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Âgisme

Christian Maggiori


Première édition: December 2020

Le terme d’âgisme a été proposé pour la première fois par Robert Butler en 1969 pour indiquer les préjugés envers un groupe d’âge. Si l’âgisme peut concerner les jeunes, au fil du temps l’attention s’est cependant centrée progressivement sur les personnes âgées qui semblent en être les principales victimes. En 1975, le même Butler définit l’âgisme en lien avec les stéréotypes et les attitudes discriminatoires envers des personnes simplement parce qu’elles sont âgées, de la même manière que le sexisme et le racisme le font en lien avec le sexe et la couleur de peau. Plus récemment, Iversen, Larsen et Solem définissent l’âgisme comme les stéréotypes, les préjugés et les discriminations (qui peuvent être tant positifs que négatifs) envers les personnes considérées comme âgées sur la base de leur âge chronologique ou qui sont perçues comme étant vieilles.

L’âgisme peut se manifester aux différents niveaux du fonctionnement social. En effet, il peut apparaître au niveau de l’individu, du réseau et du fonctionnement institutionnel, ainsi que de la société et de la culture. L’âgisme peut être conscient ou inconscient (donc volontaire ou involontaire) et se concrétiser à travers des manifestations explicites (comme des mauvais traitements, des injures ou le refus de fournir un service) ou implicites (p. ex. des attitudes condescendantes ou le fait d’ignorer la personne).

Dans les pays occidentaux, la personne âgée est fréquemment perçue comme un fardeau pour la société et un risque pour l’équilibre économique, et les stéréotypes négatifs relatifs à la vieillesse sont bien plus fréquents et nombreux que ceux qui sont positifs. Cette perception restreinte et négative de la vieillesse peut amener à des attitudes de dévalorisation des besoins, des capacités, des préoccupations ou encore des ressentis de la personne âgée. Elle peut aussi avoir des répercussions importantes sur l’identité et l’estime de soi de la personne âgée ainsi que sur la perception, et donc l’utilisation, de ses propres compétences (p. ex. en termes de communication et de mobilité). Ces éléments influencent à leur tour l’établissement et le maintien des relations avec autrui, qui sont étroitement associées au bien-être de l’individu. Depuis les années 1990, plusieurs études en laboratoire ont montré que l’âgisme a un effet négatif, par exemple sur la santé générale autoévaluée, les sentiments d’auto-­efficacité et d’indépendance, les performances cognitives ainsi que sur les capacités motrices et l’acceptation hypothétique de traitements médicaux pouvant prolonger la vie.

Parmi les modèles théoriques avancés pour rendre compte de l’impact de l’âgisme sur le bien-être, un des plus utilisés est le stereotype embodiment theory de Becca Levy. Selon cette théorie, les stéréotypes présents dans le contexte socioculturel sont élaborés, intériorisés et exprimés par l’individu dès l’enfance et, avec l’avancement en âge, ils sont perçus comme étant toujours plus pertinents pour soi-même. L’individu les intègre alors progressivement à l’image et à la définition de soi, devenant ainsi des self-stereotypes et influençant son fonctionnement et son bien-être.

En Suisse, au niveau légal, l’article 8.2 de la Constitution fédérale stipule que « Nul ne doit subir de discrimination du fait de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques […] ». Par contre, si dans le droit fédéral on retrouve la loi fédérale sur l’égalité entre les sexes, l’ordonnance relative aux droits humains et la lutte contre le racisme ou encore la loi fédérale contre les inégalités vis-à-vis des personnes handicapées, la question des inégalités relatives à l’âge n’est pas considérée au niveau des droits fondamentaux. Enfin, dans le Code pénal suisse, on retrouve uniquement un article portant sur la discrimination relative à la race, l’ethnie et la religion (article 261).

Même si les données peuvent varier d’une étude à l’autre, dans l’ensemble les travaux récents s’accordent sur le fait que l’âgisme est très présent dans la société occidentale actuelle. Selon la quatrième vague de l’enquête European Social Survey, menée en 2008 dans 28 pays européens dont la Suisse, l’âgisme est même plus fréquent que le racisme et le sexisme. Au niveau européen, chez les 65 ans et plus, environ 34 % a déjà été victime de discrimination à cause de l’âge, alors qu’environ 19 % ont été victimes de sexisme et 14 % de racisme. En Suisse, les chiffres suivent la même tendance, mais sont légèrement inférieurs. En effet, parmi les 65 ans et plus, 23 % rapporte de l’âgisme, 12 % du sexisme et 8 % du racisme. Parmi les situations d’âgisme les plus mentionnées on retrouve un manque de respect de la part d’autrui ainsi que des traitements injustes à cause de l’âge. À noter encore qu’environ 40 % de la population générale considère l’âgisme comme un problème sérieux dans notre pays, alors qu’environ 3 % des interviewé·e·s indiquent que le problème n’existe pas. Si ces données sont appelées à évoluer dans le temps, elles donnent néanmoins une indication pertinente par rapport à l’état actuel de la problématique.

Tant en Suisse que dans les autres pays occidentaux, l’âgisme représente une réalité très répandue mais qui est encore trop souvent ignorée et mal connue. Il est donc essentiel de poursuivre et renforcer les efforts de compréhension relatifs à l’âgisme et ses mécanismes sous-jacents. Si d’une part, la recherche scientifique a un rôle central à jouer, d’autre part il est nécessaire de mettre davantage cette problématique au centre du débat social actuel et sensibiliser les différents groupes de la population, des enfants aux personnes âgées elles-mêmes. Cette sensibilisation doit également passer par une meilleure compréhension de la réalité de la personne âgée. En effet, la méconnaissance de la vieillesse est considérée comme une des principales causes de l’âgisme. Un autre enjeu majeur est représenté par la présence d’atti­tudes âgistes chez les professionnel·le·s du domaine social et de la santé, qui peuvent être préjudiciables tant pour l’accès aux services socio­sanitaires que pour le choix et la qualité des prestations fournies. À titre d’exemple, le Rapport social 2012 souligne que dans notre pays environ un tiers des personnes âgées de 70 ans et plus a déjà vécu des situations de discrimination dans le milieu de la santé, telles que la banalisation par les soignant·e·s du problème de santé à cause de leur âge. La formation des professionnel·le·s – actuel·le·s et futur·e·s – travaillant auprès et pour les personnes âgées est donc un élément essentiel pour lutter contre l’âgisme. Celle-ci doit permettre l’acquisition de méthodes et d’outils adaptés à ce groupe de la population, afin aussi de limiter les possibles sentiments de frustration ou d’irritation perçus face à des situations pour lesquelles les professionnel·le·s pourraient être mal préparé·e·s. Enfin, un autre enjeu qui doit être mis en exergue est représenté par l’âgisme auprès des groupes sociaux déjà exposés à des formes de discrimination, tels que les femmes et les minorités ethniques, et qui risquent donc d’être confrontés de manière plus importante et prolongée à plusieurs formes d’injustices.

Ces différentes considérations et enjeux sont d’autant plus importants lorsqu’on considère l’évolution démographique dans notre pays, qui pourrait engendrer des craintes concernant l’impact de l’adulte âgé sur la stabilité économique de notre société et ainsi conduire à une exacerbation des attitudes discriminatoires vis-à-vis des ainé·e·s.

Références

Abrams, D., Russell, P., Vauclair, M. & Swift, H. (2011). Ageism in Europe : Findings from the European Social Survey. London : AgeUK.

Iversen, T. N., Larsen, L. & Solem, P. E. (2012). A conceptual analysis of ageism. Nordic Psychology, 61, 4-22.

Lagacé, M. (Éd.) (2010). L’Âgisme. Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement. Sainte-Foy : Presses de l’Université Laval.

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