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Processus décisionnels en politique sociale

Silja Häusermann

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Sont qualifiés de processus décisionnels en politique sociale les procédures par le biais desquelles des normes contraignantes sont définies dans le domaine de la politique sociale. Dans le sens plus strict, il s’agit du processus législatif. Celui-ci ne comporte pas uniquement les lois (règles de procédure), mais aussi les acteur·trice·s impliqué·e·s et leurs interactions. Il est important de relever que les processus décisionnels en politique sociale ne concernent pas uniquement les normes formelles (lois, ordonnances, règlements) mais aussi les règles informelles qui guident l’action (corporatisme, consultations, etc.). Bien entendu, ces processus décisionnels, qui définissent de manière contraignante la politique sociale en Suisse, ont lieu à tous les niveaux de l’État, à savoir communal, cantonal, intercantonal, national et international. De surcroît, ils peuvent être de la compétence exclusive de l’autorité exécutive (gouvernement) ou inclure la compétence de l’autorité législative (Parlements, cas échéant, le peuple). Il en résulte une multitude de processus qui ne peuvent être présentés ici de manière exhaustive. Néanmoins, il existe des caractéristiques fondamentales des processus décisionnels en Suisse (p. ex. la redondance institutionnelle, le corporatisme, la concordance, l’intervention populaire) qui sont similaires dans leur tendance et s’appliquent à toutes les décisions importantes en politique sociale. C’est pourquoi cet article est consacré aux processus législatifs au niveau fédéral dans la politique sociale, mais ils sont en général valables en dehors de ce cadre.

Les processus décisionnels politiques en Suisse, particulièrement dans le domaine de la politique sociale, se distinguent par leur ouverture et leur redondance institutionnelle (selon Pascal Sciarini). Ouverture signifie que les différents stakeholders (partis, associations, organisations, personnes concerné·e·s, fournisseur·euse·s, etc.) ont des possibilités multiples d’apporter leur préoccupations et points de vue dans la prise de décision. L’ouverture est notamment garantie par les procédures de consultation, les commissions d’expert·e·s et les décisions populaires, rendues possibles par la démocratie directe. Redondance institutionnelle signifie que les décisions en politique sociale sont prises en plusieurs étapes consécutives séquentielles formant le processus décisionnel, et les décisions sont réévaluées en intégralité à chaque étape. Étant donné que les processus décisionnels en politique sociale revêtent en générale une grande importance et qu’un nombre considérable d’intérêts bien organisés sont présents dans ce domaine politique, ils équivalent aux étapes usuelles du processus législatif suisse : un avant-projet d’une décision est établi au sein de l’administration, puis soumis à consultation interdépartementale. Une fois finalisé, le projet est examiné par une commission d’expert·e·s qui, le cas échéant, peut modifier entièrement le projet. Les commissions d’expert·e·s sont constituées dans les processus décisionnels importants et se composent de représentant·e·s d’associations (en particulier les acteur·trice·s corporatistes des syndicats et des employeur·euse·s) et de représentant·e·s du pouvoir exécutif (administration) ainsi qu’éventuellement de représentant·e·s issus du monde scientifique. Le projet de la commission d’expert·e·s est ensuite soumis à une consultation ouverte, dans laquelle toutes les parties prenantes (individuelles et collectives) peuvent s’exprimer. La consultation délivre une première estimation sur l’éventuel succès de la procédure législative. Ensuite, le pouvoir exécutif (Conseil fédéral, Conseil d’État, etc.) adopte le projet qui sera remis au pouvoir législatif. Ainsi, la phase préparlementaire se termine et la phase parlementaire commence : le projet est discuté de manière alternée par les deux Chambres (niveau fédéral), d’abord par la commission compétente (en règle générale la commission de la sécurité sociale et de la santé publique), puis en séance plénière. Lorsque la procédure d’élimination des divergences entre les deux Chambres est terminée, le délai référendaire de 90 jours commence. Si aucun référendum n’a été lancé, le processus de mise en œuvre commence. Si au moins 50 000 signatures valides ont été collectées, le projet est soumis en votation populaire. Le processus est largement similaire à celui des initiatives populaires (qui requièrent 100 000 signatures) et des initiatives parlementaires (avec une phase préparlementaire plus courte).

Il est important de noter que, jusqu’à la fin des années 1990, la phase préparlementaire était de loin l’étape la plus longue, la plus importante et la plus influente de l’ensemble du processus décisionnel. Cela a été confirmé par de nombreuses études citées par P. Sciarini dans son ouvrage publié en 2014. En d’autres termes, seuls quelques rares aspects de projets en politique sociale ont été modifiés de façon significative au Parlement. Par conséquent, les associations (syndicats, employeur·euse·s) et l’administration étaient considérées comme les plus puissant·e·s acteur·trice·s de la politique sociale en Suisse, car ils influençaient les projets de manière déterminante. Durant les années 1990, un changement important a commencé dans les processus décisionnels en politique sociale : le Parlement a endossé un rôle de plus en plus actif et initiatique, par exemple en lançant ses propres projets de loi (comme les initiatives parlementaires qui ont mené à l’introduction de l’assurance-maternité en 2004 ou des aides financières fédérales pour les crèches en 2003), en modifiant radicalement des projets de réforme (comme lors de la 10e et la 11e (échouée) révisions de l’AVS en 1995 et 2004, dans le projet de « Prévoyance vieillesse 2020 » échoué en 2017, lors de la deuxième révision de l’assurance-chômage en 1995 ou lors de la 1er révision de la prévoyance professionnelle en 2003). Depuis la fin des années 1990, la politique sociale en Suisse est davantage dirigée par les partis politiques que par les associations et l’administration.

La recherche a constaté les motifs suivants pour expliquer ce changement : du côté des processus préparlementaires, on constate l’affaiblissement des associations (diminution du nombre de membres des syndicats, fragmentation des associations d’employeur·euse·s) et l’escalade des conflits dans les relations corporatistes. À cela s’ajoute le fait qu’après la « modernisation » de la politique sociale (individualisation, adaptation au divorce, structures instables du marché du travail et de la famille, etc.), les associations ont perdu des compétences parce que la politique sociale ne fait plus partie de leurs thèmes centraux. L’influence grandissante des parlementaires s’explique toutefois aussi par des facteurs issus du Parlement et des partis eux-mêmes : d’une part, le Parlement dispose d’une plus grande capacité d’agir grâce à des ressources renforcées (des commissions) ; d’autre part, la polarisation drastiquement intensifiée des partis politiques en Suisse a pour conséquence que les parlementaires sont moins consensuel·le·s et veulent se profiler sur leurs thèmes clés. L’activité accrue du Parlement est suivie de deux scénarios possibles, qui semblent se suivre du point de vue chronologique : jusqu’au début des années 2000, le Parlement était en mesure d’atténuer les conflits survenus durant la phase préparlementaire et de compléter le projet avec des compromis. Cette capacité à trouver des compromis a fortement faibli depuis le début des années 2000, raison pour laquelle de plus en plus de processus décisionnels en politique sociale ont échoué pendant la phase de référendum. Une chose est certaine : les processus décisionnels en politique sociale en Suisse sont aujourd’hui davantage marqués par la concurrence qui règne entre les partis politiques qu’il y a 10 ou 20 ans.

Références

Afonso, A. & Papadopoulos, Y. (2015). How the populist radical right transformed Swiss welfare politics : from compromises to polarization. Swiss Political Science Review, 21(4), 617-635.

Bonoli, G. (2014). Politiques sociales. In P. Knoepfel, Y. Papadopoulos, P. Sciarini, A. Vatter & S. Häusermann (Hrsg.), Handbuch der Schweizer Politik (S. 805-826). Zürich : NZZ Libro.

Sciarini, P. (2014). Processus législatif. In P. Knoepfel, Y. Papadopoulos, P. Sciarini, A. Vatter & S. Häusermann (Hrsg.), Handbuch der Schweizer Politik (S. 527-562). Zürich : NZZ Libro.

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