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Relations de travail (atypiques)

Felix Bühlmann

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

On appelle « relation de travail atypique » les formes d’activité qui sortent du cadre d’un « contrat de travail normal ». Par « contrat de travail normal », on entend un engagement à durée indéterminée et à temps plein pendant la semaine, aux heures de bureau, sur un lieu de travail situé hors du domicile. Parmi les relations d’emploi atypiques figurent : le temps partiel, les engagements de durée déterminée, le (faux) travail indépendant, le travail à la maison, le travail de nuit ou le week-end, et le travail sur appel. Ces formes d’emploi, qui diffèrent du contrat de travail normal, se sont développées depuis les années 1980 dans toute l’Europe et sont devenues, en Suisse également, un phénomène relativement répandu (notamment le travail à temps partiel des femmes). On assimile parfois les relations d’emploi atypiques à des situations précaires : lorsqu’ils ne sont pas volontaires, lorsqu’ils restreignent la participation sociale, lorsqu’il en résulte des prestations sociales désavantageuses pour les personnes concernées ou lorsqu’ils s’accompagnent d’un bas salaire.

La période de prospérité inédite de l’après-guerre a conduit, en particulier pour les hommes, à une standardisation du parcours de vie, et par conséquent, à une standardisation des relations d’emploi. Dans la plupart des pays d’Europe, une grande partie des hommes en âge de travailler est employée à temps plein et pour une durée indéterminée, suivant des horaires réglementés et réguliers. Lorsque le moteur économique a commencé à se gripper dans les années 1970 et que la mondialisation a accentué la pression concurrentielle, de nombreuses entreprises ont tenté d’augmenter leur productivité par de nouveaux modèles de travail plus flexibles. Ces mesures, combinées à l’arrivée de plus en plus massive des femmes sur le marché du travail, ont entraîné un développement des relations d’emploi atypiques depuis les années 1980.

Le travail à temps partiel se décline en plusieurs variantes. Les emplois avec un taux d’occupation de 90 à 100 % sont considérés comme du temps plein, les emplois à un taux inférieur à 10 % comme un emploi minimal. On peut donc en déduire que le temps partiel désigne les taux d’occupation compris entre 10 et 90 %. Le temps partiel est particulièrement répandu chez les femmes et recèle des risques, surtout lorsque le taux d’occupation est inférieur à 50 %, par exemple lorsque ce taux est combiné à un engagement à durée déterminée, lorsqu’il réduit les opportunités de carrière ou lorsqu’il empêche d’accéder à certaines prestations sociales.

Les engagements à durée déterminée recouvrent tous les contrats de travail à durée limitée tels que les contrats d’apprentissage, les stages, les emplois de location de service et les contrats de travail limités dans le temps. Les employeur·euse·s ont recours aux contrats de travail à durée déterminée pour faire face aux fluctuations saisonnières et conjoncturelles de leurs activités ; c’est la raison pour laquelle ils sont très répandus dans des secteurs tels que le bâtiment, l’hôtellerie et la restauration ou le tourisme. Mais on fait aussi appel aux engagements à durée déterminée dans les pays où les contrats à durée indéterminée sont associés à une protection particulièrement généreuse des employé·e·s. Les entreprises y ont recours pour pouvoir réagir en souplesse aux fluctuations de la conjoncture et pour faire des économies à long terme. Souvent, ces relations d’emploi à durée déterminée concernent surtout les jeunes actifs. En particulier dans les pays où les personnes employées pour une durée indéterminée sont protégées, un fossé s’ouvre entre le noyau dur du marché, bien protégé, et le marché périphérique des personnes qui travaillent à durée déterminée.

Le travail indépendant et le faux travail indépendant font partie des formes de travail atypique qui font souvent débat. Il s’agit ici de freelancers, d’entrepreneur·euse·s indépendant·e·s ou de personnes participant à la sharing economy, qui n’ont pas d’autre employé qu’eux-mêmes. Les indépendants sont seuls responsables de leur couverture sociale et ne peuvent compter sur les contributions paritaires des employeur·euse·s pour leur protection contre le chômage ou la maladie ou pour leur retraite. Dans certains cas bien précis, les faux indépendants ne travaillent que pour un seul client ou une seule cliente (ou quelques-uns seulement) et sont considérés par ces entreprises comme une solution alternative peu coûteuse à un emploi (parce que les charges sociales sont assumées par le·la travailleur·euse).

D’autres formes de relation d’emploi atypique reposent sur l’organisation temporelle du travail et sur l’autonomie du·de la travailleur·euse. Le travail régulier de nuit, le week-end ou en soirée sont des formes de travail atypique qui, en raison du décalage avec le contexte de vie des personnes concernées, peuvent avoir des répercussions négatives sur leur vie familiale et sociale. Outre le travail en équipe dans l’industrie et les métiers de service classiques (infirmier·ère·s, chauffeur·e·s ou vendeur·euse·s), le travail de nuit et le week-end fait partie des quelques formes de travail atypique qui concernent également les cadres et les professions libérales (milieu médical, judiciaire, etc.). En général, ceux-ci bénéficient cependant d’une plus grande liberté pour l’organisation de leurs horaires irréguliers. Il reste enfin à mentionner le travail sur appel : dans ce cas, les travailleur·euse·s apprennent semaine par semaine ou dans des délais très courts s’ils vont travailler (heure par heure). Les entreprises ont recours à ce type de contrat pour faire face à des pics imprévus d’activité hebdomadaires ou quotidiens. Dans le travail sur appel, il convient de noter si le temps d’attente est rémunéré.

En Suisse, on observe deux particularités. D’une part, la Suisse présente, avec les Pays-Bas, le pourcentage de travail à temps partiel des femmes le plus élevé. Après la naissance du premier enfant, notamment, de nombreuses femmes passent au temps partiel ou reprennent un emploi à temps partiel après plusieurs années de pause familiale. Le temps partiel limite les opportunités de promotion et, dans le cas d’un emploi minimal (et donc de salaire minimal), peut empêcher les personnes concernées de se créer une prévoyance professionnelle.

Qui plus est, en raison de la réglementation relativement libérale du marché du travail, la différence entre contrats à durée déterminée et contrats à durée indéterminée est moins marquée en Suisse que, par exemple, dans les pays voisins que sont l’Allemagne, la France ou l’Italie. Comme les employé·e·s titulaires d’un contrat à durée indéterminée peuvent être assez facilement licenciés, les emplois à durée déterminée en Suisse ne sont pas forcément plus précaires que les autres. Par rapport aux autres pays européens, la Suisse se situe dans la moyenne pour la part des travailleur·euse·s sous contrat à durée déterminée ou des faux indépendants (l’Irlande, la Grèce et l’Espagne se classant en tête).

Les réformes sociales de ces dernières années, qui ont donné naissance à un État social activant, n’ont probablement pas été sans conséquences sur les franges atypiques et précaires du marché du travail. Reste à savoir si ces politiques donneront lieu, à moyen terme, à une nouvelle augmentation des relations d’emploi atypiques dont l’État social sera partiellement responsable. C’est sans compter l’évolution démographique, qui représente un deuxième défi de taille : la réforme du système de retraite suisse fera très probablement reculer l’âge du départ à la retraite et redéfinira aussi les contours de ce processus de transition. C’est pourquoi le recours aux formes de travail atypiques se multipliera sans doute à l’aube de la retraite. Pour cette période de la vie, il faudra donc trouver des solutions à moyen et long termes pour que « travail atypique » ne rime pas forcément avec « précarité » pour les travailleur·euse·s d’un certain âge. Il convient enfin de noter dans quelle mesure la sharing economy (Uber, AirBnB, etc.) est devenue un défi, surtout en ce qui concerne la fausse indépendance. L’avenir nous montrera si ces nouvelles formes atypiques de travail peuvent être réglementées.

Références

Kalleberg, A. L. (2000). Nonstandard employment relations : part-time, temporary and contract work. Annual Review of Sociology, 26, 341-365.

Pelizzari, A. (2009). Dynamiken der Prekarisierung : atypische Erwerbsverhältnisse und milieuspezifische Unsicherheitsbewältigung. Konstanz : UVK Verlagsgesellschaft.

Rodgers, G. (1989). Precarious work in Western Europe : the state of the debate. In G. Rodgers & J. Rodgers (Eds.), Precarious jobs in labour market regulation : the growth of atypical employment in Western Europe (pp. 1-16). Geneva : International Institute for Labour Studies.

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