Chercher dans le dictionnaire

Inégalités de santé

Julie Page

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

La notion d’inégalités de santé découle du constat qu’il existe des différences sociales pour ce qui est de l’état de santé, du comportement de santé et des soins de santé. Il ressort de l’Enquête suisse sur la santé de l’Office fédéral de la statistique (OFS) que ces différences existent aussi en Suisse : les personnes à bas niveau de formation, bas statut professionnel ou bas revenu sont plus souvent en surpoids, se soucient moins de leur santé (p. ex. examens de dépistage, activité physique) et s’estiment généralement en moins bonne santé que les personnes ayant un statut socioéconomique plus élevé. De telles inégalités de santé s’observent pour pratiquement toutes les maladies, qu’elles soient physiques ou psychiques. En font partie notamment les plus fréquentes, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète sucré (diabetes mellitus), le cancer de l’estomac et des poumons, ainsi que la dépression et les troubles de l’anxiété, mais aussi la santé dentaire.

Ces inégalités de santé ne relèvent pas de différences entre les groupes les moins privilégiés de la société et les autres, mais d’un gradient social : plus un individu a une position socioéconomique défavorable, plus sa mortalité est élevée et sa santé mauvaise. Ces corrélations ont été mises en évidence dans de nombreuses études et leur pertinence a été prouvée pour les pays riches industrialisés, et donc aussi pour la Suisse. Le Black Report publié en Grande Bretagne dans les années 1980, et qui fit œuvre de pionnier, a pour la première fois donné des pistes pour expliquer les inégalités face à la santé. Encore débattues aujourd’hui et pour certaines développées, ces explications peuvent être résumées comme suit : l’approche culturelle-comportementale part de l’idée que les personnes à faible niveau de formation et statut professionnel inférieur partagent une « culture » qui favorise un comportement nocif pour la santé, comme la consommation de tabac et d’alcool, une mauvaise alimentation et un manque d’activité physique. Des études attestent toutefois que cette approche n’explique pas entièrement le gradient social dans le domaine de la santé. Il importe de considérer également les facteurs matériels et structurels comme la situation financière, les conditions de logement et de travail, ainsi que la situation familiale (approche matérielle). Un statut social inférieur va souvent de pair avec des conditions de vie et de travail préjudiciables à la santé. La recherche plus récente a en outre thématisé les déterminants psychosociaux du gradient social : les individus à bas statut social sont plus souvent exposés à des charges ayant un effet négatif sur la santé. En même temps, ils ont généralement aussi moins de ressources pour atténuer leur impact.

L’approche « parcours de vie » a gagné en importance ces dernières années. Elle analyse les effets des facteurs de stress et des ressources sur la santé d’un individu au cours de sa vie. D’autres déterminants susceptibles de générer des inégalités de santé sont en discussion mais n’ont été que peu étudiés à ce jour, par exemple l’importance de l’accès aux services de santé. À ce propos, on postule que les individus à bas statut social ont moins accès à des soins médicaux de qualité.

Pour les dimensions susmentionnées, on parle d’inégalités verticales. Des données empiriques révèlent également des inégalités horizontales, autrement dit des différences en fonction du sexe et de l’âge. Mentionnons l’espérance de vie plus longue des femmes, ou le risque plus grand pour les femmes que pour les hommes de souffrir de dépression. Inversement, les inégalités sanitaires peuvent induire des inégalités sociales, par exemple lorsqu’un individu ne peut travailler que peu ou pas du tout en raison de son état de santé avec, comme conséquences, un bas revenu, de mauvaises conditions de logement et l’isolement social. Même si les corrélations entre inégalité sociale et santé ne sont pas entièrement élucidées, l’état des connaissances est suffisant pour que l’on puisse dégager des pistes pour réduire les inégalités de santé – un défi aussi bien pour la société que pour le politique. Tous les individus devraient avoir les mêmes chances d’être et de rester en bonne santé, indépendamment de leur niveau de formation, de leur statut professionnel et de leur revenu. Cet objectif peut être atteint par la réduction des inégalités sociales. On pourrait commencer par lever les obstacles financiers et culturels, qui empêchent un accès équitable à la formation. Car sans bonne formation scolaire, sans bonnes qualifications professionnelles, les perspectives sur le marché du travail, partant, les chances de réaliser un revenu suffisant, sont mauvaises. Les inégalités économiques pourraient être réduites par le versement d’un salaire minimum légal et une redistribution financière au moyen d’impôts, de subventions, d’allocations sociales, etc. Les primes toujours plus élevées des caisses-maladie représentent une lourde charge financière, surtout pour les familles à bas revenu. De ce fait, les mesures de prévention ne sont pas assez sollicitées, ou le sont de manière peu ciblée. Il faut donc trouver des solutions pour que ces services demeurent abordables pour les membres plus faibles socialement, par exemple exempter du paiement des primes les enfants de ménages à faible revenu. Hormis ces mesures macrosociales, on pourrait également intervenir au niveau mésosocial, par exemple sur le comportement en matière de santé ou sur les facteurs matériels ou psychosociaux.

Dans son rapport Santé2020, le Conseil fédéral retient comme priorité politique le renforcement des compétences en matière de santé des groupes de population vulnérables, à savoir les personnes ayant un revenu ou un niveau de formation peu élevé, les personnes âgées, les enfants et les jeunes. Ces groupes vulnérables doivent pouvoir mieux s’y retrouver dans le système de santé grâce au renforcement de leurs compétences. Il s’agit non pas d’améliorer leur savoir théorique sur la santé et les maladies, mais de leur donner un savoir pratique qui leur permette de gérer la santé et la maladie au quotidien. De manière générale, la responsabilité personnelle des assuré·e·s et des patient·e·s doit être renforcée. Il ne faut pas oublier toutefois que le comportement en matière de santé n’est souvent pas, ou pas seulement, librement choisi, mais qu’il est aussi fonction des conditions de vie. Les mesures qui visent un changement de comportement doivent être adaptées aux groupes cibles. Pour que les interventions puissent atteindre leur objectif de réduction des inégalités, il importe d’impliquer activement les représentants des groupes cibles dans toutes les étapes des projets et programmes correspondants, de la planification à la mise en œuvre. Pour les mesures en faveur de personnes d’un certain âge, on tiendra par exemple compte du fait que ces personnes sont peut-être habituées à un style d’éducation et de formation autoritaire et passif-réceptif. Elles doivent donc d’abord apprendre et entraîner l’acquisition active et participative de connaissances – fondement de la compétence interactive en matière de santé. Mentionnons encore l’importance de travailler en intégrant le milieu ou setting. Ainsi, pour atteindre des groupes de population défavorisés au plan économique, qui se concentrent souvent dans des zones de logements à bas loyer, on s’adressera à eux dans le setting de leur quartier.

Références

Boes, S., Kaufmann, C. & Marti, J. (2016). Sozioökonomische und kulturelle Ungleichheiten im Gesundheitsverhalten der Schweizer Bevölkerung. Neuchâtel : Schweizerisches Gesundheitsobservatorium.

Cantoreggi, N. (2016). Pondération des déterminants de la santé en Suisse : étude réalisée dans le cadre de l’élaboration d’un modèle de déterminants de la santé pour la Suisse. Genève : Université de Genève.

Wilkinson, R. & Marmot, M. (2003). Social determinants of health : the solid facts (2nd ed.). Copenhagen : WHO Regional Office for Europe.

Retour en haut de page