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Organisation du travail

Sebastian Schief

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Selon la définition donnée dans le lexique de l’économie de Gabler (Wirtschaftslexikon), l’organisation du travail vise à réduire les charges et à augmenter la satisfaction et la performance des travailleur·euse·s. Les éléments principaux en sont l’aménagement de la place du travail et l’organisation du travail, les deux ayant une influence centrale sur la productivité des travailleur·euse·s. Dans les sociétés modernes, le travail rémunéré s’effectue le plus souvent dans le cadre d’une organisation. La forme de l’organisation peut être hiérarchisée ou bureaucratique, participative ou hybride, autrement dit présenter des caractéristiques du marché à l’intérieur de l’organisation.

L’organisation du travail intervient à différents niveaux. Au niveau de l’État, celui-ci délimite le cadre légal du travail avec, notamment, une législation sur le travail. Au niveau des branches, mais aussi à celui de grandes entreprises, les conditions-cadre sont négociées dans des conventions collectives de travail – ainsi les temps de travail dans le secteur des banques et des assurances par exemple ne sont pas les mêmes que dans le commerce de détail. Finalement, les conditions de travail sont réglées concrètement au niveau des entreprises, avec l’aménagement de conditions de travail à la place de travail. Pour la Suisse, le niveau « entreprises » est décisif, surtout depuis les deux dernières décennies.

Le concept de l’organisation du travail s’est d’abord développé dans le monde des affaires militaires et administratives. Jusqu’au XVIIIe siècle, on travaillait le plus souvent dans de très petites unités, organisées dans le cadre familial. Avec l’industrialisation, qui prend ses débuts en Grande Bretagne, dans les manufactures et les fabriques, des conditions avant tout techniques sont mises en place, pour obtenir des gains de productivité élevés moyennant une organisation rigoureuse du travail, avec une assignation précise des rôles et des tâches et un système élaboré de sanctions. Les pionniers de la production industrielle de masse ont été Frederick Taylor (organisation scientifique du travail) et Henry Ford (travail à la chaîne, modèle de rémunération). La rationalisation induite par la production industrielle de masse liée au Taylorisme et au Fordisme au début du XXe siècle fut immense. Le modèle fordien combinait une organisation centralisée du travail, dans laquelle les travailleur·euse·s étaient les exécutant·e·s de tâches mécaniques simplifiées mais hautement spécialisées, avec des salaires plus élevés (« les voitures n’achètent pas des voitures »). Le rythme de travail pouvait être dicté par le réglage de la chaîne. Le fabricant de chaussures Bally, à Schönenwerd dans le canton Soleure, fut le précurseur des principes fordiens en Suisse.

Dans les années 1930, le mouvement des relations humaines (human relations movement) intégra la question des répercussions des conditions de travail sur les travailleur·euse·s. Mentionnons à ce propos les expériences de Hawthorne, qui analysaient l’importance de structures de groupes formelles et informelles, tant pour le bien-être individuel que pour la productivité. Depuis, des concepts « postfordiens » se sont répandus, avec, entre autres, le modèle de la lean production (Toyotisme) et bien d’autres tentatives encore pour améliorer l’efficience de la production, comme la production just in time, le management reengineering, le total quality management, etc.

Plus récemment, le pilotage du marché, l’informatisation, le télétravail, l’ubérisation, la work-life balance et, de manière générale, les ressources humaines, sont des facteurs qui ont une influence considérable sur l’organisation moderne du travail. Contrairement à l’organisation d’une entreprise de production de masse traditionnelle, le pilotage du marché intègre les fluctuations du marché dans l’organisation du travail au travers de chiffres clés et d’informations sur la concurrence et la clientèle. Les fluctuations du marché sont aussi de plus en plus en souvent compensées par une division de l’effectif entre le personnel de base ou « nucléaire » et le personnel accessoire ou « périphérique » ; le premier travaille dans de meilleures conditions et gagne souvent davantage, alors que le deuxième est engagé comme intérimaire ou sur appel. Le terme de l’informatisation décrit l’influence des nouveaux moyens de communication et des ordinateurs. Des formes virtuelles d’organisation du travail, c’est-à-dire sans ancrage géographique, sans effectif fixe ni attribution définie des rôles, sont aujourd’hui envisageables, voire existent déjà. Seul l’avenir nous dira dans quelle mesure ces nouveaux modèles pourront s’imposer. Pour l’heure, on en est à l’analyse des effets du télétravail, autrement dit le travail effectué à domicile à l’aide de moyens de communication modernes, sur l’organisation du travail. Cette formule pourrait gagner du terrain avec l’avancée du numérique.

Sous le nom d’économie du partage (share economy), aussi appelée ubérisation ou gig economy, une autre tendance se dessine dans l’organisation du travail. De nouvelles entreprises comme Uber et AirBnB, qui offrent des prestations de transport de personnes pour l’une, d’hébergement pour l’autre, sont des plateformes en ligne sur lesquelles des prestataires indépendants peuvent proposer leurs services. Cependant, la plupart des prestataires vont se retrouver dans une situation de dépendance vis-à-vis de la plateforme de mise en contact qui détient les atouts. Résultat final : une relation asymétrique d’employé·e-employeur·euse, mais sans les avantages sociaux offerts par l’intégration dans une entreprise moyennant un contrat de travail (salaires et temps de travail réglementés, assurances sociales, etc.). Pour les syndicats, ces formes d’organisation du travail soulèvent le problème de l’organisation du personnel.

L’organisation du travail a également pour objectif de réaliser un équilibre entre sécurité, autonomie et flexibilité pour les travailleur·euse·s et les entreprises – c’est bien ici que l’on conçoit son importance pour l’emploi et la protection des ressources humaines. Comme le montrent les exemples de temps de travail trop longs ou incompatibles avec une vie sociale, l’organisation du travail peut avoir des effets directs sur la santé et la productivité du personnel. Une mauvaise organisation du travail peut se solder par une baisse de productivité et de motivation, alors qu’une bonne organisation du travail aura l’effet contraire. La Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA) est d’ailleurs un partenaire important dans l’aménagement des places de travail en Suisse.

Références

Hielscher, V. (2000). Entgrenzung von Arbeit und Leben ? Die Flexibilisierung von Arbeitszeiten und ihre Folgewirkungen für die Beschäftigten : Eine Literaturstudie. Berlin : WZB.

Lehndorff, S. (2005). Widersprüche der «Vermarktlichung» : Marktsteuerung in der Arbeitsorganisation von Dienstleistungen. Forum Wissenschaft, 22(1), 10-14.

Schief, S. (2010). Does location matter ? An empirical investigation of flexibility patterns in foreign and domestic companies in five European Countries. International Journal of Human Resource Management, 21(1), 1-16.

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