Abus
Version originale en allemand
Utilisé de multiples manières dans le domaine de la sécurité sociale, le terme d’abus n’est toutefois pas clair. D’un point de vue juridique, la notion d’abus peut être interprétée selon cinq approches différentes. Une première interprétation possible de l’abus social serait l’obtention préméditée et illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale. Une deuxième interprétation, plus étroite, est mobilisée lorsque le terme d’abus est employé pour qualifier une situation où, en plus de la préméditation, l’intention de s’enrichir motive le comportement de l’auteur·e.
Troisièmement, une interprétation encore plus étroite est possible en analogie avec le concept d’abus de droit, généralement rencontré dans la jurisprudence : il y a abus de droit lorsqu’une institution juridique, telle que l’aide sociale ou les assurances sociales, est utilisée de manière contraire au but prévu pour servir des intérêts que cette institution ne souhaite pas protéger. L’interdiction de l’abus de droit est étroitement liée au principe de bonne foi et constitue un principe juridique général pour l’ensemble du système juridique. Dans ce sens étroit, il ne pourrait être question d’abus que si, par exemple, quelqu’un provoquait ou maintenait délibérément une situation de détresse ou une condition d’octroi afin d’obtenir des prestations du système de sécurité sociale. Selon un arrêt du Tribunal fédéral, l’abus doit être incontestable et évident. L’aspect spécifique réside ici dans le fait que le cas d’assurance ou la condition d’octroi de prestations sont délibérément visés avec une intention directe et que cela semble évident et sans ambiguïté.
Une quatrième interprétation beaucoup plus large de l’abus dans le domaine des prestations sociales est possible lorsque l’on classifie comme abusives des prestations obtenues en dehors des règles du régime social, non seulement de manière intentionnelle ou délibérée mais aussi par négligence voire négligence grave. Une telle interprétation de l’abus est inhérente, par exemple, à la suspension du droit aux indemnités journalières de chômage lorsqu’une personne se retrouve au chômage par sa propre faute. Dans le domaine de l’assurance-accidents également, une réduction des indemnités journalières est possible en cas de négligence grave dans la cause de l’accident, sans que cela ne soit toutefois explicitement qualifié d’abus par la loi.
Cinquièmement, on parle également d’abus dans la pratique lorsque des personnes perçoivent des prestations de la sécurité sociale de manière légitime mais les utilisent ensuite délibérément de manière illégitime, c’est-à-dire d’une manière inappropriée. Dans ce contexte, l’obtention des prestations n’est certes pas illicite, mais leur utilisation n’est pas conforme à leur but.
La législation suisse mentionne explicitement et sanctionne l’abus de prestations sociales à divers endroits, comme dans la Constitution fédérale telle qu’amendée sur la base d’une initiative populaire : selon l’article 121 de la Constitution fédérale, les étranger·ère·s sont privé·e·s de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse si, entre autres, ils·elles ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale. Dans ce contexte, le 1er octobre 2016, le Code pénal (CP) a été complété par une disposition qui prévoit que quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour elle-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale, est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans les cas de peu de gravité, la peine est une amende. En application de l’article 121 de la Constitution fédérale, la conséquence juridique d’un tel acte est l’expulsion.
En outre, la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) prévoit que les abus résultant de la provocation intentionnelle de la réalisation d’un risque assuré peuvent entraîner une réduction des prestations ou leur suspension (article 21). Il en va de même pour l’aide sociale dans de nombreuses lois cantonales sur l’aide sociale ainsi que dans les normes de l’aide sociale de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), sans que la notion d’abus ne se retrouve généralement dans ces normes. De plus, dans le domaine des assurances sociales (article 25 LPGA) ou de l’aide sociale (voir les règles spéciales de remboursement correspondantes dans les lois cantonales sur l’aide sociale), il existe des clauses spéciales de remboursement en cas de prestations indûment touchées.
Enfin, l’extension du droit pénal à compter du 1er octobre 2016 prévoit des sanctions pénales pour certains cas d’abus liés à une obtention illicite intentionnelle. Bien entendu, des sanctions peuvent également s’appliquer dans le cas d’autres comportements relevant du droit pénal, tels que la falsification de documents ou la fraude. Les lois sur la sécurité sociale et certaines lois cantonales sur l’aide sociale prévoient des contraventions en complément.
Dans le discours public, comme on le voit dans les médias et en politique, le concept d’abus est utilisé de manière non spécifique et imprécise, souvent en relation avec la dénonciation et la scandalisation vis-à-vis des dysfonctionnements du système social. De la même manière, la notion d’abus est également utilisée dans d’autres discours politiques, tels que la scandalisation vis-à-vis des infractions liées à l’obligation fiscale. Dans le domaine social, la notion d’abus s’applique à diverses formes d’obtention non conformes, réelles ou alléguées, de prestations. Dans ce contexte, un comportement inapproprié des demandeur·euse·s de prestations est également parfois qualifié d’abus social (p. ex. le non-respect des rendez-vous), alors même qu’il n’a rien à voir avec un déroulement non conforme aux règles des prestations sociales. En outre, le discours politique qualifie ou traite même parfois d’abusif le simple exercice du droit de percevoir des prestations de l’État social. Toutefois, une telle utilisation du terme est par définition et juridiquement inadmissible. Dans l’ensemble, l’utilisation du terme « abus » dans le discours public tend à individualiser de manière simpliste les problèmes sociaux de la pauvreté et du chômage ou à les attribuer de façon excessive à certains groupes.
Références
Bonvin, J.-M. & Nadai, E. (Éd.) (2013). La question de l’abus dans le travail social et les politiques sociales. Schweizerische Zeitschrift für Soziale Arbeit – Revue suisse de travail social, 13.
Mösch Payot, P. (2008). „Sozialhilfemissbrauch ? !“ Sozialhilfemissbrauch, unrechtmässiger Leistungsbezug und sozialhilferechtliche Pflichtverletzung : Begriffsklärung, Rechtsgrundlagen und Sanktionen. In C. Häfeli (Hrsg.), Das Schweizerische Sozialhilferecht : Rechtsgrundlagen und Rechtsprechung (S. 279-321). Luzern : Interact.
Schleicher, J. (2016). Sozialhilferecht. In P. Mösch Payot, J. Schleicher & M. Schwander (Hrsg.), Recht für die Soziale Arbeit : Grundlagen und ausgewählte Aspekte (4., akt. Aufl., S. 263-289). Bern : Haupt.