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Relations de travail

André Mach


Première édition: December 2020

Les relations de travail (ou relations professionnelles) renvoient aux liens contractuels entre employeur·euse·s et salarié·e·s, codifiant les prestations fournies par la personne salariée en échange d’une rémunération. Ils en résultent des droits et des obligations réciproques pour les deux parties. Les relations de travail sont codifiées dans le droit du travail (code des obligations, loi fédérale sur le travail, conventions collectives de travail principalement) englobant à la fois la législation publique, mais aussi les accords privés négociés par les syndicats ouvriers et les organisations patronales. Les relations de travail peuvent être individuelles ou collectives : alors que les premières renvoient aux négociations entre une personne individuelle et l’entité qui l’emploie, les secondes se déroulent entre des organisations de salarié·e·s et une entreprise ou une organisation patronale. La codification des relations de travail se joue ainsi à différents niveaux, de l’échelon national jusqu’au lieu de production.

Avec l’adoption de la loi fédérale sur les fabriques en 1877, la Suisse fait figure de précurseur sur le plan européen en matière de protection des travailleur·euse·s, en limitant la durée du travail et en édictant des mesures protégeant les femmes et les enfants. Cependant, en raison d’un État fédéral faible et d’une forte tradition d’autorégulation par les acteur·trice·s privé·e·s, la législation publique sur le travail est restée flexible et peu contraignante, tout en étant complétée par des conventions collectives de travail (CCT) adoptées par les organisations syndicales et patronales. Les négociations collectives, principalement au niveau des branches, représentent le fondement du partenariat social helvétique. Les CCT ont une grande importance en Suisse pour compléter la législation publique, en matière de salaires (en particulier des salaires minimaux), de temps de travail, de protection contre les licenciements, de certaines prestations sociales ou en matière de règlement des conflits. Outre leur rôle de partenaire social sur le marché du travail, les principaux syndicats et organisations patronales sont également étroitement impliqués dans les processus politiques, en particulier dans l’élaboration et la mise en œuvre des principales politiques et assurances sociales. Celles-ci furent dans un premier temps organisées sur une base purement privée et ne furent qu’ultérieurement et partiellement transférées à l’État fédéral (assurance-chômage, assurance-vieillesse et maladie notamment).

Même si les premières conventions collectives datent déjà du XIXe siècle dans certaines branches bien précises de l’artisanat et de la petite industrie, ce n’est qu’au XXe siècle que les négociations collectives entre syndicats et associations patronales prennent leur essor et s’institutionnalisent. Jusqu’aux années 1930, les principales associations patronales refusent de négocier avec les syndicats et de signer des CCT. Le début du XXe siècle est marqué par de nombreux conflits de travail, qui atteignent leur apogée avec la grève générale de 1918. On assiste ensuite à une pacification progressive des relations de travail. En 1937, dans les deux principales branches industrielles de l’horlogerie et de la métallurgie et des machines, les organisations syndicales et patronales signent les fameux accords de paix du travail. Toutefois, l’immédiat après-guerre est encore marqué par de nombreuses grèves ; ce n’est qu’au début des années 1950 que les conflits de travail diminuent fortement pour quasiment disparaître dans les décennies suivantes. Les CCT comportent très fréquemment des clauses de paix du travail, interdisant le recours aux mesures de luttes (grève pour les syndicats et lock out pour le patronat) durant la validité de la CCT. On distingue deux types de clauses de paix du travail, absolue ou relative, la première interdisant toute mesure de lutte alors que la seconde interdit les mesures de lutte portant sur des objets codifiés dans la CCT.

Les relations de travail se sont ainsi progressivement institutionnalisées et pacifiées durant la première moitié du XXe siècle. En raison de la centralité des organisations syndicales et patronales à la fois comme partenaires sociaux, mais aussi comme acteur·trice·s politiques en matière de politiques sociales et économiques, la Suisse a souvent été classée parmi les pays néo-corporatistes, comme l’Autriche ou les pays scandinaves. Toutefois, le taux de couverture par les CCT des salarié·e·s du secteur privé n’a jamais dépassé les 50 %, ce qui reste une proportion faible en comparaison internationale, notamment avec les pays scandinaves, mais aussi avec la France ou l’Allemagne. Beaucoup de secteurs économiques ne sont ainsi pas couverts par une CCT, principalement dans les services. Dans une perspective comparative, les relations de travail en Suisse se distinguent par leur décentralisation au niveau des branches, voire des entreprises ainsi que par leur stabilité et leur caractère pacifique. Les collectivités publiques n’interviennent pas (sauf exception en cas de conflits importants) dans le déroulement des négociations collectives des syndicats et des organisations patronales, qui disposent d’une très large autonomie dans ce domaine.

A partir des années 1990, dans un contexte de stagnation économique, on assiste à une certaine remise en cause du contenu normatif des CCT (salaires et temps de travail) sous l’impulsion des milieux patronaux, qui revendiquent une plus grande flexibilité des réglementations du marché du travail. Ces changements suscitent l’opposition et la mobilisation des syndicats, mais sans grand succès. Cette période est marquée par un durcissement des relations entre syndicats et associations patronales. La flexibilisation des relations de travail se traduit par une décentralisation des négociations collectives, de la branche vers les entreprises individuelles. Cependant, le taux de couverture par les CCT des salarié·e·s du secteur privé reste stable, voire progresse légèrement. Dans ce contexte plus difficile, les syndicats recourent plus fréquemment à l’initiative populaire pour essayer de faire aboutir leurs revendications (réduction de la durée du travail, introduction d’un salaire minimum, augmentation de la durée des vacances), sans toutefois obtenir de majorités populaires.

L’entrée en vigueur en 2002 des Accords bilatéraux avec l’Union européenne sur la libre-circulation des personnes s’est combinée avec l’adoption de mesures d’accompagnement visant à lutter contre les risques de sous-enchère salariale et des conditions de travail suisses. Ces mesures (extension facilitée du caractère obligatoire des CCT, loi sur les ­travailleur·euse·s détaché·e·s, édiction de contrats-types de travail) ont partiellement contrebalancé les tendances à la flexibilisation des relations de travail telles qu’amorcées durant les années 1990. Les syndicats revendiquent de plus nombreuses extensions du caractère obligatoire des CCT afin de limiter les risques de dumping salarial.

Références

Aubert, G. (1989). Les conventions collectives et la paix du travail en Suisse. Revue internationale du travail, 128(3), 411-426.

Fluder, R. & Hotz-Hart, B. (1998). Switzerland : still as smooth as clock work ? In A. Ferner & R. Hyman (Eds.), Changing industrial relations in Europe (pp. 262-282). Oxford : Blackwell.

Oesch, D. (2007). Weniger Koordination, mehr Markt ? Kollektive Arbeitsbeziehungen und Neokorporatismus in der Schweiz seit 1990. Schweizerische Zeitschrift für Politikwissenschaft, 13(3), 337-368.

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