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Développement urbain

Patrick Rérat


Première édition: December 2020

Le phénomène urbain a longtemps été contenu et limité au territoire d’une commune : la ville, qui se caractérisait par une séparation claire d’avec la campagne. Cette ville traditionnelle a peu à peu disparu et d’importantes mutations ont provoqué l’émergence de régions urbaines (« agglomérations »). Selon la définition de l’Office fédéral de la statistique en vigueur depuis 2012, l’espace urbain helvétique se compose de 49 agglomérations. Celles-ci rassemblent plus d’un millier de communes et concentrent 73 % de la population et 79 % des places de travail. Une agglomération est constituée d’une ville-centre et de ses couronnes, soit des communes qui lui sont fortement liées selon des critères morphologiques ou fonctionnels. On distingue généralement les communes suburbaines (continuité du bâti avec le centre, forte densité, zones d’activités économiques, grands ensembles d’habitation, etc.) des communes périurbaines (paysage à dominante rurale, faible densité, prépondérance de la maison individuelle, forte proportion de pendulaires, etc.).

La dynamique territoriale la plus marquante depuis les années 1960 est l’étalement urbain, soit la croissance conséquente des couronnes suburbaines et périurbaines. Cette extension des agglomérations est le fruit de plusieurs facteurs influençant la localisation des ménages et des entreprises. Certaines activités économiques – comme l’industrie, la logistique ou les centres commerciaux – privilégient une localisation où le terrain est plus abondant et moins cher et qui bénéficie d’une grande accessibilité routière. L’habitat joue un rôle plus important dans l’étalement urbain car sa diffusion touche des communes de plus en plus éloignées des centres. Cette dynamique s’explique de différentes manières selon les périodes et les catégories de population. On peut distinguer l’influence d’aspirations résidentielles (accéder à la propriété, disposer d’un logement plus spacieux, d’une plus grande proximité avec la nature, d’un environnement plus favorable pour élever des enfants, etc.) mais aussi de contraintes économiques (pénurie du marché immobilier et prix élevé des appartements de grande taille dans les centres, etc.). Ce mouvement a été rendu possible par la diffusion de la voiture individuelle qui a permis à certaines catégories de population de vivre à plus grande distance des centres d’emplois. Il a également été encouragé par des promoteurs immobiliers ainsi que par certaines communes pour qui l’accueil de nouveaux habitants constitue une stratégie de développement.

Si l’étalement urbain demeure actuellement la tendance dominante, les villes-centres ont connu d’importantes transformations ces dernières années. Entre 1970 et 2000, la majorité d’entre elles ont perdu des habitants, sous l’effet conjoint du départ des familles vers les couronnes, du vieillissement de leur population, de la diminution de la taille moyenne des ménages et de l’augmentation de la consommation d’espace habitable. Depuis le début des années 2000 en revanche, elles enregistrent une nouvelle phase de croissance démographique (« réurbanisation ») en raison essentiellement des migrations internationales et de l’installation de jeunes adultes. Autre tendance marquante, certains quartiers centraux ont fait l’objet d’un réinvestissement au profit des classes moyennes supérieures (« gentrification ») sous la forme de nouvelles constructions ou d’opérations de réhabilitation du bâti. Ce dernier point soulève la problématique du risque de relégation de ménages au pouvoir d’achat peu élevé vers les communes suburbaines et leur éloignement des aménités et infrastructures urbaines.

Malgré leur regain d’attractivité, il est important de préciser que les villes continuent à enregistrer des taux d’aide sociale supérieurs à la moyenne. Ainsi, les six grandes villes (Zurich, Genève, Bâle, Lausanne, Berne et Winterthour) abritent un quart des bénéficiaires du pays contre un septième des habitants. Ce phénomène s’explique lui-même par la surreprésentation de catégories de population plus vulnérables tant en termes de capital économique que social (migrant·e·s peu qualifié·e·s, familles monoparentales, jeunes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle, etc.). Elles trouvent notamment en ville certaines opportunités sur le marché immobilier (en raison de la présence de logements petits et anciens). Les villes ont réagi en mettant en place un certain nombre de mesures comme l’illustre la constitution de « l’Initiative des villes pour la politique sociale ». Les dynamiques résidentielles à l’œuvre rendront les questions sociales de plus en plus prégnantes dans certaines communes suburbaines. Il en est de même du vieillissement de la population qui concernera également davantage les communes qui ont connu une forte croissance démographique il y a quelques décennies et dont la population a vieilli sur place.

La « métropolisation » constitue un autre phénomène caractérisant le développement urbain en Suisse. Ce terme désigne, d’une part, le renforcement des plus grandes agglomérations (avec une concentration de la population, des activités à haute valeur ajoutée, des richesses) et, d’autre part, la constitution d’un réseau des villes suisses. Ce fonctionnement en réseau est à la base de l’hypothèse de l’émergence d’une « métropole suisse ». On y trouve la concrétisation du constat dressé par Rousseau au XVIIIe siècle déjà et qui considérait la Suisse comme une grande ville divisée en quartiers.

Les débats des dernières années ont porté en grande partie sur les impacts négatifs de l’étalement urbain. Le mitage du paysage et l’utilisation croissante du sol ont été particulièrement mis à l’index lors de la votation sur la révision de la loi sur l’aménagement du territoire en 2013. D’autres critiques de la « ville étalée » ont porté sur la place prépondérante de la voiture (et ses effets négatifs en termes de consommation énergétique et d’émission de polluants) et sur les coûts de l’urbanisation de faible densité. Parallèlement, la forte croissance démographique et économique enregistrée par la Suisse dans les années 2000 et les changements de mode de vie se sont heurtés à un développement plus lent du marché du logement et des infrastructures de transport. Ce décalage s’est notamment traduit par une augmentation des prix de l’immobilier et par une utilisation accrue – parfois perçue comme une saturation – des infrastructures de transport.

En réaction aux impacts négatifs de la « ville étalée » est prôné le modèle urbanistique de la « ville compacte ». Il s’agit d’orienter l’urbanisation vers l’intérieur du tissu bâti, de densifier l’environnement construit (en redéveloppant d’anciennes zones industrielles p. ex.) et de planifier l’urbanisation en fonction des transports publics et des mobilités actives. Un des enjeux centraux pour le développement territorial est d’appliquer les principes de densification tout en garantissant une qualité de vie et d’habitat élevée et accessible pour l’ensemble des catégories de population notamment en termes de pouvoir d’achat. Cette nouvelle manière de faire la ville implique des démarches innovantes comme la prise en compte des modes de vie et des aspirations résidentielles, l’aide à des maîtres d’ouvrage d’utilité publique (tels que les coopératives) ou encore la mise en œuvre de démarches participatives visant à atteindre une qualité de vie partagée.

Références

Bassand, M. (2004). La métropolisation de la Suisse. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.

Office fédéral de la statistique (Éd.) (2014). L’espace à caractère urbain 2012. Neuchâtel : Office fédéral de la statistique.

Rérat, P. (2015/6). Le retour des villes : les phénomènes de déprise et de reprise démographiques dans les villes suisses. Espace, populations, sociétés, 3/1, en ligne. http://journals.openedition.org/eps/6204.

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