au fondement de sa construction intellectuelle : comment préserver au mieux les acquis de la Révolution, articulés sur la liberté et l’égalité des droits ?

Dès les années 1820, les penseurs libéraux se concentrent sur la mise en place d’institutions capables de protéger les droits individuels et de tracer une ligne de démarcation claire entre la sphère privée et la sphère publique, même si l’État n’est pas contesté comme tel. La loi est érigée en garante de la liberté. Le libéralisme se pensera dans le cadre de l’État national.

Au nom d’une économie organisée autour de la libre entreprise mais sous le contrôle d’un système politique marqué par la séparation des pouvoirs, les libéraux, longtemps attirés par la monarchie constitutionnelle de type britannique, vont progressivement adhérer à l’idéal du suffrage universel, au nom de la responsabilité individuelle.

Après la crise de 1929, des libéraux fondent le « néolibéralisme » sous l’impulsion de l’Américain Walter Lippmann, hostile à l’interventionnisme de l’État dans les rouages économiques prôné par John Maynard Keynes. Après-guerre, sous l’influence de l’Ordoliberalismus, théorisé en Allemagne notamment par Walter Eucken et Wilhelm Röpke, une conciliation des principes libéraux avec les exigences d’un État plus providentiel, mais qu’il s’agit de surveiller sur le plan financier, est opérée.

Dès les années 1960 et les crises économiques des années 1970, une césure apparaît à l’intérieur du camp libéral. Une aile s’attache surtout à son versant politique, au nom de la préservation des libertés individuelles, et conservera le nom « libéral » ; en Allemagne, elle formera l’aile gauche du parti libéral et, aux États-Unis, elle constituera une composante du parti démocrate. Mais une autre aile, théorisée dans les pays anglo-saxons par Ludwig von Mises ou par le plus modéré Friedrich von Hayek, donne un poids dominant à l’économie de marché, jugée seule à même d’assurer la prospérité générale contre une mainmise excessive de l’État-providence.

Les premiers libéraux suisses prolongent les valeurs des Lumières dans un libéralisme apte à traduire dans des institutions les principales libertés individuelles, notamment celle relative à la presse. Le libéralisme s’impose principalement dans les cantons protestants dès les années 1830.

Favorable à un État doté de finances publiques saines, à un système représentatif, à une économie orientée vers le marché et aux libertés fondamentales, le libéralisme de cette époque n’est pas dépourvu d’une pensée sociale. Si l’individu est responsable de ses actes, on prend conscience des périls d’une liberté sans contrepoids et un intérêt important est porté aux questions éducatives alors que le suffrage universel (masculin) s’impose dans plusieurs cantons.

Fondée en 1810, la Société suisse d’utilité publique s’intéresse au sort des enfants travaillant dans les fabriques ou à celui des prisonnier·ère·s. Si l’esprit d’entreprise doit être valorisé, il s’agit de faire participer le plus grand nombre au progrès général, sous l’égide de la religion, digue morale aux excès d’un marché parfois aveugle. L’éthique du travail est cultivée comme un facteur d’émancipation.

Le mouvement radical émerge sur la gauche du mouvement libéral dès le début des années 1830 et cherche le moyen de concilier les idéaux libéraux et la nécessité désormais avérée d’un État fédéral plus centralisé, capable de construire les infrastructures dont l’économie a besoin. Ce sera le but de la Constitution de 1848. Certains radicaux plaident pour une démocratie plus directe, qui doit promouvoir les changements sociaux.

L’idée d’un État social déployé au niveau national voit le jour dans les années 1860, avec le mouvement démocrate apparu sur l’aile gauche du radicalisme. Le système des coopératives convainc également les libéraux. Charles Secrétan, pionnier de la question féminine, en sera l’un des grands théoriciens.

Les radicaux répondent pragmatiquement à l’évolution de la question sociale. En 1877 est votée une loi sur le travail. Puis, à l’image de l’Allemagne bismarckienne et de son Staatssozialismus, ils élaborent une loi sur l’assurance contre les accidents et la maladie, qui entrera en vigueur après la Première Guerre mondiale. Soucieux d’une bonne gestion financière, les radicaux renoncent à introduire d’autres lois sociales.

Après la Seconde Guerre mondiale, pivots d’un système de gouvernement de type consensuel, les radicaux (PLR depuis 2002) contribuent à l’établissement de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) en 1947, adhérant ainsi au principe de l’État-providence, et acceptent son extension progressive, ainsi que l’adjonction de nouvelles assurances comme l’assurance-invalidité ou l’assurance-chômage. Ils refusent toutefois de mettre en danger les finances publiques.

Les libéraux, dès lors qu’ils entendent participer à l’action gouvernementale, ont appris à intégrer dans leur vision du monde un fort pragmatisme. Ils l’ont ainsi adaptée, à travers un marché qui doit rester fondamentalement libre, en y introduisant une dimension démocratique, puis sociale, avec une adhésion à l’État-providence, et, enfin, dans une certaine mesure, environnementale.

Les coûts engendrés par l’État social les ont amenés, à partir des années 1980, à privilégier la croissance économique, l’assainissement des finances publiques et la réforme de l’administration. Alors que les principes directeurs du libéralisme s’étaient diffusés, depuis longtemps, dans les partis conservateurs et, parfois mais plus récemment, dans une partie de la social-démocratie, le débat interne au libéralisme, lié à la prédominance de la liberté politique ou de la liberté économique, s’est avivé.

Fondé sur la synthèse entre l’État et la liberté et sur l’idée d’État de droit, le libéralisme ne se justifie cependant que dans son unité à la fois politique et économique. Néanmoins, avec l’essor technologique dès la fin du XXe siècle, le libéralisme, qualifié alors de « néo » ou d’« ultra », s’est engagé en faveur d’une franche ouverture des marchés mondiaux au nom d’un libre échange censé répondre aux besoins de l’humanité. Mais cette évolution s’est réalisée au détriment de son aile plus disposée à accepter une intervention des pouvoirs publics, notamment pour encourager l’égalité des chances ou une ouverture plus large en direction de l’écologie.

Assimilé dans sa dimension « égalitaire » à une tendance proche de la social-démocratie dans sa définition américaine, associé à un capitalisme le moins inhibé possible dans une définition plus européenne, intégré dans le fonctionnement de l’État depuis 1848 par son alliance avec le radicalisme en Suisse, le libéralisme se voit confronté à la nécessité de renégocier en permanence les équilibres internes entre ses différentes composantes.

Les libéraux doivent en outre repenser leur action dans un contexte où se multiplient les appels à un État national à vocation plus protectrice, revendiqué à la fois par ceux et celles qui demandent une intervention étatique plus prononcée et par le courant néoconservateur, centré sur la question nationale. Ils doivent redéfinir leur compréhension d’une liberté dont ils ne peuvent plus, depuis les années 1960, se déclarer les uniques défenseurs.

Références

Bessard, P. & Meuwly, O. (Hrsg.) (2011). Dem Schweizer Liberalismus auf der Spur – Sur les traces du libéralisme suisse. Zürich : Liberales Institut.

Schwarz, G. & Wenzel, J. (Hrsg.) (2006). Lust und Last des Liberalismus : Philosophische und ökonomische Perspektiven. Zürich : Verlag Neue Zürcher Zeitung.

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