Travail social
Version originale en allemand
Dans ses différents domaines d’intervention, le travail social intervient là où de tels problèmes d’intégration se transforment en problèmes de mode de vie des individus – traditionnellement autour de comportements déviants, du handicap et de la pauvreté, mais aussi de la migration, domaine qui accentue encore la question sociale de l’intégration. Parmi les domaines d’intervention du travail social, citons notamment l’éducation spécialisée ou sociale avec hébergement, le travail social en milieu scolaire, le travail social en milieu ouvert auprès de l’enfance et de la jeunesse, le conseil éducatif et l’aide à la famille, la protection de l’adulte et de l’enfance, l’assistance de probation et le régime pénitentiaire, l’aide aux personnes en situation de handicap, l’aide aux victimes d’infractions, l’aide aux personnes dépendantes, le service social en milieu hospitalier, l’aide sociale, l’aide aux réfugié·e·s, le service social d’entreprise, le travail communautaire et l’animation socioculturelle.
Une autre définition répandue, et à première vue évidente, serait que le travail social traite les problèmes sociaux. Cela est vrai, car les problèmes de mode de vie liés aux problèmes d’intégration sont essentiellement des problèmes sociaux. Cependant, cette définition n’est pas suffisante, car tous les problèmes sociaux ne relèvent pas de la compétence du travail social et tous les problèmes de mode de vie ne sont pas des problèmes sociaux. Les problèmes psychologiques, par exemple, peuvent être à la fois cause et conséquence d’un problème d’intégration individuel et, à ce titre, ils peuvent faire l’objet d’une intervention du travail social. De plus, des problèmes sociaux existent depuis que les humains existent. Cependant, le travail social est un phénomène relativement récent qui n’est pas apparu par hasard dans la forme de société contemporaine.
Ce sont diverses évolutions sociales (p. ex. le siècle des Lumières et la modernisation et donc la dé-traditionalisation et l’individualisation, le passage à un mode de production capitaliste) qui, articulées entre elles, ont transformé la structure de la société pour lui donner sa forme actuelle et qui ont créé, en conséquence, le problème de l’intégration. Au fond, le problème vient du fait que les individus sont « libérés ». Concrètement, cette liberté signifie que chaque individu n’a plus simplement une position donnée par sa naissance, mais doit acquérir sa position au cours de sa vie (généralement par le travail). Cette forme dynamique de socialisation s’accompagne de tâches de développement exigeantes. Elle peut échouer pour diverses raisons. En outre, les possibilités et les ressources nécessaires pour faire face à ces tâches de développement sont inégalement réparties à et dès la naissance. Malgré la libération et donc l’égalité de principe de tous les individus, une économie capitaliste génère systématiquement des inégalités et des exclusions sociales. Ces dernières s’ancrent structurellement dans la différenciation verticale de la société : elles produisent des groupes de populations défavorisés. Ce n’est pas un problème en soi, mais c’en est un dans une société civile « bourgeoise » d’aspiration démocratique. Car la consolidation et l’ampleur des discriminations entrent en contradiction fondamentale avec les valeurs démocratiques que l’on peut exprimer par les principes fondamentaux de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Cette contradiction engendre la « question sociale », la question de la justice sociale. Dans une démocratie, la question de la justice sociale doit être traitée politiquement sur la base des valeurs démocratiques notamment ancrées dans les constitutions démocratiques. Historiquement, deux formes de politique sont significatives pour le développement du travail social : d’une part, la politique d’État et l’émergence de l’assistance publique ou, plus généralement, l’action sociale et l’État-providence. D’autre part, les mouvements sociaux lesquels, à partir de la contradiction fondamentale, transforment les expressions du problème d’intégration en des problèmes sociaux dans les discours publics et dans les processus législatifs. Ces processus politiques progressifs dans le contexte des sociétés modernes, qui tendent vers une résolution rationnelle des problèmes, ont permis l’émergence de la profession et, dans son sillage, de la science du travail social.
Le travail social se forme donc en rapport avec les valeurs démocratiques. Le fait qu’il se réfère fondamentalement aux principes fondateurs de la démocratie n’est donc pas une coïncidence. En tant que système social fonctionnel, il est chargé du traitement pratique des conséquences des inégalités sociales. À un autre niveau, basé sur les mêmes valeurs fondamentales de la démocratie, le travail social est pensé comme une « profession des droits humains ». Les droits humains constituent une référence possible pour le développement des objectifs professionnels du travail social si l’on envisage les droits humains comme une forme juridiquement codifiée de protection de personnes potentiellement vulnérables mais dotées d’une dignité inviolable, et qu’il s’agit de protéger les personnes contre les conditions structurelles de la société. Une autre approche qui nourrit actuellement le travail social est l’approche par les capabilités (capabilities approach en anglais). Dans cette logique, l’objectif reste celui de développer des repères en matière de politique sociale et de travail social permettant de mettre en œuvre le concept abstrait de justice social. Ainsi, la politique et le travail social pourront viser le développement humain des individus et des communautés.
Les références aux valeurs démocratiques et à la politique sociale montrent clairement que le travail social dépend plus directement des évolutions politiques que d’autres professions. Au fond, les valeurs démocratiques constituent le cadre normatif pour l’ensemble de la société démocratique. Le débat sur la question sociale constitue donc une « zone de combat » constante dans la société et en particulier dans le système politique. Le travail social doit ainsi développer et affirmer en permanence sa compétence et la technicité qui en découle. Dans le même temps, son autonomie professionnelle est fortement marquée par les rapports de force politiques et leurs réponses à la question sociale, à savoir favoriser un certain équilibrage social et réduire les inégalités sociales ou vice versa.
La tâche consistant à développer une péréquation sociale, c’est-à-dire d’aider ses semblables et (sauf dans le domaine de la migration) ses concitoyen·ne·s à faire face aux problèmes liés à leur mode de vie et au moins partiellement causé par la société, est extrêmement exigeante. Comme pour toutes les activités complexes qui exigent du professionnalisme, l’élargissement des connaissances spécifiques est un facteur décisif pour le développement présent et futur du travail social. En Suisse, la discipline du travail social a trouvé une place structurelle avec l’introduction des hautes écoles spécialisées. Grâce aux personnes qui y travaillent ainsi qu’aux titulaires des chaires de travail social à l’Université de Fribourg et de pédagogie sociale à l’Université de Zurich, la discipline du travail social a dépassé une « masse critique » et il lui sera désormais possible de faire progresser le développement des connaissances. Au cours des quinze dernières années, la science du travail social en Suisse a connu un véritable boom dans le domaine de la recherche et du développement et des publications qui en découlent. La fondation de la Société suisse de travail social et la création de sa Revue suisse de travail social sont deux éléments constitutifs d’un processus de développement rapide, qui a permis l’admission du travail social à l’Académie suisse des sciences humaines et sociales.
Afin d’assurer, en Suisse, un travail social de qualité orienté sur l’intégration sociale et la résolution des problèmes, le développement continu des connaissances sera décisif. Les connaissances doivent être liées à l’évolution de la pratique du travail social, de sorte qu’une aide appropriée et efficace puisse être apportée dans des situations problématiques toujours plus complexes en matière d’intégration sociale, marquées par des développements transnationaux et globaux, qui constituent un point de référence supplémentaire pour le travail social d’aujourd’hui.
Références
Nussbaum, M. (2012). Capabilités : comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Paris : Flammorion.Sommerfeld, P., Hollenstein, L. & Calzaferri, R. (2011). Integration und Lebensführung : Ein forschungsgestützter Beitrag zur Theoriebildung der Sozialen Arbeit. Wiesbaden : VS.
Staub-Bernasconi, S. (2018). Soziale Arbeit und Menschenrechte : Vom beruflichen Doppelmandat zum professionellen Tripelmandat. Leverkusen : Barbara Budrich.