Économie solidaire
Version originale en allemand
Historiquement, l’économie solidaire trouve son origine dans les traditions et conceptions des mouvements sociaux du début de l’ère industrielle, et plus précisément dans les concepts des « socialistes utopiques » tels que Robert Owen (1771-1858), Charles Fourier (1772-1834) et Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Ceux-ci avaient évoqué des modèles socioéconomiques ne reposant pas sur l’exploitation de l’homme et la destruction de la nature. Ce premier mouvement socialiste a donné naissance à un « produit » particulièrement réussi et aujourd’hui reconnu de tous : les coopératives, une forme d’organisation démocratique reposant dès le départ sur l’idée de la cogestion solidaire et de la copropriété entre travailleur·euse·s. Appliquer l’idée de coopérative à toute une région, c’est le pari qu’a réussi la Mondragón Corporación Cooperativa (MCC), maintenant active au niveau mondial et souvent citée comme modèle réussi d’économie solidaire. Cette coopérative fut fondée dans les années 1940 dans la petite ville basque de Mondragón par le prêtre José María Arizmendiarrieta (1915-1976), qui voulait lutter par l’entraide coopérative contre le chômage et la pauvreté qui touchaient la région. Aujourd’hui encore, le but premier de l’économie solidaire n’est pas de révolutionner le système économique capitaliste, mais de fournir à la population locale les biens et les services nécessaires, en se basant sur les besoins locaux et les ressources disponibles sur place. C’est dans ce sens que se conçoivent la plupart des projets d’économie solidaire : comme des « îles dans un océan capitaliste », selon la formule consacrée par Roland Bunzenthal en 2011, qui fonctionnent sciemment d’après une autre logique, basée sur l’ancrage local. Ceci dit, l’économie locale ne vise pas l’isolement et l’enfermement, elle tente plutôt de coopérer avec d’autres « îles » et organisations ou mouvements de la société civile, dans une sorte de réseau, afin de créer et propager de nouvelles formes d’activités économiques et au final, d’avoir un impact local toujours plus important.
Si l’on essaie d’établir un lien entre l’économie solidaire, la politique sociale et les questions sociales, ceci présuppose une compréhension pluraliste de la politique sociale. Une compréhension où les parties prenantes de la société civile sont perçues et reconnues comme des acteur·trice·s participant au bien-être de tous et toutes, même si elles fonctionnent selon leur propre logique entre l’État et le marché. Si l’on essaie d’absorber ces projets novateurs émanant de la base (grass-roots) pour les mettre au service d’objectifs qui leur sont étrangers et les soumettre à d’autres régimes, on court le risque de les démolir à terme. Les approches de la société civile, dont fait partie l’économie solidaire et qui trouvent leur origine dans les mouvements sociaux, existent parce qu’elles représentent un moment critique. Ce sont des projets d’expérimentation sociale destinés à trouver de nouvelles solutions aux problèmes sociaux, et ces projets se trouvent dans une relation tendue avec la politique sociale de l’État (qui suit une logique bureaucratique). Cette relation de tension peut toutefois être transformée par le dialogue en une coopération fructueuse où différentes logiques peuvent coexister.
Dans la perspective analytique du pluralisme social, l’économie solidaire en tant qu’approche de la société civile peut contribuer (potentiellement) à la prospérité, sans pour autant faire partie de la politique sociale d’État. Même s’il n’est guère possible de construire une économie solidaire selon une approche top-down, il est important du point de vue de la politique sociale de savoir si la politique de l’État favorise et soutient l’économie solidaire sans lui opposer d’obstacles et si elle permet à cette « contre »-économie locale de se développer aux côtés de l’économie mondiale. Ayant une culture perméable, l’économie solidaire peut, dans une optique de pluralisme social, aider les personnes et en particulier celles disposant de ressources financières limitées et/ou ne trouvant pas leur place dans l’autre économie pour diverses raisons, à participer économiquement et socialement à l’économie solidaire et trouver dans l’entraide un moyen d’assurer leur existence. Dans ce sens, les économies solidaires révèlent des potentiels (d’aide) réciproques encore non exploités et qui ne sont pas développés sur d’autres marchés ni dans les mesures de l’État social. L’économie solidaire apporte généralement des avantages directs à ses participant·e·s, mais aussi la plupart du temps une « valeur ajoutée » à la communauté, à la commune, au quartier ou à la ville, sous forme d’excédent ou en éliminant certains coûts.
La façon dont l’économie solidaire est représentée ici se base sur une perception surtout répandue en Suisse alémanique et dans l’espace germanophone en général. Comme les économies solidaires en tant qu’initiatives bottom-up sont souvent largement marquées localement ou régionalement, même dans des pays relativement petits comme la Suisse, elles peuvent se présenter sous la forme de conceptions et d’approches tout à fait différentes dans les diverses régions (linguistiques). En Suisse, mais également en Allemagne et en Autriche, on peut ainsi observer les activités suivantes d’économie solidaire : émission de monnaies alternatives ou locales, instauration de systèmes d’échanges de temps, création de coopératives en nom collectif, constitution de coopératives d’usagers-consommateurs dans le domaine agricole ou encore culture et gestion communes de terrains communaux (comme dans le cas de l’urban gardening). Dans certains cas, ce type de projet est animé ou soutenu par des travailleuses et travailleurs sociaux·ales issu·e·s du travail communautaire (Community Development). Dans les régions francophones et latines, en revanche, l’économie solidaire est beaucoup plus liée au marché secondaire du travail, subventionné par l’État, et aux autres « mesures d’intégration » (au marché du travail). Cette tendance n’a pas encore été observée dans la conception germanophone de l’économie solidaire qui est associée davantage à des initiatives de la société civile.
Les défis sociaux, économiques et écologiques actuels (en lien avec la société post-croissance, la nouvelle précarisation, la crise du travail et les régions perdantes) pourraient avoir pour conséquence d’intensifier la discussion autour de l’économie solidaire en Suisse dans les prochaines années. Le grand défi consiste à savoir comment concevoir et stabiliser ces projets afin de les rendre accessibles aussi aux personnes démunies et sans emploi et comment les transformer en processus d’échange réciproques, capables d’améliorer l’existence dans tous les milieux et toutes les situations sociales.
Références
Bunzenthal, R. (2011). Solidarische Ökonomie : Inseln im kapitalistischen Meer. In Verein zur Förderung der Solidarischen Ökonomie e. V. (Hrsg.), Schritte auf dem Weg zur Solidarischen Ökonomie (S. 273-275). Kassel : Kassel Univ. Press.Nerge, H. (2001). Auf der Suche nach der zukunftsfähigen Gesellschaft : Fundort Mondragon (unveröffentlichte Publikation). N.p. : Eigenverlag.
Wallimann, I. (2014). Social and solidarity economy for sustainable development : its premises – and the social economy Basel example of practice. International Review of Sociology, 24(1), 48-58.