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Mesures d’incitation

Martine Zwick Monney


Première édition: December 2020

Sous le terme « mesures d’incitation » peuvent être regroupées toutes les mesures qui visent, principalement par des incitations financières, à stimuler l’activité des bénéficiaires de prestations sociales, que ce soit au niveau de certaines assurances sociales ou prestations sociales sous condition de ressources. L’objectif est double : d’une part, influencer le comportement des individus en les incitant à chercher, trouver et rester en emploi afin de tendre vers l’autonomie financière sans l’aide de prestations de l’État et, d’autre part, éviter des effets de dépendance aux prestations ou des phénomènes de « trappe de pauvreté », c’est-à-dire des effets de dissuasion à rejoindre le marché du travail.

Ces mesures sont prioritairement d’ordre financier. Elles s’adressent pour la plupart directement aux bénéficiaires. Par exemple, dans le cadre de l’aide sociale, le supplément d’intégration encourage les personnes à faire des efforts particuliers en faveur de leur insertion (formation, participation à des programmes d’insertion socioprofessionnelle, etc.). D’autres mesures s’adressent aux employeur·euse·s (l’allocation d’initiation au travail qui est une participation de l’assurance-chômage au paiement de l’employé durant sa période d’initiation ou encore le placement à l’essai dans le cadre de l’assurance-invalidité).

Les mesures d’incitation sont progressivement apparues à partir des années 1990 pour se renforcer dans les années 2000. Cette progression est à mettre en lien avec la montée de la théorie économique néoclassique dans le domaine social. Les politiques sociales sont pensées et orientées selon des modes de raisonnements économiques et des objectifs marchands. Même si la logique d’un État social solidariste basé sur la dette sociale et la responsabilité collective qui indemnise et protège dans une logique réparatrice est encore très présente, un nouveau modèle basé sur un État social activateur s’est progressivement développé en mettant l’accent sur la réciprocité, la contrepartie et la responsabilité individuelle. Ce dernier modèle se veut accompagnateur dans une logique incitatrice. Il gère des individus qui doivent prendre une place contributive dans la société et non pas rester à la marge sous les figures légitimes de l’inadaptation ou du handicap. En suivant cette logique, la protection et l’indemnisation sont des mesures « passives » qui déresponsabilisent les gens et ne les incitent pas à trouver des solutions autres que les prestations sociales.

La logique d’incitation n’a pas pour autant remplacé celle de la protection, mais s’est petit à petit installée dans certaines politiques sociales. L’assurance-invalidité en est un bon exemple avec l’évolution de la réadaptation. Si celle-ci a toujours été de mise, elle s’est transformée d’une réadaptation vue comme une réparation en une réadaptation plus focalisée sur l’incitation et la responsabilisation des personnes assurées devant fournir des efforts et mobiliser leurs capacités de travail. Dans l’assurance-chômage, l’introduction des mesures relatives au marché du travail puis la réduction de la durée d’indemnisation pour certains publics, notamment les jeunes, illustrent également cette tendance à tout mettre en œuvre pour que les bénéficiaires restent le moins longtemps possible dans une prestation d’indemnisation et soient incités à tout faire pour trouver une solution d’insertion. Enfin, l’aide sociale a elle aussi introduit différentes mesures dans le but d’inciter les bénéficiaires à s’engager dans une démarche d’insertion socioprofessionnelle, comme le supplément d’intégration mentionné précédemment ou encore la franchise sur le revenu provenant d’une activité sur le premier marché du travail.

Les mesures d’incitation sont souvent discutées et ceci tant au niveau du terrain de l’action sociale que du politique. Tout d’abord, cette logique incitatrice pose la question du mérite. La montée de la responsabilité individuelle dans les prestations sociales interroge la solidarité et ses fondements. De plus en plus de contre-prestations sont attendues de la part des bénéficiaires, c’est-à-dire que l’octroi des prestations est conditionné par des obligations en matière de recherche d’emploi ou d’amélioration de l’employabilité. Le contrat d’insertion est également employé pour fixer des objectifs d’évolution afin d’améliorer et stabiliser la situation personnelle du bénéficiaire en vue de son insertion. Les mesures peuvent également être négatives et donc utilisées comme des instruments de sanction (réduction des prestations pour augmenter le caractère contraignant de la contre-prestation). Ainsi, les questions de conditionnalité des prestations, de pénalisation ou encore d’astreinte à l’emploi sont soulevées. Se pose également la question de la marge d’appréciation des intervenants dans l’octroi ou non de ce type de mesures.

De plus, la logique d’incitation interroge la notion de faute comme celle de bonne foi des personnes aidées et met en évidence l’importance de la responsabilité ainsi que de l’initiative privée pour trouver des solutions d’insertion. Des bénéficiaires peuvent être suspectés de profiter des prestations. Abuse celui qui est passif, qui ne fait pas, ou pas suffisamment, d’efforts pour subvenir à ses besoins de manière autonome. L’incitation peut alors être ambivalente entre contrôle et aide. Ces mesures orientent le comportement individuel, mais plus largement le normalisent en définissant ce qui est souhaitable et acceptable.

Enfin, l’efficacité des mesures d’incitation est parfois contestée et les coûts mis en lien prioritairement avec la réussite en termes de sorties des prestations. Pourtant, les effets sont difficiles à mesurer, à chiffrer, à isoler d’autres facteurs d’insertion. Souvent, la focalisation sur la logique d’incitation se fait au détriment d’éléments constituant des obstacles déterminants au retour à l’emploi comme la montée des exigences sur le marché du travail ou encore la discordance entre l’offre d’emploi et la demande. La non-insertion est attribuée aux caractéristiques personnelles du bénéficiaire. Le contexte et les conditions de vie sont rarement pris en compte dans la compréhension de la situation face à l’emploi, ce qui accentue le poids de l’individu comme facteur causal. De plus, comme le souligne le bureau BASS, les analyses des effets incitatifs dans l’aide sociale ne tiennent que rarement compte du fait que les incitations financières interagissent avec des motivations non financières et que leurs effets dépendent fortement des modèles de perception des bénéficiaires, ces derniers n’agissant pas de manière aussi rationnelle que l’orthodoxie libérale le revendique.

Aujourd’hui, les enjeux de l’incitation s’étendent encore, notamment avec les défis pour les professionnels et les politiques de prendre en charge des individus qui ne trouvent pas de solution malgré l’incitation. Le postulat du « tout le monde est intégrable » est de plus en plus mis en doute, l’intégration devenant plus un état qu’un processus (Castel). Certains bénéficiaires restent durablement en insertion, non car ils n’ont pas de ressources et n’agissent pas, mais car leurs actions restent insignifiantes dans un contexte uniquement orienté vers l’insertion professionnelle. Cela demande alors de réfléchir non pas uniquement à l’intégration des individus à la société par l’emploi, mais aussi à la capacité d’intégration de la société, à la définition de la solidarité envers les individus en difficulté, à la place et la valeur accordées à l’emploi. Pour les politiques sociales, cela implique de continuer à développer l’incitation et la motivation des bénéficiaires à trouver rapidement un emploi. Mais, comme le mentionne l’OCDE, l’accompagnement et les débouchés sont également à renforcer. Les bénéficiaires, même motivés, peuvent rencontrer des difficultés à trouver un emploi s’ils ne sont pas guidés dans leur démarche. L’amélioration des débouchés est aussi nécessaire, notamment par une augmentation de la diversité des offres d’emploi. Ces dimensions étant interdépendantes, elles appellent à un renforcement de la collaboration entre les différent·e·s acteur·trice·s des politiques sociales et économiques.

Références

Castel, R. (2009). La montée des incertitudes : travail, protection, statut des individus. Paris : Seuil.

Dubach, P., Rudin, M., Bannwart, L., Dutoit, L. & Bischof, S. (2015). Évaluation des normes à caractère incitatif selon les normes CSIAS. Berne : Büro für Arbeits- und Sozialpolitische Studien (BASS).

Organisation for Economic Cooperation and Development (Ed.) (2016). OECD Employment Outlook 2016. Paris : OECD Publishing.

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