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Contrat de prestations

David Giauque


Première édition: December 2020

Dans le sillage des réformes de type « nouvelle gestion publique » de nouvelles formes d’intervention étatique sont développées. Visant à une séparation plus stricte entre activités politiques ou stratégiques et activités administratives ou opérationnelles, les principes et outils de la nouvelle gestion publique favorisent le développement de nouvelles pratiques de délivrance des services publics. Aussi, assistons-nous à une décentralisation des activités étatiques, mais également à leur délégation et externalisation progressives, voire à leur privatisation. Autrement dit, la délivrance de prestations publiques n’est plus l’apanage des administrations publiques, qu’elles soient centrales (ou fédérales) ou locales (cantonales ou municipales). Ces phénomènes accompagnent un mouvement plus général dans la gestion publique : la gouvernance à distance.

En effet, de nouveaux outils de pilotage des organisations publiques sont apparus ces dernières années. Ainsi en est-il de la « gestion par mandat de prestations et enveloppe budgétaire ». De façon synthétique, cette forme de gestion permet d’administrer à distance les organisations publiques ou partenaires des autorités publiques centrales ou locales. Les autorités politiques négocient avec les organisations publiques ou partenaires un contrat. Dans celui-ci sont stipulés un certain nombre d’objectifs à atteindre ou prestations à réaliser, des délais dans le cadre desquels ils doivent être délivrés, bien souvent également des indicateurs (de qualité et de quantité) permettant d’évaluer la réalisation « adéquate » des prestations publiques. Il est accompagné par une enveloppe budgétaire qui stipule les ressources (humaines et financières) qui sont allouées à la réalisation des prestations figurant dans le contrat. Les contrats de prestations représentent donc un dispositif gestionnaire central en lien avec la tendance actuelle en matière de délivrance des prestations publiques.

En effet, la mise en œuvre des politiques publiques a subi des transformations importantes. La production et la réalisation de prestations publiques sont bien souvent déléguées à des partenaires se situant en dehors du périmètre traditionnel de l’État. Des associations, des fondations, des organisations à but non lucratif, mais également des entreprises privées sont sollicitées par les autorités politiques en vue de mettre en œuvre des politiques publiques, notamment dans le domaine des politiques sociales. Les crèches, dans les municipalités suisses, sont le plus souvent gérées et administrées par des associations. La prise en charge des personnes âgées s’effectue souvent dans des structures privées, des sociétés anonymes d’intérêt public. L’insertion professionnelle est également un secteur dont les principaux acteurs en matière de mise en œuvre des prestations font partie du secteur associatif ou du secteur privé. La prise en charge des requérant·e·s d’asile en Suisse est notamment déléguée à une entreprise privée, qui s’occupe de gérer des dizaines de centres d’hébergement, centres de transit et structures d’aide d’urgence. Le champ de la prise en charge des addictions est principalement l’œuvre d’associations. Autant d’exemples, non exhaustifs, d’externalisation de services publics en Suisse. À cet égard, le contrat de prestations, en tant que dispositif de gestion mettant en relation autorités politiques (fédérales, cantonales et communales) et prestataires de services publics, permet le développement de telles délégations de service et donc la privatisation de larges pans des services publics.

En Suisse, la délégation, l’externalisation, ou le contracting out ne sont pas des phénomènes totalement nouveaux dans la mesure où des relations entre public et privé ont toujours existé. La séparation entre sphères publique et privée n’est pas absolue et l’hybridation organisationnelle est bien souvent la règle. Ceci étant, ces pratiques se sont développées depuis les années 1980 à la faveur d’une idéologie politique inspirée des théories économiques dites « néoclassiques » considérant le marché et la concurrence comme les seuls mécanismes de coordination des activités humaines permettant d’obtenir une efficience productive maximale. En Suisse, les institutions propres à notre démocratie fédéraliste, fortement décentralisées, constituent un terreau particulièrement favorable à l’implication de partenaires externes à l’administration publique dans la délivrance des prestations publiques. Même si, par ailleurs, tous les pays de l’OCDE sont concernés par cette dynamique, à des degrés divers bien sûr eu égard aux caractéristiques de leurs institutions politiques et à leur tradition administrative. Aussi, le renouvellement de la manière dont les prestations publiques sont délivrées aux usager·ère·s-client·e·s est sous-tendu par une logique de « marchandisation » et rendu possible par des pratiques « commerciales ».

La gouvernance à distance, rendue possible par la « contractualisation », se développe également par le truchement d’autres procédés. Ainsi, les partenariats public-privé (ou PPP) correspondent à une volonté de faire participer des organisations du secteur privé au développement d’infrastructures publiques d’ampleur. Des PPP sont à l’origine de la construction de certains stades de football en Suisse (Aarau et Genève notamment). De multiples infrastructures peuvent ainsi voir le jour via des PPP, comme un centre de chirurgie ambulatoire (à Lausanne) ou encore une auberge de jeunesse (à Saas Fee). D’autres interventions étatiques peuvent contribuer à la création d’un « marché » dans des secteurs traditionnellement étatiques. Même dans les secteurs où la concurrence est a priori faible, il est possible de la stimuler. Il est ainsi possible de créer une concurrence, par exemple dans le domaine de l’éducation, en distribuant aux parents des vouchers (ou bons donnant droit à certains services) qu’ils peuvent faire valoir dans l’école de leur choix, qu’elle soit publique ou privée, en vue de la scolarisation de leur progéniture. Pour l’instant cette logique des vouchers en est à ses balbutiements et rares sont les pays à utiliser ces nouvelles techniques commerciales (certains États américains principalement) en vue de la fourniture des services publics. Dans d’autres cas, des systèmes de tarification standardisés peuvent agir comme incitatif. Dans le domaine hospitalier, le système de tarification « SwissDRG » (Swiss Diagnosis Related Groups) est un exemple de ce type d’aiguillon concurrentiel. Il correspond au système tarifaire national de rémunération des prestations hospitalières et attribue, de manière uniforme, une indemnisation des prestations hospitalières selon les forfaits par cas. Ce mécanisme tarifaire permet aux autorités politiques de comparer les établissements hospitaliers, en fonction de leur capacité à délivrer les prestations sur la base des tarifs prévus. Un « quasi-marché » est ainsi créé et une concurrence peut donc se développer entre établissements hospitaliers.

Le contrat de prestations est un dispositif de gestion qui permet ces nouvelles formes de délivrance des prestations publiques tout en favorisant une gouvernance à distance. Les critiques envers ces dynamiques sont également nombreuses. Elles soulignent, notamment, que ces dispositifs contribuent à l’augmentation des contrôles et à une bureaucratisation des activités des salarié·e·s. Elles évoquent le risque d’apparition d’une « indicatocratie » (ou gouvernance par les indicateurs) et soulignent que ce système de gestion s’inscrit dans une tradition de « taylorisation » des activités publiques, supprimant du coup une partie de l’autonomie professionnelle des salarié·e·s qui se trouvent en contact avec les usager·ère·s-client·e·s. Le contrat de prestations, ainsi que la nouvelle gouvernance qu’il favorise, est un dispositif managérial probablement appelé à être remplacé, comme tous les modes managériaux. En attendant, il est une pièce maîtresse de la nouvelle gestion publique.

Références

Dardot, P. & Laval, C. (2009). La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale. Paris : La Découverte.

Giauque, D. & Emery, Y. (2008). Repenser la gestion publique : bilan et perspectives en Suisse. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.

Linhart, D. (2015). La comédie humaine du travail : de la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale. Toulouse : Érès.

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