Prestations sociales sous condition de ressources
La plupart des prestations sous condition de ressources des trois ensembles cités sont de la compétence des cantons et communes, d’autres encore relèvent de la solidarité privée (aides de fondations p. ex.). Elles peuvent être financières ou en nature. Seules celles qui sont de ressort cantonal et communal ont un financement public, par la fiscalité, et constituent des transferts sociaux. Bien que constituant une dimension importante de la protection sociale, ces prestations ne font pas système. Certaines d’entre elles ont un caractère obligatoire découlant de dispositions fédérales : notamment celles qui permettent d’assurer l’accès aux prestations publiques de base (subsides à l’assurance-maladie, et bourses d’études et d’apprentissage), les prestations complémentaires AVS/AI qui complètent des prestations assurantielles, ainsi que les avances sur pension alimentaire et l’aide sociale. Celles qui n’ont pas ce caractère obligatoire n’existent que dans une partie des cantons. Bien que leur finalité soit la même, c’est-à-dire remédier au manque de ressources pour atteindre le minimum vital, toutes sans exception dépendent de cadres légaux, de réglementations et de modes d’application propres et différents, ce qui produit une grande hétérogénéité des aides elles-mêmes, comme de leurs conditions d’octroi. Pour ces raisons, mais aussi du fait de leur grand nombre, il est extrêmement difficile non seulement de les recenser exhaustivement, mais aussi de les comparer sur le plan national.
Une partie des prestations sous condition de ressources sont inventoriées depuis la fin des années 1990 par l’OFS. L’inventaire se concentre particulièrement sur les prestations de niveau cantonal, financières (en espèces), individuelles (se rapportant aux personnes), et régies par des cadres légaux permettant d’étudier leurs spécificités. Malgré ces précautions, le constat reste identique au fil des inventaires réalisés. De très nombreuses prestations existent dans les cantons en amont de l’aide sociale, et la disparité est très marquée entre les cantons. Notons d’une part la grande diversité dans l’existence même des prestations, et d’autre part s’agissant de celles qui existent dans plusieurs ou tous les cantons, de grandes variations du montant de l’aide, ainsi que des critères appliqués pour déterminer le droit à l’aide : diversité des seuils d’accès (limites de revenus), différences dans la prise en compte du revenu et de la fortune, différences de bases légales et de lisibilité de ces dernières, et enfin de grandes différences également dans la latitude laissée dans l’application des dispositions (stricte subsidiarité, ou prise en compte de cas de rigueur p. ex.).
Ces différences découlent du système fédéraliste helvétique, dans lequel les cantons, les communes, voire des instances privées, possèdent la compétence d’organiser des mesures assistancielles propres, pour lesquelles l’État fédéral se contente au mieux d’édicter le cadre des compétences ou des recommandations. Ainsi bon nombre de prestations sociales sous condition de ressources ont été créées et mises en œuvre selon la volonté des entités cantonales ou communales qui s’en sont saisies, et reflètent ainsi non seulement le contexte historique dans lequel elles ont été instaurées, les rapports de force politiques du moment, mais aussi une certaine vision de la protection sociale et de la solidarité. Il découle de cette situation que la garantie du minimum vital n’est pas assurée de manière uniforme en Suisse. Ce système continue à générer des différences au fur et à mesure du développement de nouvelles prestations sociales sous condition de ressources : c’est le cas, par exemple, avec les prestations complémentaires pour les familles, qui n’existent actuellement que dans certains cantons, et dont il n’existe pas de modèle unique.
Les prestations sociales sous condition de ressources sont une composante importante de la complexité et de l’opacité du système de protection sociale suisse. Si leur fonction ne pose guère question, leur organisation est source de grandes difficultés, et génère des différences voire des inégalités de traitement à différents niveaux entre des personnes qui ont des besoins analogues : en fonction du ciblage des aides, des critères appliqués et de la multiplicité des minima vitaux notamment, entre les habitant·e·s des communes d’un même canton, entre les habitant·e·s des différents cantons, etc. Plusieurs études successives de la CSIAS ont démontré des inégalités intercantonales sur le plan de la couverture du minimum vital des ménages menacés de pauvreté, en mettant en évidence les grandes différences pouvant en résulter pour un même ménage selon sa domiciliation, les aides à disposition et leur ordonnancement, ainsi qu’en fonction du système fiscal s’appliquant. Des dysfonctionnements, qui contreviennent à la justice sociale, sont mis en évidence : effets de seuils, reports de charges, effets pervers sur l’activité et pertes financières. Ces problèmes découlent notamment des grandes disparités des aides à disposition, mais encore plus de leur juxtaposition, de leur absence de coordination et du manque de prise en compte de leur implication notamment en matière d’imposition. Cette complexité est aussi source de non-recours à des prestations, par méconnaissance et/ou par la nécessité, pour pouvoir y accéder, de les demander et de prouver l’état de besoin.
D’un point de vue de politique sociale, le manque de coordination et d’harmonisation des prestations se révèle particulièrement problématique sur deux plans : sur le plan horizontal d’une part, c’est-à-dire entre les prestations (de même nature) mises en œuvre par les cantons ; sur le plan vertical d’autre part, soit entre les prestations sous condition de ressources et l’aide sociale, ainsi qu’avec la fiscalité, au sein d’un même canton. Cela a notamment conduit quelques cantons à aménager leur offre dans l’objectif de mieux agencer et coordonner leurs prestations sous conditions de ressources. Cet objectif nécessite d’intervenir sur différents éléments pris en compte pour obtenir ces prestations : harmoniser et unifier le revenu déterminant pris en compte, définir de façon uniforme l’unité d’assistance (ou unité économique de référence), et enfin hiérarchiser l’accès aux prestations sociales en définissant l’ordre de priorité dans lequel les prestations doivent être demandées.
Sur le plan national, de multiples interventions de milieux concernés et d’acteur·trice·s politiques plaident pour une révision en profondeur de l’organisation de l’aide sociale au sens large, qui permettrait de dépasser les dysfonctionnements et effets pervers de la juxtaposition de prestations qui prévaut, et d’assurer la garantie d’une couverture uniforme du minimum vital en Suisse. Une telle réforme, qui nécessiterait de renoncer en partie aux particularités du fédéralisme, passerait par l’harmonisation et la coordination, voire une intégration de toutes les prestations sociales sous condition de ressources, aide sociale comprise.
Références
Conseil fédéral (2015). Aménagement de l’aide sociale et des prestations cantonales sous condition de ressources : besoins et possibilités d’intervention. Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 13.4010 Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national « Loi-cadre relative à l’aide sociale » du 6 novembre 2013. Berne : Office fédéral des assurances sociales.Office fédéral de la statistique (Éd.) (s.d.). Aide sociale [Inventaire de l’aide sociale au sens large]. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/securite-sociale/aide-sociale.html