Politique de l’emploi
Version originale en allemand
Contrairement à d’autres pays européens, où les approches keynésiennes ont pris pied après la Seconde Guerre mondiale, la conviction économique libérale prédominante, celle des partis de droite, est que la Suisse poursuit la meilleure politique de l’emploi si elle renonce à des mesures visant directement la promotion de l’emploi. Suivant la conception mainstream de l’économie, les mesures cherchant directement à augmenter l’emploi rémunéré, ou à atténuer sa réduction, telles que l’école (néo-)keynésienne les proposent, sont considérées comme des efforts bien intentionnés mais naïfs. Un tel dirigisme n’aboutirait qu’à conserver les structures existantes et serait donc contre-productif. Il est vu d’un mauvais œil par les tenant·e·s de l’approche mainstream qui lui préfèrent les mots d’ordre suivants : pas de politique de l’emploi directe via un renforcement du service public, pas de nationalisations en cas de faillites imminentes de grandes entreprises privées, pas de subventions dans le cadre d’une politique industrielle ou sectorielle active, pas de protection tarifaire ni de barrières commerciales (sauf pour l’agriculture), pas de protection contre le licenciement ni de salaire minimum, pas d’utilisation discrétionnaire du mécanisme de la dette publique dans la politique économique en dehors du cadre étroit défini par le frein à l’endettement. Le soutien quasi unanime des associations patronales de branche et des syndicats en faveur du chômage partiel est une position qui déroge partiellement à ces principes, alors même que de nombreuses études ont montré que cet instrument ne produit pour ainsi dire que des effets d’aubaine. En d’autres termes : des suppressions d’emplois déjà décidées sont au mieux un peu retardées par le chômage partiel.
En raison de leurs convictions (ordo)libérales, les partis de droite sont fondamentalement opposés à toutes les mesures de politique économique visant à influencer directement le nombre d’emplois. Pourtant, la finalité implicite de la politique de l’emploi fait l’objet d’un très large consensus social qui s’étend de l’extrême gauche à l’extrême droite. Par conséquent, l’objectif politique consistant à maintenir la participation la plus élevée possible de tous les groupes sociaux de personnes en âge de travailler (actuellement : entre 18 et 65 ans) au marché du travail capitaliste ne semble même pas nécessiter de débat. Cet objectif semble si évident que la nécessité de le légitimer ne s’est jamais imposée. Dans ce contexte, désigner la participation maximale au marché du travail comme un objectif politique semble trivial tellement cela va de soi. Le rapport 2012-2015, adopté par le Conseil fédéral, énumère les six domaines d’action de la politique de croissance. Le troisième de ces domaines préconise le maintien d’un niveau élevé de participation au marché du travail comme un objectif de la politique du marché du travail. Bien que cet objectif ne soit mentionné que dans ce troisième domaine, l’ensemble des six points du rapport vise, implicitement, à créer more and better jobs. De fait, la Suisse détient l’une des premières places en matière de participation au marché du travail de la population en âge de travailler. Elle connaît depuis la fin des années 1990 une forte augmentation tant du travail frontalier que de l’immigration.
C’est par le renforcement direct des facteurs permettant la croissance des entreprises que la politique de l’emploi indirecte est censé agir indirectement. L’État doit donc promouvoir ces facteurs. Dans cette logique, on espère que l’expansion des entreprises créera de nouveaux emplois qui viendront compenser voire dépasser ceux qui sont supprimés à l’occasion des transformations structurelles. Une telle politique de croissance se situe dans la droit ligne de la supply side economics. L’État est censé utiliser les ressources fiscales pour financer les biens publics de manière efficace, sans chercher à concurrencer les entreprises en proposant ses propres services publics. Ainsi, l’État fournit au secteur privé des « conditions-cadres attractives » : 1) Les charges financières découlant des activités étatiques seront réduites au minimum pour les entreprises en diminuant la taille de l’État social autant que possible et, surtout, en taxant les salaires et non les profits et bénéfices. De plus, les salaires sont imposés non pas de manière progressive, mais proportionnelle afin de ne pas décourager l’emploi. 2) Une sécurité juridique, immunisée contre toute forme de corruption, garantira les droits de propriété des biens matériels et intellectuels. 3) L’État finance des infrastructures fiables et modernes. 4) Le système de formation, apparemment pensé comme détaché du système économique, financé par des fonds publics mais mis en œuvre par des acteur·trice·s privé·e·s, fourni une relève appliquée, performante et motivée. 5) La fonction principale de ce système de formation, financé uniquement par l’État dans toute la mesure du possible, consiste aussi à fournir la relève performante nécessaire. 6) En plus de la promotion classique de la place économique suisse et de l’exportation, le soutien de l’État à la recherche et à l’innovation garanti le leadership technologique de la Suisse en tant que site de production (p. ex. par le financement des écoles polytechniques qui assurent le transfert de technologies au moyen de public private partnerships, ou par des fonds de lancement en faveur des start-ups). L’agence de promotion Innosuisse, soutenue par la Confédération, dispose d’un fonds de subvention que le Conseil fédéral exploite avec souplesse. Ce fonds peut aussi être utilisé officieusement, au cas par cas, dans le cadre d’une politique conjoncturelle axée sur la demande (comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2008/2009).
En Suisse, une politique de croissance explicite coïncide donc avec une politique de l’emploi implicite ou indirecte, laquelle se présente comme le seul type de politique sociale compatible avec l’impératif capitaliste de maximisation de la croissance économique. La condition de réussite sine qua non d’une telle politique de croissance est la mise en concurrence globale des sites économiques. Cette concurrence est dès lors perçue comme un fait de nature darwinien qui ne peut pas être aménagé et dont la pertinence ne peut pas être remise en question. On ne peut que se soumettre à ce fait de nature ou, à défaut, sombrer.
Lorsqu’on la compare avec l’Europe et le reste du monde, la Suisse est confrontée à un autre type de problème. En effet, tandis que la plupart des autres pays, du moins depuis la crise financière de 2008/2009 sont affectés par un chômage élevé des jeunes, une augmentation des contrats précaires, une généralisation des bas salaires et une augmentation de la dette publique, la Suisse s’est préoccupée, quant à elle, d’exploiter au mieux le potentiel de main-d’œuvre domestique et d’améliorer l’efficience de ses agences publiques pour l’emploi, ceci dans le but d’endiguer l’immigration de masse et de maintenir les accords bilatéraux I et II avec l’Uunion européenne.
Références
Conseil fédéral (2012). Politique de croissance 2012-2015 : rapport du Conseil fédéral. Berne : Confédération suisse.Organisation for Economic Co-operation and Development (Ed.) (2003). OECD Employment Outlook 2003 : towards more and better jobs. Paris : OECD Publishing.
Zimmerli, W., Malaguerra, C., Künzli, R. & Fischer, M. (2009). Zukunft Bildung Schweiz : Anforderungen an das schweizerische Bildungssystem 2030. Bern : Akademien der Wissenschaften Schweiz.