Entrée en emploi
En Suisse, dès l’âge de 14 ans il est possible d’exercer un emploi régulier, pour autant que dans le canton concerné la scolarité obligatoire s’achève avant l’âge de 15 ans révolus. Dans la majeure partie du pays toutefois, l’âge minimum requis pour exercer un emploi dans une entreprise est 15 ans. L’organisation de la formation postobligatoire en Suisse est historiquement centrée autour de la formation professionnelle. Ainsi, dès le début du secondaire II, les jeunes peuvent intégrer un emploi par la voie d’une formation professionnelle qui constitue la plus importante porte d’entrée en emploi sur le marché du travail. Actuellement plus d’une jeune personne sur deux effectue ce choix au niveau national. Toutefois, comme dans d’autres domaines, les différences intercantonales sont importantes : cette proportion est nettement plus élevée dans les cantons alémaniques que dans les cantons latins. En outre, la différence de genre dans la formation professionnelle initiale est importante : les jeunes femmes retardant davantage leur entrée sur le marché de l’emploi. La même tendance caractérise les populations d’élèves provenant de pays qui sont ethniquement différents du phénotype local. L’apprentissage n’échappe pas aux (perceptions quant aux) risques de discrimination présents sur tous les marchés du travail, y compris en Suisse.
Les voies de formation alternatives se caractérisent logiquement par une transition vers l’emploi qui s’avère généralement plus longue mais également moins linéaire que pour celles et ceux qui font un apprentissage directement après la scolarité obligatoire. Lorsqu’une jeune personne ne trouve pas immédiatement sa voie après la scolarité obligatoire, elle peut choisir une offre de formation transitoire ou opter pour un semestre de motivation (SEMO). Celui-ci fait partie intégrante des mesures actives du marché du travail de la loi sur l’assurance-chômage (AC). Ce semestre a été spécialement conçu pour les jeunes qui ne se sont pas encore forgé une idée précise de leur avenir professionnel, mais également pour celles et ceux qui sont en rupture d’apprentissage ou qui ont abandonné une des autres voies de formation du niveau secondaire supérieur. Au même titre que les stages professionnels de l’AC, généralement proposés aux jeunes qui ont terminé une formation, ou que les programmes spéciaux d’insertion professionnelle soutenus par l’aide sociale, l’objectif est l’intégration (ou la réintégration) rapide des jeunes sur le marché du travail. Cet objectif s’inscrit ainsi dans la logique des politiques d’emploi en Suisse qui, de manière générale, visent prioritairement l’insertion à court terme et expliquent, en partie, la bonne performance de la Suisse dans le taux de transition des jeunes vers l’emploi.
L’un des indicateurs importants pour évaluer dans quelle mesure les jeunes se trouvent en situation de vulnérabilité dans leur transition est la proportion de jeunes qui ne sont ni en formation, ni en emploi (NEET : not in employment, education or training). Il s’élève à 15 % en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE (OCDE, 2015). Les pays caractérisés par des systèmes de formation dits « classiques », comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France, sont légèrement au-dessus. Les pays dont le système de formation est fortement orienté vers l’apprentissage, comme la Suisse et ses voisins germaniques ou le Danemark, sont tous en dessous de la moyenne. En Suisse ce taux est inférieur à 10 %. Les mêmes tendances caractérisent les comparaisons internationales basées sur les taux d’emploi et de chômage des jeunes. Par contre, le taux de chômage des 15-29 ans reste structurellement supérieur à celui des personnes plus expérimentées en Suisse, comme dans la plupart des pays de l’OCDE, et est (au moins) deux fois plus élevé que pour les 30-54 ans.
Même après l’obtention de leur diplôme, les conditions d’emploi auxquelles les jeunes font face sont généralement plus défavorables que celles observées parmi les populations plus expérimentées. Que ce soit en termes de rémunération, de durée du contrat, voire d’adéquation en termes de compétences et qualifications. Pour les entreprises, averses au risque par nature, les jeunes représentent une plus grande inconnue que les personnes plus expérimentées. C’est aussi la raison pourquoi les plus jeunes se retrouvent dans le haut de la liste lorsqu’une entreprise doit réduire la taille de sa masse salariale. Les jeunes étant souvent considéré·e·s comme une variable d’ajustement entre la marche des affaires et l’emploi dans les entreprises. Ceci se reflète dans la proportion de jeunes qui entrent dans la vie active par le biais d’un emploi temporaire : en Suisse, plus d’une jeune personne sur deux en emploi âgée de 15 à 25 ans est sous contrat temporaire, deux fois plus que la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE.
Les indicateurs et recherches récentes sur la transition école-marché du travail confirment l’aggravation temporelle des désavantages cumulés par les jeunes relativement aux personnes plus expérimentées : plus grand risque de chômage ou de sous-emploi et plus grande vulnérabilité face aux chocs conjoncturels et aux changements structurels qui touchent le monde du travail. Ainsi, malgré une stagnation, voire une élévation de leurs aspirations, la position des jeunes sur le marché du travail s’est progressivement détériorée. Pour les jeunes ayant acquis une formation de niveau tertiaire, cette tendance est reflétée par la multiplication de stages mal rémunérés et rarement en adéquation avec leurs compétences et aspirations. En Suisse, ce groupe est davantage concerné par l’emploi non-standard que d’autres ayant obtenu une qualification via l’apprentissage.
La multiplication des formes de travail qui diffèrent des rapports de travail dits « normaux » depuis les années 1980 dans les économies industrialisées a accentué les inégalités entre les nouveaux entrants sur le marché et les populations expérimentées. Pour les plus vulnérables, la situation est devenue très critique avec l’érosion des normes et des valeurs qui a accompagné et renforcé les transformations de l’emploi. Celles et ceux qui renoncent prématurément aux études et à toutes autres formes d’apprentissage représentent potentiellement une population à risque, dépendante à long terme de l’aide sociale. Le diplôme de fin de secondaire II est ainsi devenu une condition minimale pour réduire les risques de chômage ou de précarisation.
Quel que soit le système de formation, l’évidence empirique montre que la transition école-marché du travail s’est considérablement allongée, notamment pour les jeunes qui accumulent des désavantages et/ou qui manquent de ressources ; le risque de démotivation et de marginalisation le long du chemin est grand et bien réel. La question de l’entrée en emploi se situe ainsi au croisement des politiques éducatives, de l’emploi et de l’aide sociale. Dans des sociétés de plus en plus tournées vers l’immédiateté des résultats et de l’information, les gouvernements ne sont incités ni à la patience, ni à prendre le risque d’évaluer correctement les politiques à partir desquelles une grande part de leur crédibilité est établie. Malgré le peu d’évidences empiriques quant aux impacts causaux des politiques implémentées dans les différents pays, il semble évident que seule une vision à long terme permettra de freiner l’allongement généralisé de la transition de l’école vers le marché du travail, y compris en Suisse.
Références
Organisation de coopération et de développement économiques (Éd.) (2015). Perspectives de l’OCDE sur les compétences : les jeunes, les compétences et l’employabilité. Paris : Editions OCDE.Secrétariat d’État à la formation, la recherche et l’innovation (Éd.) (2017). La formation professionnelle en Suisse. Faits et chiffres 2017. Berne : Secrétariat d’État à la formation, la recherche et l’innovation.