Âge
Version originale en allemand
Dans l’histoire culturelle européenne, la vieillesse a toujours été associée à des idées de deux ordres : d’un côté, la vieillesse a été, et reste, rattachée au déclin physique et intellectuel, à la faiblesse et à la proximité de la mort. De l’autre, on met en avant, aujourd’hui comme hier, certaines évolutions positives telles que la sagesse et la sérénité des personnes âgées ou encore, la vieillesse en tant qu’accomplissement de la vie. Dans les définitions sociales s’attachant à fixer le moment où l’on est considéré comme vieux, deux aspects différents sont pris en compte : premièrement, on définit la vieillesse en s’appuyant sur des symptômes physiques visibles. Une posture voûtée ou l’utilisation d’une canne sont traditionnellement considérées comme des signes extérieurs de déclin lié à l’âge. Dans la culture européenne, qui depuis la Renaissance a pour modèle esthétique les corps jeunes tels que représentés dans la Grèce antique, les corps vieillissants faisaient, et font, l’objet d’un jugement négatif, en particulier chez les femmes. Deuxièmement, on utilise des limites d’âge chronologique pour déterminer le début de la vieillesse. Historiquement, l’âge de 60 ans a souvent été défini comme le seuil de cette phase de la vie. Dans l’ancienne Confédération helvétique, par exemple, le 60e anniversaire était considéré comme l’âge à partir duquel les hommes étaient libérés de leurs obligations communales.
La première loi du Reich allemand sur l’assurance-invalidité et l’assurance-vieillesse des travailleur·e·s, datant de 1889, fixait un seuil d’âge de 70 ans. En 1912, ce seuil a été abaissé à 65 ans pour les pensions d’État. Le même seuil réglementaire a été adopté par la Suisse en 1948 pour les hommes dans le cadre de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS). Le seuil d’âge formel de 65 ans est encore utilisé aujourd’hui pour mesurer le vieillissement démographique. D’un point de vue sociopolitique et démographique, la vieillesse, en tant que phase de la vie associée à la retraite, commence à 65 ans, bien que la sortie effective de la vie active s’effectue souvent plus tôt, et parfois plus tard. En Suisse aussi, le vieillissement de la population suscite de nombreuses discussions politiques sur le relèvement de l’âge de référence pour la retraite ; de nombreuses interventions visent à flexibiliser cet âge.
Au cours des dernières décennies, les concepts scientifiques, la perception sociale de la vieillesse ainsi que la situation des hommes et des femmes âgé·e·s ont changé de façon spectaculaire. Premièrement, dans une société moderne et diversifiée, l’âge chronologique n’est un indicateur adéquat ni pour déterminer la phase de la vie correspondant à la vieillesse, ni pour définir le vieillissement démographique. La grande hétérogénéité des processus de vieillissement ainsi que les inégalités socioéconomiques importantes dans la situation des personnes âgées contribuent au fait que l’âge civil, en tant que variable statistique, soit relégué au second plan par rapport aux variables sociales, économiques et biographiques (au moins jusqu’au groupe des personnes de plus de 80 ans). Parallèlement, on constate que l’écart se creuse, dans les sociétés d’aujourd’hui, entre l’âge réel et l’âge subjectif ou ressenti. Les personnes âgées se perçoivent souvent comme plus jeunes que leur âge réel et, depuis quelques années, les personnes âgées de 65 à 74 ans en Suisse se perçoivent comme tout aussi créatives et innovantes que des personnes bien plus jeunes.
Deuxièmement, parallèlement à la construction de nouvelles idées fortes sur l’âge et à la suite de l’allongement du temps passé à la retraite, on en vient à différencier diverses phases de vieillesse et à distinguer notamment un « troisième âge » et un « quatrième âge ». Les premières universités « du troisième âge » ont été fondées à Lyon et à Genève dès 1975. Cette différenciation est entrée dans le langage courant par des expressions telles que « les jeunes vieux » ou « les vieillards ». Par la suite, les débats sur le vieillissement actif se sont fortement concentrés sur la situation des femmes et des hommes retraité·e·s en bonne santé. La retraite est toujours considérée comme un moment de transition important, mais elle est davantage associée à une forme de liberté active tardive qu’à une retraite (Ruhestand en allemand, pour : repos) passive. Le quatrième âge, en revanche, est davantage lié aux notions de fragilité, de vulnérabilité et de dépendance (avec les coûts sociaux et de santé qui y sont associés).
Troisièmement, à partir des années 1970 et du début des années 1980, les théories de la vieillesse axées sur le déficit ont été remplacées, progressivement, par des théories axées sur les compétences correspondant à un vieillissement actif, réussi et en bonne santé. Des études longitudinales montrent que toutes les dimensions de la performance cognitive ne diminuent pas avec l’âge ou, autrement dit, que certaines dimensions cognitives ont une grande constance par rapport à l’âge. D’autre part, des recherches-actions montrent que des facteurs qui maintiennent la performance et la santé peuvent être renforcés ou améliorés même à un âge avancé. Le grand âge, considéré auparavant comme une fatalité, s’est de plus en plus révélé être un champ d’action (professionnel) propice aux interventions destinées à améliorer les compétences. Dans sa version radicale, cette approche a contribué à l’émergence des concepts du mouvement anti-ageing. La redéfinition de la vieillesse s’est vue renforcée par le fait qu’un nombre croissant de personnes âgées s’est tourné vers des activités auparavant considérées comme l’apanage exclusif des jeunes – voyager, faire du sport, suivre une formation, s’habiller à la mode. Grâce au développement de ses infrastructures sociales et sanitaires, la Suisse fait partie des pays européens dans lesquels la phase de la vie post-professionnelle sans handicaps a connu une expansion particulièrement forte. À l’heure actuelle, et compte tenu des déficits publics, on voit apparaître toujours davantage de modèles promouvant un vieillissement productif. L’idée centrale est que les personnes âgées et retraitées pourraient – ou devraient – fournir des prestations utiles à la société. Dans les faits, bon nombre de femmes et d’hommes âgé·e·s sont déjà très engagé·e·s dans des activités sociales (bénévolat, aide de voisinage, garde des petits-enfants, etc.). Depuis quelques années, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans qui continuent à travailler augmente également, bien qu’elles le fassent, le plus souvent, à temps partiel.
Références
Becker, S. & Brandenburg, H. (Hrsg.) (2014). Lehrbuch Gerontologie : Gerontologisches Fachwissen für Pflege- und Sozialberufe. Bern : Huber.Lalive d’Epinay, C. & Spini, D. (Éd.) (2008). Les années fragiles : la vie au-delà de quatre-vingts ans. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Samochowiec, J., Kühne, M. & Frick, K. (2015). Digital ageing : unterwegs in die alterslose Gesellschaft. Rüschlikon : Gottlieb Duttweiler Institute.