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Santé

Stéphane Rossini


Première édition: December 2020

La santé est une notion plurielle, aux contours multiples, associée étroitement à la représentation qu’on en a et au contenu qu’on lui attribue, à un moment donné et dans une société déterminée. Formellement, en 1948, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la définit comme un état de complet de bien-être physique, mental et social. Considérée jusque-là comme l’absence de maladie, elle est appréhendée désormais dans une acception large et évolutive. Ainsi, en 1986, la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé lui reconnait une nouvelle dimension : la capacité de l’être humain d’améliorer son état de santé. La santé se comprend dès lors non seulement en regard des systèmes organisés de dispensation des soins, des facteurs biologiques ou génétiques, mais aussi du cadre et des conditions de vie, qui influencent l’état de santé et le bien-être des individus. Parmi ces facteurs contextuels, on trouve la paix ou les situations de guerre, le statut social, le niveau d’éducation, l’activité professionnelle, le niveau de revenu, le logement ou la qualité de l’environnement.

Historiquement, la santé est longtemps appréhendée en regard de la pratique des soins. La relation médecin – patient y est prédominante, privilégiant l’approche curative au détriment d’une perspective de santé publique imposant d’accorder une importance prépondérante aux mesures préventives, donc à l’environnement sociétal. Conséquence, dans la conception de la protection sociale relevant des normes de l’Organisation internationale du travail en matière de sécurité sociale (OIT 102, 1952), la santé renvoie d’abord aux soins, à l’organisation de la prise en charge des malades, accidentés ou invalides. Pour la population, les réponses médicales et techniques, allouées dans le cadre d’assurances sociales réglant les conditions d’accès aux soins et les coûts vont de soi.

Les choix politiques et les bases légales qui en découlent définissent la géométrie et l’intensité de la solidarité, les dimensions publique ou privée de l’organisation, les modalités et critères d’allocation des ressources (adéquation, économicité, efficacité, qualité, évaluation, planification). Schématiquement, la configuration des systèmes de santé peut se résumer en trois catégories. 1) Le système national caractérisé par un accès de l’ensemble de la population à des soins financés exclusivement par les pouvoirs publics et l’impôt (Grande-Bretagne, Italie, Danemark). 2) Le système d’assurance-maladie régi par une législation définissant une offre mixte de prestations, publique et privée. Le financement des organes d’assurance-maladie y est basé sur des primes et des compléments publics ou patronaux (Allemagne, France, Pays-Bas). 3) Le système libéral : l’offre de prestations et la couverture d’assurance sont d’abord du ressort d’organismes privés, des régimes spécifiques pouvant couvrir des catégories particulières de la population (États-Unis).

Pourtant, depuis la fin des années 1980, l’évidence scientifique démontre les limites du seul système de soins à l’amélioration de l’état de santé de la population. Alors que les facteurs environnementaux contribuent pour beaucoup à l’état de santé de la population (hygiène, prévention, etc.), les soins absorbent toujours la quasi-totalité des ressources affectées à la politique de santé. Une prise de conscience émerge cependant pour repenser l’allocation des ressources du domaine de la santé de manière plus globale et cohérente. Il est désormais admis que tant le contexte au sein duquel vit l’individu que son statut socioéconomique ont un impact déterminant sur son état de santé. Les faits sont clairs : plus la position sociale d’une personne est élevée, meilleur sera son état de santé ; moins le statut socioéconomique est favorable, plus les indicateurs de santé sont mauvais : espérance de vie plus courte, plus petite taille à la naissance, davantage de mortalité infantile, plus de tabagisme et d’alcoolisme, moins d’exercice physique et plus de surcharge pondérale, plus de maladies cardio-vasculaires et chroniques (diabète, arthrite, hypertension, maladies du foie, des reins, maladies respiratoires), plus de maladies mentales et de suicides, moins d’accès aux prestations préventives.

La santé et les politiques qui s’y rapportent s’articulent autour d’un certain nombre de législations, qui expriment la reconnaissance des problématiques, traduisent les types d’actions menées et déterminent les objectifs et les moyens disponibles. La Suisse ne se distingue guère des autres pays développés par les champs d’intervention qu’elle privilégie et les lois fédérales qui s’y réfèrent : pensions aux personnes blessées ou mutilées au service militaire (1852) ; professions de médecin, de pharmacien et de vétérinaire (1877) ; travail dans les fabriques (1877) ; épidémies (1886) ; denrées alimentaires (1905) ; assurance-maladie et accidents (1911, puis LAMal, 1994) ; stupéfiants (1951) ; assurance-invalidité (1959) ; subventions pour la lutte contre les maladies rhumatismales (1962) ; commerce des toxiques (1969) ; imposition du tabac (1969) ; protection de l’environnement (1983) ; protection de l’air (1985) ; protection des eaux (1991) ; produits thérapeutiques (2000) ; transplantations (2004). De plus, des législations cantonales régissent la prévention et la promotion de la santé, le droit des patients, l’organisation des institutions et des acteur·trice·s sanitaires, ainsi que les modalités de gouvernance.

Le domaine de la santé est ancré dans les principes institutionnels que sont le fédéralisme, le libéralisme, la subsidiarité, la décentralisation et la démocratie semi-directe. Ainsi, par exemple, la législation sur l’assurance-maladie comporte une double dimension. La première se fonde sur une législation sociale obligatoire pour l’ensemble de la population (LAMal). La seconde octroie aux assureurs la possibilité de proposer des assurances complémentaires privées. Particularité helvétique, l’assurance sociale est financée par des primes par tête, ne tenant pas compte de la capacité économique de l’assuré·e ou du ménage. Des subventions sous condition de ressources viennent en aide aux assuré·e·s économiquement modestes qui en font la demande. Les compétences opérationnelles se situant essentiellement au niveau cantonal, la Suisse ne dispose pas d’« une » politique nationale de santé, globale et cohérente. Les cantons disposent d’une marge de manœuvre importante dans l’application des législations fédérales. En découlent des pratiques diverses, tant en ce qui concerne la philosophie d’intervention que l’offre et le niveau des prestations.

L’ampleur et la diversité du champ de la santé induisent des défis nombreux et complexes. Garantir à long terme la protection et la prise en charge de la santé par des mesures accessibles à tou·te·s et répondant au principe d’allocation optimale des ressources suppose une modernisation des mécanismes d’organisation et de gouvernance de la politique sanitaire. Ce défi de l’innovation, auquel est associé celui du renforcement de la solidarité, devra par ailleurs tenir compte des intérêts contradictoires qui caractérisent la posture et les attentes des acteur·trice·s concerné·e·s. Pensons au désir de l’individu d’obtenir les meilleurs soins possibles dans un secteur aux ressources limitées ou à la maîtrise des coûts et des primes d’assurance alors que les intérêts financiers des professionnel·le·s de la santé, des cliniques privées ou de l’industrie pharmaceutique peuvent induire une augmentation des coûts.

Plusieurs problématiques constituent aujourd’hui des enjeux majeurs pour, d’une part, réduire les impacts négatifs sur l’état de santé de la population et, d’autre part, garantir une prise en charge de soins de qualité et financièrement supportable, tant pour les personnes que pour les autorités publiques. Mentionnons, par exemple, la protection de la santé (physique et psychique) dans le domaine de l’emploi, le vieillissement démographique, les maladies chroniques, le travail en réseau et l’interdisciplinarité, l’amélioration des modes de vie (hygiène, pratiques alimentaires, activité physique et lutte contre l’obésité) ou l’accroissement des symptômes psychiques chez les adolescents et les jeunes adultes. Enfin, l’essor des technologies médicales et des technologies de l’information (cybersanté) contribuera également au développement des systèmes de santé.

Références

Martin, J. (2014). Prendre soin : un médecin engagé dans le monde. Bâle : EMH Éditions médicales suisses.

Observatoire national de la santé (Éd.) (2015). La Santé en Suisse. Le point sur les maladies chroniques : rapport national sur la santé 2015. Neuchâtel : Observatoire Suisse de la Santé.

Rossini, S. & Legrand-Germanier, V. (2010). Le système de santé : politiques, assurances, médecine, soins et prévention. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.

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