Politique de la santé
Version originale en allemand
En Suisse, les politiques de santé trouvent leurs origines vers le milieu du XIXe siècle. Dominées par la médecine curative, elles privilégient la protection de la santé et l’accès aux soins, subissant l’influence de la médecine hospitalière. Les hôpitaux jouent en effet un rôle significatif dans le rétablissement de l’état de santé de la population jusqu’aux années 1980. Reconnus d’intérêt général, ils sont le cœur des politiques de santé, quand bien même les médecins « de campagne » s’activent avec beaucoup d’engagement mais avec des moyens limités pour soigner les populations. Apparaissent alors également les services de santé publique et les premières règles de police sanitaire. Au rang des préoccupations principales, on trouve l’hygiène publique (état sanitaire des eaux et des viandes), la santé du bétail et les professions médicales (médecins, sages-femmes, apothicaires). L’histoire de la médecine et celle des hôpitaux détermineront donc les contours des politiques publiques de santé. Plus tard, le développement de la chirurgie (anesthésie et antisepsie), les connaissances anatomiques et physiologiques, l’apparition des vaccins et des antibiotiques, puis de la psychanalyse ou l’essor de la profession d’infirmière marquent d’autres étapes dans la prise en charge des souffrances et des maladies.
Du point de vue institutionnel, depuis les années 1890, l’assurance-maladie sociale est constamment au cœur des développements de la politique de santé. Acceptée en 1911, elle ne cesse de faire débat, devenant obligatoire avec la loi de 1994 (LAMal). Au long du XXe siècle, d’autres législations compléteront l’appareil normatif. Il s’agit des lois fédérales sur les assurances accidents et militaire, les épidémies, les produits thérapeutiques, les transplantations, les denrées alimentaires, les stupéfiants, la recherche sur l’être humain, les professions médicales. Les lois cantonales sur les institutions sanitaires, les soins à domicile, la prévention ou le droit des patients complètent cet arsenal législatif.
Six problématiques récurrentes animent le débat sur la politique de santé et l’assurance-maladie. 1) La Solidarité. La justice sociale et l’égalité de traitement sont les principes qui concrétisent la dimension sociale du système. 2) La régulation. La loi confère une obligation de bonne gouvernance. La Confédération et les cantons édictent ainsi les instruments déterminant le niveau de l’offre de prestations (la planification hospitalière, p. ex.). 3) La qualité des prestations, indépendamment de la couverture d’assurance ou du domicile. 4) La réduction des multiples inégalités découlant du fédéralisme (offre et niveau des prestations, primes). 5) L’innovation. La rareté des moyens ne doit ni freiner le progrès, ni générer une médecine de riches et une de pauvres. 6) L’allocation optimale des ressources comme condition de bonne gouvernance : rationaliser avant de rationner.
Fédéralisme, libéralisme, subsidiarité, décentralisation, démocratie semi-directe et quête de consensus caractérisent le fonctionnement des politiques de santé. Si le fédéralisme attribue aux cantons un rôle central en matière de mise en œuvre des prestations, en vertu du libéralisme et de la subsidiarité, les acteur·trice·s privé·e·s ont une place prépondérante dans son organisation.
Parmi les compétences fédérales, mentionnons : la définition des règles de transparence et la surveillance des caisses maladie ; la définition des modalités d’application des normes de qualité ; la surveillance des médicaments et des dispositifs médicaux ; la procréation médicalement assistée et le génie génétique ; la transplantation d’organes et la biomédecine ; la sécurité au travail ; la formation et les professions de la santé ; la production d’informations statistiques et d’indicateurs ; partiellement la promotion, la prévention, protection de la santé (SUVA, p. ex.). Pour accomplir ses tâches, la Confédération s’est dotée de trois offices principaux : de la santé publique, des assurances sociales et de la statistique (de qui dépend l’observatoire national de la santé).
Les cantons sont principalement chargés de l’application du droit fédéral des assurances sociales et de l’organisation et la coordination du système de soins : hôpitaux, établissements médicosociaux, soins à domicile, médecine scolaire, services psychosociaux, services d’urgence et de sauvetage. De plus, ils délivrent les autorisations de pratiquer les professions de la santé, assurent la surveillance des établissements de soins et le contrôle des denrées alimentaires. Ils participent à la fixation des tarifs et au financement des prestations, ils assurent la production d’informations statistiques et d’indicateurs. Pour coordonner leurs activités et parler d’une voix unie face à la Confédération, les cantons sont organisés au sein d’une conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS).
L’évolution des politiques de santé s’inscrit au centre de plusieurs champs de tensions qui sont, en soi, des défis à relever. 1) Les attentes quasi infinies des individus alors que les ressources disponibles, publiques et collectives, sont limitées. 2) La dimension sociale et sanitaire des soins et les multiples intérêts économiques qui caractérise ce secteur. 3) Les mécanismes de régulation auxquels s’opposent les velléités d’une « privatisation » accrue du système. 4) L’exigence de solidarité et celle d’un renforcement de la responsabilité individuelle. 5) L’intégration des développements technologiques et les conséquences en termes de coûts et de gains effectifs pour l’état de santé de la population. 6) La rationalisation du système et le rationnement des soins.
Plus fondamentalement, la gouvernance des politiques suisses de santé pose problème. Complexité, compétences éclatées, pluralité des acteur·trice·s, incohérences, diversités et inégalités caractérisent un ensemble devenu inefficient, car sans pilote, sans objectifs explicites et partagés, sans vision globale uniforme. La perspective de gouvernance est donc désormais cruciale. Après le temps des combats sociaux, qui ont abouti à la reconnaissance politique des enjeux de politique sanitaire ; après celui de la structuration des organes d’application ; après celui du développement et des réformes, toujours en cours, des institutions sanitaires ; après celui de l’évaluation et de la qualité ; après celui des fulgurants progrès technologiques, le temps est venu du bilan structurel et systémique. C’est une étape cruciale et le moment de dépasser les rapports de force, les blocages idéologiques et les intérêts particuliers (de pouvoir et financiers) pour qu’au centre de l’action publique l’intérêt général retrouve sa juste place.
Références
Achtermann, W. & Berset, C. (2006). Les politiques suisses de santé : potentiel pour une politique nationale. Bern : Office fédéral de la santé publique.Organisation de coopération et de développement économiques et Organisation mondiale de la santé (Éd.) (2012). Examen de l’OCDE des systèmes de santé : Suisse 2011. Paris : OECD Publishing.
Rossini, S. (Éd.) (2014). La gouvernance des politiques suisses de santé. Lausanne : Réalités sociales.