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Politique de la famille

Isabel Valarino


Première édition: December 2020

La politique familiale comprend l’ensemble des mesures et des dispositifs visant à soutenir et à promouvoir la famille : 1) Les mesures monétaires, telles que les allocations familiales, l’assurance-maternité, les bourses d’études, ainsi que la fiscalité des familles et les prestations complémentaires. 2) Les services aux familles, tels que l’accueil extrafamilial, le système scolaire et de formation et les services de conseil et de formation aux parents. 3) Les dispositions juridiques qui déterminent le cadre légal de la famille, ainsi que les droits et obligations de chacun des membres, par exemple en cas de mariage, divorce, séparation et de partenariat enregistré.

Au-delà de ces domaines spécifiques, les familles sont concernées par une multitude de politiques, notamment économique, de formation, de l’emploi, de retraite, de l’égalité, de l’enfance, de migration, de logement, de transports et de santé. Dans ce sens la politique familiale est transversale.

Le contexte institutionnel, politique et culturel suisse a induit un développement tardif et modeste de la politique familiale. Le facteur principal est la structure fédéraliste et le principe de subsidiarité. Tout domaine qui n’est pas de la juridiction de la Confédération tombe sous la responsabilité des niveaux inférieurs (cantons et communes). La subsidiarité implique aussi que la priorité soit donnée à l’initiative privée. D’une part, la famille est vue comme étant avant tout responsable du bien-être de ses membres. D’autre part, des organismes privés et sans but lucratif sont encouragés à fournir des services aux familles, ce qui dilue les responsabilités. Par ailleurs, d’autres facteurs ont également freiné l’essor de la politique familiale : la démocratie directe et le lent développement de l’État social ; l’équilibre des forces au Parlement en faveur de la droite ; l’adoption tardive du suffrage féminin ; ainsi que le pluralisme culturel et religieux.

On peut identifier six étapes de développement de la politique familiale au niveau fédéral. La première étape concerne la période préindustrielle où la politique familiale se résume aux aides éparses fournies par les églises et sociétés philanthropiques, notamment aux orphelin·e·s et mères célibataires.

Lors de la deuxième étape, avec l’industrialisation de la Suisse et les phénomènes d’urbanisation et de paupérisation qui l’accompagnent, émergent les premières mesures (étatiques mais aussi de la part des entreprises elles-mêmes) visant à réglementer le travail et à couvrir certains risques sociaux.

La troisième étape englobe les deux guerres mondiales et se conclut par l’adoption en 1945 d’un article constitutionnel sur la famille (article 34 quinquies, puis article 116 dans la Constitution de 1999). Cet article pose les fondements de la politique familiale fédérale. Il stipule un objectif général – prise en considération des besoins de la famille – et attribue des domaines de compétences spécifiques à la Confédération, notamment les allocations familiales, l’assurance-maternité et la construction de logements. Pour autant, à l’exception des allocations familiales dans le domaine agricole introduites en 1952, la plupart de ces mandats ne seront réalisés que bien plus tard.

Lors de la quatrième étape (1950-1980), ce sont les assurances sociales qui connaissent des avancées alors que la politique familiale est quasiment absente de l’agenda politique.

La cinquième étape (1980-2000) se déroule sur fond de changements sociaux importants, notamment la pluralisation des formes de vie familiales et l’augmentation de l’activité salariée des mères. La politique familiale devient plus visible dans l’administration fédérale, avec par exemple la création d’un service de coordination pour les questions familiales (1984) et l’institution d’une commission fédérale de coordination pour les questions familiales (1995) en tant qu’organe consultatif du Conseil fédéral. D’autre part, le dispositif juridique qui touche à la famille et ses membres est substantiellement modifié. Un article constitutionnel qui stipule l’égalité de droit et de fait entre l’homme et la femme, notamment dans le domaine de la famille, est adopté (1981). Le droit des enfants nés hors mariage est révisé (1979). Le droit du mariage institue l’égalité des conjoints (1988). La 10e révision de l’AVS introduit une bonification pour tâches éducatives dans le calcul de la rente qui valorise le travail familial (1997). Finalement, le droit du divorce est complètement révisé (1998). Par contre, des disparités régionales dans le domaine des allocations familiales continuent à exister et l’introduction d’une assurance-maternité fédérale rencontre des obstacles importants. Entre 1974 et 1999, quatre projets de loi sont rejetés en votation populaire.

La sixième étape commence dès les années 2000. C’est une période de modernisation durant laquelle les principales mesures de politique familiale fédérale (monétaires et de services) sont introduites. L’avancée la plus marquante a lieu en 2004, avec l’adoption d’une assurance-maternité de 14 semaines pour salariées et indépendantes (loi sur les allocations pour pertes de gain). En 2003, un crédit temporaire pour la création de places d’accueil extrafamilial pour enfants est adopté au parlement. Il fut renouvelé trois fois depuis lors. En 2006, une loi fédérale qui harmonise et augmente le montant des allocations familiales est acceptée en votation populaire. Des accords intercantonaux sont également conclus sur l’âge de la scolarité obligatoire (2009) et sur les bourses d’études (2013). Finalement plusieurs changements législatifs sont à relever : adoption du partenariat enregistré entre personnes de même sexe (2004), révision du droit du nom des époux (2011), introduction de l’autorité parentale conjointe (2014) et révision du droit d’entretien de l’enfant (2015).

Mis à part ce développement au niveau fédéral, un grand nombre de mesures qui touchent directement les familles restent de la compétence des cantons et/ou des communes. Il s’agit notamment de l’instruction publique, des structures d’accueil extrafamilial ainsi que des prestations complémentaires pour les familles à bas revenus.

Dans l’ensemble la politique familiale suisse reste comparativement modeste. Elle suit plutôt une approche dite « individualiste » où la famille est considérée comme une affaire privée : c’est à la famille d’assurer la prise en charge et le bien-être de ses membres. L’État ne doit intervenir qu’en dernier recours lorsque la famille ou le marché ont échoué. La Suisse consacre un pourcentage de son PIB à la politique familiale qui est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (1,9 % contre 2,5 % en 2011). Le taux de fréquentation des services de garde pour enfants en âge préscolaire est également en dessous de la moyenne alors que le coût de ces services pour les parents est significativement plus élevé que dans les pays voisins. La Suisse est également le seul pays européen à ne pas avoir de congé parental ni de congé d’adoption.

Un enjeu essentiel de la politique familiale concerne son influence sur les rapports de genre. Historiquement, la politique familiale s’est développée en prenant pour référence le modèle traditionnel de l’homme pourvoyeur de ressources et de la femme au foyer. Plusieurs dispositions de la politique familiale avaient pour effet de dissuader l’activité professionnelle des femmes. La taxation commune des couples mariés illustre bien ce phénomène. S’il est vrai que l’adoption récente de mesures de conciliation soutient l’activité professionnelle des mères, le temps partiel prévaut et le partage des tâches familiales et domestiques reste très genré. Parmi les mesures débattues actuellement qui comportent des enjeux importants pour l’égalité, on peut citer la fiscalité de la famille, le droit de la famille, le congé paternité et parental, le soutien aux familles à faibles revenus et la prise en compte des relations entre adultes et leurs parents âgés dans une politique des générations.

Un autre enjeu concerne le développement futur de la politique familiale. En effet, le partage des responsabilités entre différents niveaux politiques aboutit, en l’absence d’un concept global, à un manque de cohérence des mesures et à un problème de coordination des acteur·trice·s. Pourtant la centralisation de la politique familiale ne fait pas l’unanimité. Preuve en est l’échec en 2013 d’un article constitutionnel qui aurait étendu les compétences de la Confédération dans le domaine de la conciliation du travail et de la famille.

Références

Conseil Fédéral. (2015). Rapport du Conseil Fédéral sur la politique familiale : état des lieux et possibilités d’action de la Confédération. Berne : Office fédéral des assurances sociales.

Mätzke, M. & Ostner, I. (2010). Introduction : Change and Continuity in Recent Family Policies. Journal of European Social Policy, 20(5), 387-398.

Stutz, H., Mäder, U., Schassmann, H., Binder, H.-M., Kübler, D., Gerlach, I ... Wetzorke, P. (2004). Rapport sur les familles 2004 : structures nécessaires pour une politique familiale qui réponde aux besoins. Berne : Département fédéral de l’intérieur.

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