Prévention des addictions
Version originale en allemand
Une distinction est faite entre la prévention universelle, sélective et indiquée. La prévention universelle s’adresse à l’ensemble de la population ou à toutes les personnes de certains segments (p. ex. toutes les personnes retraitées). Elle fait sens lorsque les risques sont largement répartis au sein d’un groupe. Cette catégorie de prévention inclut des mesures légales, des campagnes médiatiques ou encore le travail dans les écoles. La prévention sélective vise des groupes à risque définis. Les personnes appartenant à de tels groupes sont généralement en bonne santé et ne présentent pas de signes particuliers, mais une probabilité plus élevée de développer une addiction en raison de facteurs de risque confirmés empiriquement (p. ex. des enfants d’une famille touchée par des problèmes d’addiction). La prévention indiquée s’adresse, quant à elle, à des personnes présentant des comportements à risque manifestes mais qui ne répondent pas (encore) aux critères de diagnostic d’une addiction (p. ex. de jeunes adultes avec une consommation excessive d’alcool en fin de semaine). Les stratégies sélectives et indiquées sont complexes à appliquer et demeurent peu développées et peu étudiées en Suisse.
Les problèmes liés aux substances psychoactives se situent dans un triangle formé par les trois dimensions que sont le produit, la personne et la société ou l’environnement. L’objectif de la prévention des addictions est de réduire les facteurs de risque (p. ex. un environnement familial défavorable) et de renforcer les facteurs de protection (p. ex. la confiance en soi) en tenant compte de ce triangle. La plupart des problèmes d’addiction repose sur de nombreux facteurs de risque et de protection, ce qui complexifie l’action préventive. En fonction des besoins identifiés et de l’efficacité des mesures préventives, elles peuvent agir sur les trois dimensions. Les interventions visant à influencer les connaissances, l’attitude, la motivation ou le comportement d’une personne ou d’un groupe cible déterminé font partie de ce qu’on appelle la prévention centrée sur le comportement. Elle se distingue des mesures de prévention structurelles qui, quant à elles, relèvent d’une approche centrée sur les conditions-cadres et visent à réduire les risques liés aux conditions de vie, de travail et d’environnement et de renforcer les facteurs de protection correspondants.
Les réglementations légales visant à réduire la disponibilité et la demande font partie des approches les plus efficaces et à la portée la plus large en matière de prévention des addictions aux substances légales et aux jeux d’argent. Les mesures tarifaires, telles que la réglementation des offres à bas prix – mesures qui agissent principalement sur le comportement des jeunes et des personnes dont la consommation est forte et fréquente – sont particulièrement efficaces et peu coûteuses. Une autre façon de réduire la demande est de limiter la publicité sur les substances addictives, y compris en adoptant des stratégies publicitaires de substitution telles que le parrainage d’événements sportifs ou culturels. En ce qui concerne les restrictions d’accès, les mesures qui se sont avérées efficaces sur la base de données probantes comprennent, par exemple, l’application de dispositions relatives à la protection des mineur·e·s et la réduction des heures de vente de l’alcool ou l’interdiction totale ou partielle de la vente lors de manifestations sportives ou de loisirs. En comparaison européenne, la Suisse se situe à cet égard en milieu de classement. Dans les domaines de la restriction des ventes et dans celui des taxes (pas de taxe sur le vin, taxation faible sur la bière) plus particulièrement, il existe un potentiel d’amélioration considérable.
Outre ces approches universelles, il est important d’élaborer des mesures spécifiques pour des groupes cibles, car les grands groupes de population comme les jeunes ne forment pas un ensemble homogène. L’expérience, le risque en matière de consommation de substances addictives et d’autres comportements à risque varient fortement d’un ou d’une jeune à l’autre. Les mesures structurelles ne peuvent influencer que de manière limitée le comportement de jeunes avec un comportement à risque supérieur à la moyenne. Les mesures structurelles doivent être complétées par une prévention centrée sur le comportement, ceci par exemple dans le contexte familial ou scolaire où s’acquièrent les compétences de base essentielles en matière de prévention (p. ex. la promotion de la santé, la capacité à gérer les conflits, les capacités relationnelles). On peut considérer que les effets de la prévention des addictions sont d’autant plus importants qu’elle est vaste et complète : les projets impliquant tout autant les écoles, les familles et l’environnement social produisent les résultats les plus prometteurs.
En Suisse, de nombreux acteur·trice·s étatiques et non étatiques sont impliqués, aux niveaux cantonal et régional, dans la prévention des addictions. La structure fédérale de la prévention des addictions (et des offres d’aide en cas d’addiction en général) a donné lieu à une multitude de mesures et de projets. D’une part, ceux-ci tiennent compte des différents besoins des communes et des cantons, mais d’autre part, ils sont souvent peu coordonnés. Depuis les années 1990, on a tenté de créer au niveau national un cadre favorisant la coordination et la coopération en lançant des programmes nationaux tels que le Programme national alcool, le Programme national tabac ou le Plan de mesures de la Confédération de la Stratégie nationale Addictions. Par ailleurs, la Confédération participe à la recherche et au financement de projets pilotes de prévention des addictions.
Il existe désormais de nombreuses preuves scientifiques de l’efficacité de la prévention des addictions (bien qu’encore peu nombreuses en Suisse). L’un des problèmes est que, pour l’heure, les priorités de la politique en matière d’addiction en Suisse ne tiennent pas compte de l’état actuel de la recherche ni davantage à l’étendue réelle du problème. Ainsi, des intérêts économiques puissants compromettent la mise en œuvre de mesures préventives structurelles pourtant efficaces. L’exemple de l’échec de la révision de la loi sur l’alcool en 2015 le démontre. En dépit de la volonté du Conseil fédéral, presque toutes les mesures préventives efficaces, telles que les mesures tarifaires, ont finalement été abandonnées sous la forte pression de l’industrie de l’alcool.
À cela s’ajoute la tendance politique actuelle qui met l’accent sur la responsabilité individuelle des consommateurs et des consommatrices, tandis que la responsabilité de la société et de la politique passe au second plan malgré la déréglementation croissante du marché. Cette vision restrictive devrait être élargie et la prévention des addictions davantage comprise comme une mission relevant de la société dans son ensemble dont tous les acteur·trice·s, les consommateur·trice·s, l’État et l’économie, portent la responsabilité. Dans ce contexte, il convient de maintenir l’objectif visant à réduire les grandes inégalités persistantes dans l’accès aux offres de prévention et d’améliorer l’égalité des chances en matière de santé. Cet objectif est désormais fixé dans les nouvelles stratégies du Conseil fédéral, la Stratégie Santé 2020, la Stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles et la Stratégie nationale Addictions. Ces stratégies ont en outre en commun le fait qu’elles visent à renforcer la prévention et la protection de la santé en Suisse et à les aborder de manière transversale. Alors que les programmes de prévention des addictions et la politique d’addiction de la Confédération se sont principalement concentrés ces dernières années sur les trois domaines que sont l’alcool, le tabac et les drogues illégales avec, jusqu’à présent, peu de points communs, ces programmes tiendront à l’avenir davantage compte de plusieurs facteurs de risque, de différentes dimensions des addictions ainsi que de plusieurs aspects de la santé psychique.
Références
Addiction Suisse. https://www.addictionsuisse.ch/Bühler, A. & Thrul, J. (2013). Expertise zur Suchtprävention. Köln : Bundeszentrale für Gesundheitliche Aufklärung.
Conseil fédéral. (2015). Stratégie nationale et plan de mesures addictions 2017-2024. Berne : Office fédéral de la santé publique.