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Éffets de seuil

Franziska Ehrler, Caroline Knupfer, Yann Bochsler

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Des effets de seuil peuvent se produire dans les systèmes fiscaux et de transferts sociaux, ainsi que dans les systèmes de prestations où les tarifs sont fixés en fonction du niveau de revenu. On parle d’effet de seuil lorsqu’une hausse du revenu provenant d’une activité lucrative se solde par une baisse du revenu effectivement disponible, parce qu’elle entraîne une brusque augmentation de la charge fiscale ou des tarifs ou une diminution notable des prestations sociales. Le revenu disponible d’un ménage est l’argent qui lui reste après déduction des frais fixes (loyer, primes d’assurance-maladie, éventuellement frais de garde des enfants) et des impôts. Les effets de seuil sont problématiques à deux égards. D’abord, si le fait d’augmenter son taux d’activité ou de chercher un emploi mieux rémunéré a potentiellement pour effet une diminution du revenu disponible, c’est l’incitation même à exercer une activité lucrative qui disparaît. Ensuite, un système d’imposition et/ou de prestations sociales qui présente des effets de seuil sera ressenti comme injuste tant par les bénéficiaires que par la population dans son ensemble avec, en corollaire, la remise en cause de sa légitimité.

Les impôts et les prestations sociales sous condition de ressources sont plus exposés aux effets de seuil que les assurances sociales, parce qu’ils dépendent davantage que les prestations d’assurance directement du niveau de rémunération actuel. Un effet de seuil se produit par définition lorsqu’une prestation est calculée par échelon de revenu. Dans un tel système, une légère hausse du revenu peut faire passer à un échelon de revenu supérieur, partant, induire une diminution notable des prestations. Des effets similaires s’observent dans des systèmes fiscaux à progression échelonnée. Moins un système compte de paliers et plus les paliers sont grands, plus l’effet de seuil est marqué. Par exemple, dans quelques cantons, les avances sur pensions alimentaires sont couplées à une limite de revenu fixe. Il s’ensuit que la personne dont le revenu est à peine inférieur à cette limite se voit verser l’intégralité de la prestation, tandis que celle qui gagne à peine plus n’y a pas droit du tout. Une augmentation minime du revenu peut donc générer une perte de plusieurs milliers de francs par année. Des systèmes plus nuancés (paliers de revenu plus petits et plus nombreux) ont des effets de seuil plus faibles. C’est le cas, dans de nombreux cantons, pour les réductions de primes et les tarifs de l’accueil extrafamilial, qui sont fixés en fonction des revenus. Des effets de seuil peuvent également se produire lorsque certains éléments ne sont pas pris en compte lors du calcul du droit aux prestations, mais qu’ils s’appliquent seulement ultérieurement au moment du calcul du montant de la prestation – dans l’aide sociale, par exemple, lorsque les éléments « prestations circonstancielles » ou « franchise sur le revenu » ne sont pas pris en compte dans le calcul du droit aux prestations.

L’effet de seuil n’est cependant qu’une incitation au travail négative parmi d’autres. Ainsi, une prestation qui diminue de manière linéaire (sans paliers), mais plus fortement que l’éventuelle augmentation de revenu, n’incitera personne à gagner plus. Ce cas de figure se présente notamment lorsque plusieurs réductions de prestations ou augmentations de contributions sont cumulées ou, plus concrètement, lorsqu’un revenu plus élevé conduit à la fois à une augmentation de la charge fiscale et à une diminution de la réduction des primes.

Les effets de seuil, et plus généralement les effets négatifs sur l’incitation au travail, peuvent être supprimés en partie ou intégralement par une adaptation structurelle des systèmes de prestations sociales et d’impôts. En principe, les prestations sociales et les systèmes fiscaux qui sont conçus sans échelons et qui intègrent tous les éléments déterminants dès le calcul du droit aux prestations ne génèrent pas d’effets de seuil. L’harmonisation des prestations sociales entre elles peut également contribuer à réduire les effets négatifs.

En Suisse, la problématique des effets de seuil a été traitée sérieusement pour la première fois en 2007, avec deux études de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Elle est alors devenue partie de l’agenda politique et matière à débat tant politique que scientifique. Suite à diverses initiatives politiques, plusieurs cantons ont examiné leurs systèmes de prestations sous l’angle des effets de seuil et d’autres effets négatifs sur l’incitation au travail et mandaté des études circonstanciées sur le sujet. Ces études ont relevé l’existence d’effets de seuil et les moyens de les éliminer, certaines allant jusqu’à chiffrer le nombre de personnes concernées. Les recherches de Bütler sur les frais de crèche et sur les prestations complémentaires (les deux en 2009) et de Bieri/Gysin sur les rentes de l’assurance-invalidité (2010) ont élargi le savoir relatif aux effets de seuil et effets négatifs sur l’incitation au travail à d’autres branches du système des prestations sociales. La thématique a également fait son entrée sous la coupole fédérale, d’abord avec un postulat du Conseiller aux États socialiste Claude Hêche (09.3161), qui déboucha sur un rapport détaillé concernant les effets de seuil et les effets négatifs sur l’incitation au travail dans les systèmes fiscaux et de transferts cantonaux, y inclus des solutions de bonnes pratique. Ensuite avec une motion concernant l’imposition des prestations d’aide sociale (10.3340), qui donna lieu à un examen approfondi des répercussions d’une imposition des prestations sociales et d’une exonération fiscale du minimum vital, avec une attention particulière portée aux effets de seuil et aux incitations.

Grâce à ces résultats scientifiques et interventions politiques, presque tous les cantons ont ajouté la question des effets de seuil à leur agenda politique. Plusieurs ont réussi à éliminer ou au moins à réduire les effets de seuil et plus généralement les effets négatifs sur l’incitation au travail en adaptant les systèmes de prestations sociales relevant de leur compétence. Quelques cantons, notamment en Suisse latine, ont adopté des lois qui garantissent l’harmonisation des différentes prestations sociales, et sont parvenus ainsi à mieux gérer les injustices inhérentes au système. Tant sur le plan cantonal que fédéral, la question des effets de seuil est désormais reconnue comme une thématique transversale devant être considérée lors de chaque réforme des systèmes fiscaux et de transferts.

Malgré les efforts consentis, certains systèmes fiscaux et de transferts cantonaux et fédéraux continuent à présenter des effets de seuil. Un besoin d’action existe notamment dans les domaines de l’aide sociale et des avances sur pensions alimentaires, mais aussi dans les cas où une prestation entraîne automatiquement d’autres contributions forfaitaires élevées. Par exemple, lorsque des bénéficiaires de prestations complémentaires pour familles ou d’aide sociale se voient systématiquement accorder la réduction de prime la plus élevée, ou que des allocataires de l’aide sociale sont exonéré·e·s de l’impôt sur le revenu, ou encore que des bénéficiaires de prestations complémentaires sont libéré·e·s du paiement des redevances radio/TV. Tous ces cas peuvent déployer des effets de seuil, dans la mesure où des ménages ayant une situation financière similaire ou légèrement meilleure n’ont pas droit à ces prestations supplémentaires et à ces allègements. Comme les effets de seuil peuvent être éliminés aussi moyennant une réduction des prestations (p. ex. par la suppression des prestations supplémentaires citées), le risque est réel d’une instrumentalisation politique de la question pour démanteler le système de prestations sociales. Après la première vague d’efforts politiques avant 2010, le défi consiste aujourd’hui à maintenir l’attention et le soutien des politiques concernant la question des effets de seuil et à trouver des solutions socialement acceptables. La suppression des effets de seuil est une condition clé pour des systèmes fiscaux et de transferts équitables et efficients. Il est important de tenir compte de la problématique des effets de seuil également lors de futures réformes du système, pour éviter l’apparition de nouveaux effets de seuil.

Références

Ehrler, F., Knupfer, C. & Bochsler, Y. (2012). Effets de seuil et effets pervers sur l’activité : une analyse des systèmes cantonaux de transferts sociaux et de prélèvements. Rapport de base en réponse au Postulat du conseiller aux États Claude Hêche (09.3161). Berne : Office fédéral des assurances sociales.

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