Lutte contre la pauvreté
Version originale en allemand
La couverture des besoins matériels de base est au cœur de la lutte contre la pauvreté. La Constitution suisse en pose le fondement juridique. Dans le préambule, elle retient que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, et à l’article 12, que quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. À ce jour, il manque toutefois une loi au niveau fédéral qui concrétise ce droit au minimum vital. Les directives élaborées par la Conférence suisse des institutions d’action sociale – les normes CSIAS – servent de référence. En fin de compte, la couverture des besoins de base sous forme d’aide sociale et d’autres prestations sous condition de ressources sont du ressort des cantons et des communes (v. concept « prestations sous condition de ressources).
Hormis la garantie du minimum vital, la lutte contre la pauvreté comprend aussi les mesures de prévention de la pauvreté et celles qui permettent aux personnes touchées de participer à la société. La formation, le logement, la santé, le travail de care, le travail rémunéré et la participation sociale sont les thèmes-clés de la prévention de la pauvreté. Hormis la Confédération, les cantons et les communes, les autres acteur·trice·s de la prévention et de la lutte contre la pauvreté sont les partenaires sociaux et les organisations privées, notamment des œuvres d’entraide.
Une bonne formation est une condition préalable afin d’obtenir un travail rémunéré garantissant l’existence. Or, les chances de formation ne sont pas également réparties en Suisse. L’origine sociale est, dès le départ, un facteur d’inégalité des chances qui n’est pas compensée par des réglementations. Un soutien précoce dans ce domaine peut contribuer à la réduction de la pauvreté. Plus tard également, la formation demeure un élément central de la prévention de la pauvreté. Un nombre croissant de travailleurs, hommes et femmes, perdent leur emploi faute de formation continue, deviennent chômeur·euse·s de longue durée, arrivent en fin de droit et tombent dans la pauvreté. La formation continue permet d’adapter les compétences aux exigences du marché du travail. Quant aux personnes non formées, il importe qu’elles aient la possibilité de suivre une formation de rattrapage qualifiante, qui leur permette de sortir durablement de la pauvreté.
Le travail rémunéré offre la meilleure protection contre la pauvreté. C’est pourquoi l’intégration professionnelle dans un emploi qui garantit la couverture du minimum vital est une mesure centrale de la lutte contre la pauvreté. Outre l’offre d’emplois, elle présuppose des salaires convenables, des conditions de travail favorables à la famille, des structures d’accueil extrafamilial et extrascolaire accessibles et abordables, ainsi qu’une répartition équitable du travail de care entre femmes et hommes.
La mise à disposition de logements avantageux permet également de prévenir la pauvreté. Des loyers avantageux déchargent le budget, et la construction de logements d’utilité publique, de par son effet d’inclusion, favorise la participation sociale de personnes touchées par la pauvreté.
La pauvreté peut aussi être causée par des problèmes de santé. C’est le cas notamment lorsqu’un travail rémunéré couvrant le minimum d’existence devient impossible à exercer en raison d’une maladie. Des mesures de promotion de la santé peuvent, à l’inverse, empêcher la pauvreté et stabiliser des situations précaires. La cherté des prestations de santé a également un impact sur les biographies de la pauvreté : on hésite à consulter un médecin par souci d’économie, avec les conséquences négatives que l’on sait en termes de traitement et de guérison. Un accès plus abordable aux prestations médicales contribue à la lutte contre la pauvreté.
La pauvreté va souvent de pair avec la solitude et l’isolement. D’où l’importance de mesures qui encouragent la participation sociale, par exemple des offres de loisirs gratuites pour les enfants et les jeunes ou des entrées au cinéma à prix réduit pour les adultes.
En Suisse, la pauvreté est devenue une thématique au niveau fédéral dans le contexte de l’Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (2010). L’impulsion avait été donnée en 2006 par une motion de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national. Cette intervention déboucha sur une conférence nationale sur la pauvreté et un programme national de lutte contre la pauvreté, élaboré conjointement par l’administration, le politique et la société civile. En mai 2013, le Conseil fédéral lança un programme quinquennal de prévention et de lutte contre la pauvreté, dans le but de définir les bases et les objectifs de ce combat et de mettre en réseau les principaux·pales acteur·trice·s, à savoir les cantons, les villes, les communes, les partenaires sociaux et des organisations non gouvernementales. Cependant, avec la décision du Conseil fédéral en 2018 de réduire considérablement les moyens pour la suite du programme, la nouvelle dynamique positive de la lutte contre la pauvreté subit un dur revers.
La lutte contre la pauvreté est un défi actuel à plus d’un égard. Premièrement, en tant que politique transversale, elle est un sujet complexe qui concerne non seulement la politique sociale, mais aussi les politiques de l’emploi, de la formation, économique, fiscale, de la migration et du logement. Pour réduire durablement la pauvreté, une approche globale s’impose donc. Depuis plusieurs années, les œuvres d’entraide appellent de leurs vœux des stratégies cantonales de lutte contre la précarité, étayées par des rapports, ainsi qu’un monitoring régulier au niveau suisse, pour dresser le bilan de la situation, définir des objectifs, identifier les mesures à prendre et documenter les avancées et les revers. Force est de constater qu’à ce jour seule une petite moitié des cantons rédige de tels rapports sur la pauvreté et le monitoring au niveau fédéral n’a pas été mis en place.
Deuxièmement, depuis plusieurs années, la couverture des besoins vitaux est soumise à une pression politique croissante. On critique les coûts des prestations sous condition de ressources, en négligeant le fait que la politique des impôts bas pratiquée par les cantons est coresponsable des caisses vides. Pourtant, les économies se font souvent au détriment des prestations sociales. Quelques cantons seulement connaissent une péréquation entre les communes. Récemment, plusieurs interventions cruciales en faveur de la prévention et de la lutte contre la pauvreté – comme le projet de loi-cadre sur l’aide sociale ou celui sur les prestations complémentaires pour les familles – ont échoué au Parlement. La lutte contre la pauvreté attend encore et toujours d’être institutionnalisée en tant que politique fédérale.
Troisièmement, les nouveaux risques de tomber dans la précarité attendent de nouvelles solutions. Le système de la sécurité sociale devra s’adapter mieux encore aux nouvelles réalités économiques et sociales. L’acception classique de la garantie du minimum vital par le salaire du chef de famille doit être remplacée par celle de la couverture des besoins individuels.
En comparaison internationale, la Suisse investit peu dans la lutte contre la pauvreté. Elle ne dépense que 1,5 % de son produit intérieur brut pour lutter contre la pauvreté des familles et des enfants, alors que les pays de l’OCDE y consacrent en moyenne 2,1 % de leur PIB (2013). Par ailleurs, la structure fédéraliste du pays induit certes ponctuellement de bonnes solutions régionales mais génère aussi des inégalités de traitement des personnes touchées par la pauvreté – un état de fait particulièrement choquant dans le domaine de la garantie du minimum d’existence.
En signant l’Agenda 2030 de l’ONU, la Suisse s’est engagée à réduire de moitié au moins sur son territoire la proportion d’hommes, de femmes et d’enfants de tous âges qui vivent dans la pauvreté dans toutes ses dimensions définies par chaque pays. Les nouveaux objectifs du développement durable créent un cadre de référence international pour la lutte contre la pauvreté dans la décennie à venir, en Suisse aussi.
Références
Almanach social, l’annuaire de Caritas sur la situation sociale en Suisse, publié annuellement depuis 1999.Assemblé générale des Nations Unies (2015). Transformer notre monde : Le programme de développement durable à l’horizon 2030, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 1er septembre 2015 (A/RES/70/1*). New York : Nations Unies.
Schuwey, C. & Knöpfel, C. (2014). Neues Handbuch Armut in der Schweiz (völlig neu bearb. Aufl.). Luzern : Caritas-Verlag.