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Addiction

Urs Gerber, Marcel Krebs

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Dans le jargon spécialisé, l’usage du terme d’addiction gagne à nouveau du terrain sur celui de dépendance. L’usage du terme « dépendance » a été étendu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de lutter contre la stigmatisation des toxicomanes. On distingue généralement les comportements sans risque, les comportements à risque et l’addiction.

Dans l’ouvrage de référence Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) l’abus et la dépendance sont réunis sous l’appellation générique de « consommation abusive de substances » (alcool, tabac, cannabis, opiacés, stimulants). La distinction entre catégories qui existait jusqu’ici est donc remplacée par un modèle dimensionnel aux différents degrés de manifestation. Outre la consommation abusive de substances, le DSM-5 traite aussi de l’addiction aux jeux de hasard. D’autres addictions comportementales telles que la dépendance à Internet ou les achats compulsifs ne sont pas couvertes, les preuves scientifiques manquant pour l’instant. À noter néanmoins que l’annexe du DSM-5 introduit la catégorie de diagnostic internet gaming disorder (trouble du jeu sur internet).

L’addiction fait intervenir des changements temporaires et durables dans la perception, dans le vécu et dans le comportement de la personne. La dépendance implique des processus biologiques, psychologiques et sociaux. Par conséquent, un traitement purement médical ne suffit pas. L’addiction est un état aux facteurs multiples qui nécessite une action interdisciplinaire (médecine, sciences infirmières, psychologie, travail social).

Suite aux scènes de drogue ouvertes dans les années 1980 et 1990, la politique alors en vigueur des trois piliers (prévention, thérapie, répression) s’est enrichie d’un quatrième pilier, la réduction des dommages. Cette approche de harm reduction a entraîné un changement de paradigme dans les relations avec les dépendant·e·s. Dès lors il est devenu possible politiquement de distribuer des seringues stériles, de prescrire de l’héroïne et, dans un cadre plus large, de la méthadone et d’aménager des lieux de consommation avec point d’accueil et de contact. La Confédération a mis en œuvre des stratégies pour les addictions : le Programme national alcool, le Programme national tabac et trois trains de mesures destinés à réduire les problèmes de toxicomanie.

Depuis le début des années 2000, les spécialistes ont commencé à comprendre qu’il fallait remplacer les trois politiques séparées (lutte contre l’alcoolisme, la toxicomanie et le tabagisme) par une politique anti-addiction globale, cohérente et couvrant toutes les substances et comportements d’addiction.

Actuellement, il existe deux stratégies au niveau fédéral : la Stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles (stratégie MNT) et la Stratégie nationale Addictions (2017-2024). La Stratégie Addictions a pour objectif d’intensifier la promotion de la santé et la prévention des maladies et vise à coordonner les différentes politiques de lutte contre les addictions.

Les coûts directs et indirects de la toxicomanie pour la société sont énormes. Outre les dépenses en soins de santé et les poursuites pénales, la perte de productivité dans l’économie contribue à engendrer des coûts économiques. La toxicomanie a également des coûts indirects liés, par exemple, à la baisse de la qualité de vie, à la morbidité et à la mortalité. D’un point de vue de santé publique, le tabagisme et l’alcoolisme nécessiteraient des investissements beaucoup plus importants qu’aujourd’hui pour la promotion de la santé et la prévention.

Les addictions engendrent énormément de souffrance humaine. Elles limitent la qualité de vie non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour leur entourage et en particulier pour les enfants, les partenaires et autres membres de la famille. Ces personnes, mais aussi les ami·e·s, les collègues et même les groupes d’entraide doivent être impliqués davantage dans le champ professionnel du traitement de l’addiction. Pour les employeur·euse·s, il est recommandé de reconnaître suffisamment tôt les problèmes d’addiction de leurs collaborateur·trice·s. Le fait de les ignorer n’est pas un bon calcul. En revanche, la collaboration étroite entre services sociaux, médecins traitant·e·s et supérieur·e·s hiérarchiques a fait ses preuves.

La Confédération fixe les objectifs de la politique anti-addiction et ce sont les cantons et les communes qui la mettent en œuvre. Cela explique la diversité des processus et des modèles d’organisation qui existent en Suisse. Ceux-ci permettent de mener des projets pilotes qui améliorent la compréhension du problème.

Dans le domaine de l’alcoolisme, les caisses maladie prennent en charge les coûts des désintoxications et des sevrages. Pour les problèmes de drogue, elles ne remboursent que les frais de désintoxication, mais pas les traitements stationnaires de sevrage. Pour ces derniers, la personne ou la commune de résidence et donc, bien souvent, l’aide sociale, doivent mettre la main à la poche. Cela entraîne des disparités locales qui ont pour conséquence des inégalités de traitement.

Depuis la décision du Tribunal fédéral en juillet 2019, les maladies de dépendance donnent en principe droit aux mêmes prestations que les autres maladies mentales. Il reste à voir comment cette nouvelle réglementation sera mise en œuvre dans la pratique.

La Suisse a fait figure de pionnière avec la politique des quatre piliers. Le thème de la décriminalisation et/ou de la libéralisation (partielle) est aujourd’hui à l’ordre du jour dans la politique au niveau international. En Suisse, des projets de libéralisation partielle de la consommation de cannabis comprenant un suivi scientifique sont initiés dans les grandes villes (protection des jeunes, enregistrement des consommateur·trice·s, contrôle des quantités et de la qualité des substances distribuées, etc.). Toutefois, il n’existe pas encore de base juridique pour l’autorisation de ce type de projet par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Quant à la délivrance thérapeutique de cannabis, elle est en règle générale accordée, par exemple en cas de troubles du sommeil ou de douleurs ou comme stimulateur d’appétit dans les cas de cancer.

Cependant, l’intégration des toxicomanes sur le marché du travail continue de poser problème. Qui plus est, le vieillissement croissant des dépendant·e·s exige de nouvelles offres. On teste donc divers modèles : maisons de retraite spécialisées, placement dans des foyers pour handicapés et personnes âgées, aide à domicile, etc.

La loi suisse fait une distinction entre substances légales et substances illégales. Les spécialistes de l’addiction plaident pour une politique cohérente, orientée sur les dommages effectifs liés à la consommation d’une substance. L’alcool et le tabac, substances légales, ne sont pas traités de la même façon que les substances illégales par le droit pénal et les politiques de santé. Pour ces deux produits, la législation applicable à la publicité et à la commercialisation a par exemple été récemment libéralisée par le Parlement suisse.

La Suisse dispose d’un système de protection sociale bien développé, mais mal coordonné. Chaque composante du système applique en effet ses propres règles en matière de compétences. Les travailleur·euse·s sociaux·ales défendent les intérêts de leur clientèle vis-à-vis du système de protection sociale. Ils n’ont pas reçu de mandat officiel au sens de case management. Les spécialistes des diverses institutions telles que la médecine, la justice, les assurances sociales, la thérapie et le monde du travail ne travaillent souvent pas de manière coordonnée. Cette collaboration peut être largement améliorée. Pour améliorer cette mise en réseau et cette coordination, il serait judicieux d’offrir des formations interprofessionnelles de médecine, sciences infirmières, psychologie et travail social.

Le souci de réduction des coûts pèse aussi sur le financement de l’aide aux toxicomanes. En essayant de médicaliser les traitements, on cherche à transférer les dépenses engagées par le canton aux caisses d’assurance-maladie. La question de savoir à quoi doit ressembler le financement d’une aide interdisciplinaire aux toxicomanes, pertinente d’un point de vue professionnel, reste ouverte.

Références

Commission fédérale pour les questions liées aux addictions (Éd.) (2012). La politique drogue en tant que politique de société : un rétrospectif sur trente ans de politique suisse en matière de drogues, 1981-2011. Zurich : Seismo.

Conseil fédéral (2015). Stratégie nationale et plan de mesures addictions 2017-2024. Berne : Office fédéral de la santé publique.

Infoset – Le portail suisse d’information en ligne dans le domaine des addictions. https://www.infoset.ch

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