Politiques et pratiques policières
La prise en compte de la variété des publics, des tâches et des problématiques prises en charge par la police incite à considérer les politiques policières et de sécurité comme un sous-ensemble des politiques sociales. Elles concernent certes la régulation et le contrôle social, mais la police n’a pas le monopole de ces activités. En outre, une partie du travail policier peut viser à nourrir la cohésion sociale, notamment au travers de la résolution de conflits. Les débats sur la manière dont la police doit remplir son mandat public et s’acquitter de ses tâches portent, comme dans d’autres domaines des politiques sociales, sur la place à accorder aux mesures répressives et aux sanctions négatives dans la régulation des rapports sociaux. Celle-ci fait débat également dans le travail social, sanitaire ou éducatif, où se posent les questions du degré d’autonomie alloué aux bénéficiaires, du respect de leurs singularités et de la protection de leur dignité. Catégoriser les politiques policières de manière distinctive des politiques sociales vise le plus souvent à défendre une approche strictement répressive des problèmes sociaux ou à réduire les mesures de prévention à de la dissuasion au travers d’une menace de sanction.
Les réformes inspirées du community policing étatsunien, souvent traduit par l’expression « police de proximité », s’inscrivent dans une critique de la légitimité et de l’efficacité des approches policières centrées uniquement sur la répression. Elles pensent la police non comme le « bras armé de l’État », mais comme un service social visant principalement à lutter contre les causes de la délinquance, en partenariat avec d’autres services de l’État. Selon cette perspective, l’objectif principal de la police consiste à éviter que des infractions soient commises plutôt qu’à les détecter ensuite. Son activité ne devrait pas se concentrer sur les « belles affaires », mais sur les infractions considérées comme les plus dérangeantes par les usagères et les usagers (la « petite délinquance »). Les auteur·trice·s d’infractions ne sont pas désigné·e·s comme étant les destinataires principaux·ales du travail policier, celui-ci s’adressant à la population en général. L’un des objectifs de la police de proximité est donc de partir du « terrain » et de développer une action localisée au niveau des quartiers et de leurs habitant·e·s. Cette conception de la police valorise la résolution des problèmes de manière proactive (et non pas la réaction aux appels d’urgence), les services rendus aux usagères et usagers, ainsi que les partenariats établis avec d’autres institutions et associations. Cette perspective considère que les outils coercitifs sont inefficaces pour régler les problèmes sur le long terme et pour combattre le sentiment d’insécurité de la population. Elle promeut donc des compétences alternatives, telles que les techniques de gestion des conflits et des émotions, ou celles relevant de la communication, de la persuasion, de la négociation ou de la médiation. Cette vision hétérodoxe du métier s’inscrit donc contre la représentation traditionnelle des policières et des policiers comme étant des agent·e·s de « lutte contre le crime » voué·e·s à la détection des infractions grâce à l’usage de la contrainte, dont l’objectif de « faire du chiffre » (nombre d’arrestations p. ex.) serait la meilleure manière d’en mesurer l’efficacité. Par ailleurs, elle est davantage compatible avec une conception de la délinquance comme un phénomène complexe trouvant ses causes dans le contexte social et économique.
Si ce modèle a pu inspirer des réformes dans différents pays, sa radicalité est restée un frein à une mise en œuvre effective. Ces modèles critiques ont ainsi eu un impact sur les politiques et les organisations policières suisses, sans que cela ne débouche néanmoins sur des réformes de grande envergure. Il existe certes au sein des corps de police helvétiques des courants critiques. Certaines policières et certains policiers relativisent l’importance de la coercition et défendent une vision du métier comme étant avant tout relationnel. Ces perspectives hétérodoxes ne cherchent pas pour autant à ôter l’usage de la force des prérogatives policières. Elles visent plutôt à élargir la définition du métier en intégrant sa dimension « sociale » et, de ce fait, à mieux correspondre à la réalité du terrain. Même si des mouvements réformateurs ont pu, dans certains cantons, infléchir en partie les politiques et les pratiques policières en Suisse, une perspective plus orthodoxe continue cependant à les dominer. La dénonciation des infractions reste au centre de la manière dont est défini le métier, et nombreux sont les policiers et les policières possédant des visions négatives des tâches et compétences non coercitives, souvent qualifiées de « sociales » ou de « faire du social », bien souvent considérées comme étant du « sale boulot ». Les concevoir comme des tâches pleinement policières reviendrait à rapprocher la profession du travail social, ce qui peut être perçu par certain·e·s comme une atteinte à leur identité de policière ou de policier et comme une dévalorisation de leur métier. Les résistances aux tentatives de rendre les tâches et compétences non coercitives plus légitimes sont particulièrement grandes parmi les professionnel·le·s dont l’identité ou le statut repose sur l’aspect moral du métier et sur le pouvoir que l’État lui délègue, ainsi que parmi ceux et celles adhérant aux modèles virils de la masculinité.
Références
Brodeur, J.-P. (2003). Les visages de la police : pratiques et perceptions. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2003.Jobard, F. & de Maillard, J. (2015). Sociologie de la police : politiques, organisations, réformes. Paris : Armand Colin.
Pichonnaz, D. (2017). Devenirs policiers : une socialisation professionnelle en contrastes. Lausanne : Antipodes.