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Accords bilatéraux

Alexandre Afonso


Première édition: December 2020

Les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne (UE) sont une série d’accords qui règlent les relations entre la Suisse et les pays de l’UE dans de nombreux domaines, comme la libre circulation des personnes, la circulation routière, la fiscalité de l’épargne ou le transport aérien. Dans le domaine des politiques sociales, l’enjeu le plus important concerne la libre circulation des personnes, qui a entraîné le renforcement de la coordination des systèmes nationaux de protection sociale, ainsi que le développement de mesures pour protéger le marché du travail contre la sous-enchère salariale.

Le processus de négociation des accords bilatéraux a commencé au lendemain du rejet par le peuple de l’accord sur l’Espace économique européen en 1992. La première série d’accords (agriculture ; libre circulation des personnes ; marchés publics ; obstacles techniques au commerce ; recherche ; transport aérien ; transports terrestres) a été acceptée par 67,2 % du peuple le 21 mai 2000. Le deuxième volet (entre autres : Schengen-Dublin ; environnement ; fiscalité de l’épargne) a été conclu en 2004 et l’arrêté fédéral sur les accords de Schengen et Dublin a été accepté à 54,8 % en juin 2005. Suite à l’élargissement de l’UE à 10 nouveaux pays membres en 2004, puis à la Roumanie et la Bulgarie en 2007 et la Croatie en 2013, les accords de libre circulation ont été étendus à ces pays, avec des durées transitoires.

Le volet le plus controversé de ces accords a sans doute été celui de la libre circulation des personnes, dans la mesure où il a progressivement ouvert le marché du travail suisse aux travailleurs et travailleuses de l’UE, et mis fin au système de quotas d’immigration qui prévalait depuis les années 1960. Puisque les ressortissant·e·s de l’UE peuvent désormais venir travailler en Suisse sans restrictions, cela a créé un besoin de coordination entre les systèmes de protection sociale. Cette coordination repose sur 5 principes de base.

Le premier est que les cotisations sociales sont versées dans le pays du lieu de travail. Une personne n’est en principe soumise aux dispositions que d’un seul pays en matière de législation sociale. Ce principe est facile à comprendre dans le cas des travailleur·euse·s étranger·ère·s résidant en Suisse, mais il est plus compliqué pour ce qui concerne les travailleur·euse·s frontalier·ère·s ou détaché·e·s de manière temporaire en Suisse. Dans ce dernier cas, les cotisations peuvent être acquittées dans le pays de résidence.

Le second principe est celui de l’égalité de traitement, c’est-à-dire qu’une personne a en principe les mêmes droits et obligations que les ressortissant·e·s du pays dans lequel elle est assurée. Si ce principe semble aller de soi, il n’a pas toujours été la règle pour les personnes étrangères employées en Suisse, par exemple les titulaires de permis saisonniers ne résidant pas toute l’année en Suisse, dont l’accès aux programmes sociaux était limité.

Le troisième est la possibilité d’exporter les prestations à l’étranger. Par exemple, les rentes assurance-vieillesse et survivants (AVS) peuvent être versées à l’étranger si la personne a contribué à cette assurance en Suisse durant au moins une année. Il y a toutefois des exceptions concernant certaines politiques, comme l’assurance-chômage où les prestations ne peuvent être perçues qu’au maximum trois mois durant une recherche d’emploi à l’étranger. Les prestations du deuxième pilier peuvent également être perçues à l’étranger ; par le passé, le capital du deuxième pilier pouvait être perçu en espèces par les personnes qui quittaient la Suisse.

Le quatrième principe est celui de la totalisation, c’est-à-dire que la durée des cotisations effectuées à l’étranger est prise en compte dans le calcul des conditions d’octroi des indemnités sociales. Dans la perspective d’un marché du travail européen, cela évite que les personnes qui changent de pays soient désavantagées dans les programmes sociaux dont les prestations requièrent une durée minimale de cotisation (ce qui est le cas de l’assurance-chômage, p. ex.).

Le cinquième et dernier principe est l’obligation de coopération entre les États membres, notamment dans l’échange d’informations et le versement des prestations. Il faut noter que les révisions récentes de la loi sur l’assurance-chômage et de la loi sur les étrangers ont rendu plus difficile l’accès aux prestations sociales en Suisse pour les personnes étrangères afin de prévenir le « tourisme social », notamment en étendant la période de cotisation requise, et en permettant de retirer le permis de séjour aux personnes qui dépendent de l’aide sociale.

La deuxième implication importante des accords bilatéraux pour les politiques sociales concerne le système des relations de travail et la protection contre la sous-enchère salariale. Dans la mesure où l’on a mis fin au contrôle préalable des conditions d’emploi dans l’octroi des permis de travail, et où la Suisse ne possède pas de salaire minimum légal, les syndicats ont demandé des mesures d’accompagnement pour protéger le marché du travail contre la sous-enchère salariale. Ces mesures ont été acceptées à contrecœur par les associations patronales et les partis de droite, mais étaient une condition posée par la gauche pour soutenir les accords bilatéraux. Ces mesures ont consisté dans l’adoption d’une loi sur les travailleur·euse·s détaché·e·s, l’extension facilitée des conventions collectives de travail (CCT), la possibilité d’introduire des contrats-types de travail fixant des salaires minimaux, et le renforcement des contrôles par l’engagement d’inspecteur·trice·s des conditions de travail.

La loi sur les travailleur·euse·s détaché·e·s oblige, d’une part, les entreprises étrangères qui détachent des employé·e·s en Suisse à offrir les conditions de rémunération et de travail minimales en vigueur en Suisse. Ainsi, ce sont les standards du pays où la prestation est offerte qui prévalent. D’autre part, en cas de sous-enchère « abusive et répétée » (un terme laissé délibérément vague par le législateur, laissant une marge de manœuvre aux autorités de surveillance du marché du travail), les dispositions des conventions collectives peuvent être plus facilement étendues et rendues contraignantes dans une branche, un secteur ou une région déterminée. Dans les secteurs sans convention collective, les autorités publiques ont la possibilité d’établir des contrats-types de travail fixant des standards minimaux contraignants. Lors de l’extension de l’accord sur la libre circulation aux nouveaux pays membres, les partenaires sociaux ont par ailleurs négocié un système renforcé de mise en œuvre impliquant des commissions tripartites cantonales chargées de contrôler le marché du travail, ainsi que l’engagement de personnel d’inspection chargé de vérifier le respect des conventions collectives et des standards minimaux.

Notons qu’indépendamment des dispositions additionnelles pour lutter contre la sous-enchère, le nombre de conventions collectives étendues et rendues contraignantes a augmenté depuis l’introduction de la libre circulation. Un nombre important de petites entreprises dans des secteurs comme la sécurité ont cherché à obtenir l’extension des conventions collectives pour se protéger contre la concurrence d’entreprises étrangères qui pourraient pratiquer des salaires plus bas en l’absence de normes salariales contraignantes. Néanmoins, si l’on peut considérer que les accords bilatéraux ont entraîné un mouvement de re-régulation du marché du travail, l’efficacité de la mise en œuvre et la protection effective des conditions de travail dans un marché ouvert restent incertaines.

Références

Afonso, A. (2012). Employer strategies, cross-class coalitions and the free movement of labour in the enlarged European Union. Socio-Economic Review, 10(4), 705-730.

Church, C.H. (Ed.) (2005). Switzerland and the European Union : a close, contradictory and misunderstood relationship. London : Routledge.

Kahil-Wolff, B. (2016). La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale. In U. Meyer (Hrsg.), Soziale Sicherheit / Sécurité sociale (3. Aufl., S. 161-211). Basel : Helbing Lichtenhahn.

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