Maltraitance envers les personnes âgées
Le phénomène de la maltraitance envers les personnes âgées a été décrit pour la première fois en 1975 aux États-Unis. En Suisse, le sujet a commencé à être abordé à la fin des années 1990, suite à des scandales dans des établissements médico-sociaux (EMS) et à des reportages télévisés. En 2002, les Nations Unies et l’OMS ont reconnu la maltraitance envers les aîné·e·s comme un problème social, politique et de santé publique prioritaire. Les violences envers les vieux ne constituent pas un fait nouveau, comme en témoignent des écrits datant de l’Antiquité et du Moyen-Âge. La tolérance de la société à leur égard a cependant beaucoup évolué. Ainsi, des actes qui étaient considérés comme normaux par le passé et ne choquaient guère – comme par exemple l’usage de contention physique ou de punitions corporelles – sont aujourd’hui considérés comme de la maltraitance. Il en est de même en ce qui concerne les violences envers les enfants. Cette évolution montre que la définition de la maltraitance est toujours relative à des normes et à des valeurs qui diffèrent selon les contextes, les époques, les cultures, les groupes et les individus. Cette caractéristique participe à la complexité de la problématique.
Selon un rapport de l’OMS Région Europe de 2011, un quart des personnes âgées dépendantes d’aide et de soins seraient victimes de mauvais traitements en Europe, ce qui représente plusieurs millions de personnes concernées. Malgré l’hétérogénéité des résultats des études de prévalence, on peut estimer que la maltraitance toucherait entre 10 % et 20 % des personnes de plus de 65 ans, ce qui représenterait pour la Suisse près de 300 000 personnes. Contrairement aux idées reçues, plus des trois-quarts des aîné·e·s maltraité·e·s le sont à domicile, généralement par un·e proche. Ces données sont à mettre en perspective avec le fait que la grande majorité des personnes âgées vit à domicile, et non en institution. La maltraitance psychologique (p. ex. menaces, chantage, infantilisation), la maltraitance financière (p. ex. utilisation abusive de fonds ou de biens, captation d’héritage) et les négligences (p. ex. alimentation inadéquate, restriction de l’accès aux soins nécessaires) constituent les formes de maltraitance les plus fréquentes.
Sur le plan socioéconomique, les changements sociétaux, et en particulier le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques, ont un impact important sur le phénomène, notamment une augmentation prévisible du nombre de personnes âgées touchées par la maltraitance. Le vieillissement a également des répercussions significatives sur les relations intrafamiliales, intergénérationnelles et sociétales, avec pour effet de renforcer certains facteurs de risque de maltraitance (épuisement des proches aidants, isolement social, cohabitation enfant adulte/parent âgé et co-dépendance, pressions de rentabilité sur les institutions sociales et de soins, etc.).
Diverses études ont mis en évidence les conséquences à court et long termes de la maltraitance sur la santé physique et mentale des personnes âgées, de même que sur les risques de précarisation. En 2005, le National Committee for the Prevention of Elder Abuse estimait, aux États-Unis, le coût économique de la maltraitance envers les aîné·e·s à plusieurs dizaines de milliards de dollars américains par année.
Sur le plan légal, il n’existe pas en Suisse de dispositions spécifiques relatives à la maltraitance envers les personnes âgées. De manière générale, le signalement des cas de maltraitance n’est pas obligatoire. De nombreuses règles de droit civil, pénal et administratif permettent cependant de prévenir ou de mettre fin à des actes de maltraitance, que ceux-ci aient lieu dans le cadre domestique ou en institution. L’article 28 du Code civil (CC) notamment établit le principe que toute atteinte aux droits de la personnalité est illicite, à moins que la victime ait donné son consentement, qu’il existe un intérêt prépondérant privé ou public, ou qu’il y ait une base légale. Le droit de protection de l’adulte prévoit aux articles 382ss du CC des dispositions particulières dans le but de protéger les résidents incapables de discernement au sein d’un établissement médico-social (EMS) pour un séjour de longue durée. Il offre aussi la possibilité à toute personne de signaler à l’Autorité de protection de l’adulte une personne qui semble avoir besoin d’aide (article 443 CC). Il est à noter que les personnes soumises au secret professionnel doivent en être déliés par la personne concernée ou par l’autorité compétente. Depuis 2013, le droit de protection de l’adulte accorde une place importante aux proches dans l’ordre des personnes habilitées à représenter une personne incapable de discernement dans le domaine médical (article 378 CC). Cette modification vise une meilleure prise en compte de la volonté présumée de la personne. Ce principe peut toutefois s’avérer problématique dans les cas où la maltraitance, notamment financière, émane des proches habilité·e·s (p. ex. le/la conjoint·e ou les descendant·e·s).
Les réponses apportées à la question de la maltraitance varient selon les cantons et les régions. En Suisse romande, alter ego (Association pour la prévention de la maltraitance envers les personnes âgées) a été créée en 2002. Elle est active dans l’information, l’écoute et l’orientation, et la formation. Dans plusieurs cantons de Suisse alémanique, des bureaux indépendants de plaintes pour les questions liées à l’âge (Unabhängige Beschwerdestelle für das Alter UBA) ont été constitués dès la fin des années 1990. Au Tessin, la prévention de la maltraitance envers les personnes âgées est assurée principalement par Pro Senectute Ticino e Moesano. Au niveau fédéral, cette problématique n’est pas considérée comme une priorité. Bien que plusieurs conseiller·ère·s nationaux·ales aient déposé des postulats en ce sens, il n’y a pas de stratégie nationale contre les violences envers les personnes âgées. Par ailleurs, aucune étude nationale de prévalence n’a été réalisée et la recherche dans le domaine reste peu développée, contrairement à d’autres pays comme le Canada ou les États-Unis.
Face au vieillissement de la population et au risque de renforcement des attitudes âgistes, il importe de garder à l’esprit que les droits fondamentaux sont les mêmes à tout âge. Le Centre suisse de compétence pour les droits humains rappelait à ce titre, en 2017, que l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants est absolue et qu’elle ne peut être assouplie en aucune circonstance. Dans cette perspective, les Nations Unies ont nommé en 2014 une Experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme. L’établissement d’une Convention des droits des personnes âgées fait également l’objet de travaux. Le respect des droits fondamentaux des personnes âgées et la prévention de la maltraitance représentent des enjeux majeurs dans une société vieillissante, qui tend à porter un regard négatif sur le vieillissement et les individus âgés.
Références
Beaulieu, M. & Bergeron-Patenaude, J. (2017). La maltraitance envers les aînés : changer le regard. Laval : Presses de l’Université de Laval.Belser, E.M., Kaufmann, C., Egbuna, A. & Ghielmini, S. (2017). Différents en âge, égaux en droits : catalogue des droits fondamentaux des personnes âgées en Suisse. Berne : Centre suisse de compétences pour les droits humains.
Sethi, D., Wood, S., Mitis, F., Bellis, M., Penhale, B., Iborra Marmolejo, I. … Ulvestad Kärki, F. (Eds.) (2011). European report on preventing elder maltreatment. Copenhagen : WHO Regional Office for Europe.