Inégalités Nord-Sud
Version originale en allemand
Les inégalités Nord-Sud ont d’importantes répercussions sociopolitiques pour la Suisse. D’une part, elle profite de l’importation d’un capital humain fiscalement imposable et d’un capital économique, ainsi que de produits bon marché en provenance du Sud. D’autre part, des voix critiques s’élèvent face à l’accroissement d’une main d’œuvre migrante moins qualifiée provenant d’horizons culturels lointains qui poserait des problèmes d’intégration et de surcharge financière de ses systèmes sociaux.
La théorie de la polarité du Nord global versus le Sud est moins connotée normativement que la typologie de la « théorie de la modernisation » qui différencie entre pays développés et pays en développement, la « théorie des systèmes mondiaux », qui différencie entre centre, périphérie et semi-périphérie, et la répartition, obsolète depuis la chute du communisme soviétique, entre premier, deuxième et tiers monde. Cependant, la polarité Nord-Sud est elle aussi controversée, car elle occulterait le fait que le Nord compte aussi des régions pauvres (p. ex. la Moldavie) et le Sud, des régions riches (p. ex. l’Australie).
L’écart entre le Nord et le Sud résulte d’une multiplicité de facteurs endogènes et exogènes qui influencent le développement d’un pays. À l’intérieur d’un pays, ce sont les facteurs politiques, institutionnels et culturels, la formation, mais aussi les facteurs économiques comme la disponibilité de matières premières et les inégalités socioéconomiques. Parmi les facteurs freinant le développement qui ont leur source hors du pays, mentionnons le colonialisme, l’asymétrie des relations commerciales et la fuite de capitaux. Concernant la mondialisation, les avis divergent. Alors que des économistes libéraux mettent en exergue les avantages de l’ouverture des marchés, ses détracteurs dénoncent le fait que ce sont avant tout les grandes entreprises du Nord et les élites politiques du Sud qui profitent du commerce Nord-Sud.
Le Human Development Report, publié chaque année depuis 1990 par le Programme des Nations Unies pour le développement, donne une bonne vue d’ensemble des inégalités Nord-Sud. Cette source de données présente toutefois le désavantage que les indicateurs ne renseignent pas sur les inégalités à l’intérieur des pays ni sur la qualité du régime politique. Elle permet néanmoins de détecter si les états nationaux convergent ou divergent par rapport au développement humain. De facto, les inégalités entre pays riches et pays pauvres ont diminué ces dernières décennies, surtout en ce qui concerne la formation, la santé, le taux d’alphabétisation et l’espérance de vie. L’évolution du Human Development Index – qui indique outre le PIB par habitant·e, l’espérance de vie et le niveau de formation (nombre moyen d’années de scolarité des personnes âgées de 25 ans, durée de formation prévisible pour les enfants) – montre que les pays accusant des valeurs de l’indice faibles à moyennes, notamment la Corée du Sud, l’Iran, la Chine et le Chili, ont le plus progressé depuis 1990. Dans le continent africain par contre les progrès sont faibles. Les pays aux valeurs les plus basses, surtout en Afrique subsaharienne, tendent plutôt à reculer pour ce qui est du revenu et de la pauvreté. Il s’avère en outre que la plupart des régions présentent certes moins d’inégalités au niveau de la formation et de la santé, mais aussi plus d’inégalités au niveau du revenu.
Au moins en lien avec le revenu et la fortune, il existe des analyses qui tiennent compte des inégalités aussi bien dans les pays qu’entre pays. Selon Milanovic (2016), l’inégalité globale entre les personnes est plus marquée que la plus haute inégalité mesurée à l’intérieur d’un pays. Cela s’explique surtout par le fait qu’au niveau mondial il n’existe pas d’instance qui, comme l’état social national, réduit les inégalités économiques. La propension à l’épargne étant plus grande parmi les personnes disposant d’un revenu élevé, il est évident que la concentration globale de la fortune est plus élevée encore que l’inégalité de revenu. Selon des calculs, le un pour-cent le plus riche de la population mondiale possède plus de 43 % de la fortune globale. À noter que la Suisse fait partie des pays avec les plus fortes concentrations de fortunes.
En termes de produit intérieur brut par habitant·e, la Suisse occupe les premiers rangs dans le système de classement international depuis le début du XXe siècle. Comme, en Suisse, l’inégalité de revenu est relativement modeste à la différence de la concentration de fortune, même des gens considérés comme pauvres en Suisse font partie de la classe supérieure à l’échelle du globe (après correction du pouvoir d’achat). D’après le Human Development Index, la Suisse fait clairement partie du Nord privilégié. En 2012, elle figurait au 9e rang du classement (sur 187 pays), en 2014 même au 3e (sur 188 pays), la Norvège occupant la première place les deux années.
Même si le Sud réduit son écart par rapport au Nord pour de nombreux indicateurs de développement, les inégalités entre le Nord et le Sud demeurent extrêmes pour ce qui est du revenu et surtout de la concentration des fortunes. On comprend alors aisément que les gens du Sud soient nombreux à vouloir émigrer dans les pays riches du Nord. Pour les pays du Sud, l’émigration est problématique si elle se limite aux travailleur·euse·s hautement qualifié·e·s (brain drain). Mais même alors, les pays pauvres peuvent en principe profiter de l’émigration si les émigré·e·s soutiennent financièrement leurs familles restées au pays (remittances). Pour la population des pays du Nord, les inégalités économiques ne présentent pas de problème tant que des emplois ne sont pas délocalisés dans les pays du Sud, que l’on profite de touristes fortuné·e·s, de migrant·e·s riches et bien formé·e·s, de la fuite de capitaux et, grâce aux bas salaires payés dans le Sud, de produits d’importation bon marché.
Au cas où la migration du Sud vers le Nord continuerait de croître et ne se limiterait plus aux travailleur·euse·s hautement qualifié·e·s et ayant une culture similaire à la nôtre, le climat social en Suisse pourrait se détériorer. Il faudrait alors s’attendre à une attitude de rejet grandissante à l’égard de migrant·e·s qui seront perçu·e·s non pas comme productif·ve·s, mais surtout comme concurrent·e·s sur le marché du travail, difficiles à intégrer et profiteur·e·s du système social. Les premier·ère·s visé·e·s par ces ressentiments de la part de franges de la population indigène sont les requérant·e·s d’asile peu qualifié·e·s, issu·e·s de contextes culturels complètement différents, que l’on soupçonne d’avoir quitté leur pays non pour des raisons politiques mais pour des motifs économiques. Ce que l’on oublie, c’est que les jeunes migrant·e·s qui exercent une activité lucrative participent eux aussi, avec leurs contributions de prévoyance, à la gestion des problèmes financiers de la prévoyance vieillesse dus à la structure d’âge de la population, et que les migrant·e·s, aussi bien légaux·ales que séjournant illégalement en Suisse (sans papiers), déchargent le coûteux système de care.
Références
Davies, J.B., Sandström, S., Shorrocks, A., Wolff, N. (2011). The level and distribution of global household wealth. The Economic Journal, 121(551), 223-254.Milanovic, B. (2016). Global inequality : a new approach for the age of globalization. Cambridge : The Belknap Press of Harvard University Press.
Programme des Nations Unies pour le développement (2013). Rapport sur le développement humain 2013. L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié. New York : PNUD.