Médecine préventive
Les concepts de base de la médecine préventive ne datent pas de l’ère moderne. Initialement, les mesures de prévention visaient essentiellement à exclure ou à isoler les personnes porteuses d’une maladie infectieuse ou suspectes de l’être, afin de protéger la population saine. Ainsi, des conseils d’hygiène personnelle visant à réduire le risque de transmission de maladies de personne à personne figurent dans les écrits de l’Ancien Testament. Lors de l’épidémie de la peste noire, une maladie contagieuse causée par une bactérie, en Europe au XIVe siècle, des mesures de mises en quarantaine furent entreprises pour isoler les cas confirmés ou suspects de la maladie, alors que son mode de transmission était encore inconnu. Les connaissances scientifiques en matière de prévention de la maladie connurent un essor majeur vers le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, en particulier grâce au progrès réalisé dans les domaines de la microbiologie et de la nutrition. C’est à cette période que furent développés de nombreux vaccins (p. ex. le vaccin contre la poliomyélite, le tétanos, la fièvre typhoïde) qui visent à stimuler le système immunitaire des individus, permettant secondairement de protéger la collectivité grâce au développement d’une immunité de groupe. Sous l’impulsion de l’OMS, de vastes campagnes de vaccination internationales furent organisées depuis la Seconde Guerre mondiale, permettant notamment l’éradication de la variole au niveau mondial en 1980.
C’est également au XIXe siècle que furent créées les prémices de ce qui deviendra plus tard la médecine du travail, avec pour but de promouvoir les mesures préventives et la législation sociale des maladies professionnelles et des accidents du travail. La médecine préventive de la fin du XXe siècle fut marquée notamment par la survenue de l’épidémie mondiale du virus d’immunodéficience humaine (VIH), ainsi que par des avancées médicales et scientifiques significatives en particulier pour les maladies cardiovasculaires et cancéreuses. Les études scientifiques entreprises depuis lors ont permis d’élaborer par étapes des stratégies et recommandations nationales et internationales en matière de prévention au travers du dépistage de ces maladies (p. ex. le dépistage du cancer du sein). À noter qu’en matière de prévention, d’importantes avancées ont également été réalisées dans le domaine des addictions et de la santé mentale (p. ex. prévention des addictions au tabac, à l’alcool, aux drogues ; prévention du suicide), ainsi que dans d’autres domaines de soins visant à réduire les comportements délétères (p. ex. par la diffusion de conseils hygiéno-diététiques ou de conseils en matière de comportements sexuels à risques).
De nos jours, les mesures préventives telles que la vaccination et le dépistage de certaines maladies sont progressivement entrées dans les mœurs de la population générale et dans la pratique médicale dans les pays occidentaux. Développé depuis le début du XXe siècle dans le domaine de la prévention primaire, le bilan de santé (check-up) d’un individu réalisé à intervalles réguliers chez sa/son médecin de famille est devenu emblématique de l’évolution de la médecine préventive contemporaine. Au niveau international, les recommandations pour les interventions préconisées lors du bilan de santé sont basées primairement sur le travail du groupe d’expert·e·s américain·e·s de médecine préventive (US Preventive Services Task Force – USPSTF), une organisation à but non-lucratif et indépendante qui évalue et propose les recommandations selon leur niveau de preuve d’efficacité. En Suisse, ces recommandations sont adaptées au contexte helvétique sur la base du travail de plusieurs sociétés et groupes spécialisés, dont le Swiss Medical Board, l’Office fédéral de la Santé Publique, l’initiative Smarter Medicine et le programme national de prévention clinique EviPrev.
Le processus d’élaboration des recommandations en matière de prévention doit pouvoir répondre de manière indépendante à plusieurs questions essentielles telles que retenues dans les recommandations suisses pour le bilan de santé au cabinet médical : « Dispose-t-on de données démontrant qu’une intervention précoce est efficace ? Quels sont l’efficacité et les effets indésirables de l’intervention ? Quelle est l’efficience de l’intervention, c’est-à-dire le rapport entre le coût et l’efficacité ? Quelles sont les préférences du patient quant à l’intervention et aux conséquences de l’intervention ? » À titre illustratif, le dépistage du cancer du côlon est recommandé et remboursé depuis juillet 2013 par l’assurance obligatoire des soins en Suisse pour toute personne âgée de 50 à 69 ans. D’autres recommandations de dépistage ont fait l’objet de vifs débats dans la communauté médicale et scientifique en raison du risque de surdiagnostic d’une maladie, c’est-à-dire de diagnostiquer une maladie qui n’aurait jamais été perçue au cours de la vie du·de la patient·e et qui n’aurait modifié ni sa qualité de vie ni sa durée de vie, ou de déduire à tort que la maladie existe, alors que la personne n’est pas malade (risque de faux-positif). Ce fut le cas lors de la remise en question par certains médecins de l’efficacité de la mammographie pour le dépistage du cancer du sein. Pour le médecin et son·sa patient·e, la conduite d’un dialogue ouvert, informé et constructif peut faciliter la prise d’une décision partagée entre les deux parties en matière de prévention, ceci pour autant que le médecin reste attentif au degré de littératie en santé de son patient, c’est-à-dire la mesure dans laquelle le patient a la capacité d’obtenir, de traiter et de comprendre des informations de base en matière de santé et le fonctionnement des services nécessaires lui permettant de prendre une décision importante pour sa santé.
Étant donné que le degré de littératie est lié aux inégalités sociales, celles-ci attirent une attention particulière en matière de médecine préventive. Les déterminants sociaux des inégalités de santé sont nombreux et relèvent non seulement de la précarité matérielle, mais aussi de mécanismes psychologiques en lien avec des difficultés sociales et relationnelles. Ainsi, il importe d’assurer l’accès au système de santé en mettant en place des dispositifs de soins de proximité tels qu’ils apparaissent en Suisse, à Lausanne ou à Genève, destinés spécifiquement aux populations vulnérables. Au-delà du renoncement aux soins pour des questions financières, dont plusieurs études estiment l’étendu en Suisse à une proportion de 10 à 15 % de population, la médecine préventive se doit aussi d’amener les patients à investir le champ de leur santé et d’encourager le développement de compétences cliniques transculturelles pour mieux prendre en compte, justement, le niveau de littératie en santé.
En Suisse, la majorité des pathologies qui surviennent de nos jours sont liées à des maladies non transmissibles, telles que les maladies cardiovasculaires ou le diabète, offrant un rôle de choix, dans les soins médicaux, aux interventions de prévention des comportements à risques pour la santé. Bien que la qualité du système de santé suisse soit unanimement reconnue, la Suisse se place paradoxalement parmi les pays qui investissent le moins dans la prévention. Au niveau national, la médecine préventive du pays a fait et continue de faire l’objet de débats et de controverses entre les milieux médicaux, scientifiques, assécurologiques, politiques, financiers et les associations de patients, en particulier au sujet du remboursement des prestations médicales dans le domaine de la prévention. Au niveau international, la Suisse a pris un retard relatif par rapport à d’autres pays pour des actions préventives dans le domaine de la santé publique (p. ex. le retard dans la ratification de la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac – Framework Convention on Tobacco Control – FCTC).
Références
Becker, D. M. & Gardner, L. B. (Eds.) (1988). Prevention in clinical practice. New York : Plenum.Bodenmann, P. Jackson, Y. & Wolff, H. (2018). Vulnérabilités, équité et santé. Chêne-Bourg : RMS, Médecine et hygiène.
Cornuz, J., Auer, R., Neuner-Jehle, S., Humair, J. P., Jacot-Sadowski, I., Cardinaux, R., … Rodondi, N. (2015). Recommandations suisses pour le bilan de santé au cabinet médical. Swiss Medical Forum, 15, 974-980.