Travail de care (care work)
Version originale en allemand
Rémunéré ou non, le travail de care s’inscrit dans un contexte politique et sociétal que l’on peut appeler le système de care. Dans chaque système de care, on distingue quatre secteurs (avec leurs institutions correspondantes) : le secteur public (État), le secteur du marché (entreprises), le troisième secteur (organisations à but non lucratif) et le secteur des ménages (ménages privés). Partant de la situation en Suisse, nous esquissons ci-après les principales composantes du système de care, à savoir les systèmes de prise en charge et des soins.
Le système de prise en charge : Les enfants sont le plus souvent pris en charge gratuitement dans des ménages privés, en majeure partie par les parents, avec l’aide des grands-parents ou d’autres proches, d’ami·e·s, de voisin·ine·s et de connaissances. On fait appel à l’occasion, contre rémunération, à des mamans (papas) de jour, des baby-sitters, des personnes « au pair », etc. En dehors du secteur des ménages, l’offre de prise en charge payante des enfants (de 0-3 ans, de 3-6 ans, écoliers) est fort diversifiée dans les trois autres secteurs : crèches, jardins d’enfants, écoles primaires et secondaires, écoles à temps plein, garderies scolaires, structures d’accueil parascolaires, internats, foyers pour enfants, encadrement pour les devoirs et pendant les vacances, etc. – avec, parfois, l’appui de bénévoles non rémunérés.
Le système des soins : Aujourd’hui encore, une majeure partie du travail des soins en faveur de personnes malades, handicapées et âgées est assurée gratuitement par le ou la partenaire, des enfants adultes (le plus souvent les filles ou les belles-filles), d’autres membres de la famille, des ami·e·s et des connaissances. Les hôpitaux et les EMS fournissent le travail de care rémunéré dans le domaine des soins. Ces établissements, qui sont toujours plus gérés comme des entreprises privées, doivent faire face à une concurrence accrue et satisfaire à des critères d’efficience. Dans bon nombre d’entre eux, des bénévoles complètent l’offre de prestations payantes. Les organisations de soins extrahospitaliers (Spitex), en majorité des organismes d’utilité publique, prennent en charge l’aide et les soins à domicile. Les personnes qui en ont les moyens peuvent recourir en sus à un large éventail d’autres prestations payantes à domicile – aide au ménage, accompagnement de jour, entraînement de la mobilité, etc. – dont l’organisation et la coordination sont toutefois généralement assurées par des bénévoles.
L’aménagement et le financement des systèmes de prise en charge et des soins et d’autres offres de care relèvent de décisions politiques qui se fondent sur des normes sociétales (de genre). Chaque société doit savoir qui fournit quelles prestations de care nécessaires, quelles prestations devraient être fournies contre rémunération et lesquelles gratuitement. Un certain nombre de défis socioéconomiques se posent dans ce contexte, dont plusieurs sont décrits ci-après.
Division du travail entre les femmes et les hommes : Il est indéniable que les hommes s’investissent de nos jours davantage dans le travail de care, notamment dans la prise en charge des enfants. Toujours est-il que la division entre les sexes du travail de care, qu’il soit rémunéré ou non, demeure très marquée : les femmes en assument la majeure partie, avec des conséquences financières considérables, la vie durant. Des approches égalitaires visent un partage des tâches qui réduise les inégalités en rapport avec le genre, la classe sociale et l’origine, au lieu de les renforcer et de les cimenter.
Couverture sociale et décompte du travail de care : Le travail de care, surtout s’il est fourni gratuitement, n’est guère protégé socialement (travail de care informel). Certes, depuis la 10e révision de l’AVS (1997), les années consacrées à l’éducation des enfants et à la prise en charge d’adultes nécessitant des soins sont prises en compte dans le calcul de la rente AVS, mais cela ne suffit pas à compenser les désavantages financiers. Une autre méthode radicalement différente consisterait à prendre en compte des crédits de temps pour des soins et des prises en charge auxquels, plus tard, on pourrait recourir soi-même en cas de besoin (projets pilotes : ville de St-Gall et association KISS).
Financement du travail de care : En cas de coupes budgétaires et de réduction et privatisation de prestations de l’État social, le travail de care rémunéré est souvent (re-)délégué aux ménages privés. Il peut en résulter un renforcement d’inégalités sociales. En effet, si les ménages qui en ont les moyens peuvent employer des aides ménagères et du personnel soignant, les ménages à bas revenus en sont réduits à recourir à des prestations publiques sous-financées ou à des réseaux familiaux sur-sollicités.
Soins intensifs de longue durée et care migration : Comme la plupart des personnes âgées veulent rester à la maison le plus longtemps possible, la demande en soins de longue durée et en accompagnement 24 heures sur 24 augmente. Si ce travail de care intensif ne peut plus être accompli bénévolement et/ou que les services d’aide et soins à domicile ne suffisent plus, une lacune apparaît, surtout dans le domaine des soins intensifs de longue durée. Pour assurer ce travail, on embauche des femmes de pays à bas salaire (Europe de l’Est, Amérique du Sud, Asie, etc.). Une « solution » qui n’est guère durable car elle néglige la dimension globale du problème – même les pays de provenance des migrantes soignantes connaissent une pénurie de personnel dans ledit domaine.
Le travail de care en tant que secteur de croissance : Le nombre de personnes employées dans le care a constamment progressé ces dernières années. Cependant, si l’on transpose le travail de care non rémunéré dans le secteur rémunéré (commodification), le produit intérieur brut (PIB) augmente sans croissance concomitante du volume de prestations (pseudo-croissance). En outre, il est pratiquement impossible d’améliorer la productivité du travail de care sans que la qualité en souffre. La rationalisation dans ce domaine est donc fortement limitée comparé à d’autres domaines économiques.
Mouvement en faveur du travail de care : Des manifestes, des appels à la révolution du care, des grèves et autres phénomènes de mobilisation attestent de l’émergence d’un mouvement mondial qui vise à sensibiliser l’opinion aux problèmes, aux déficiences, aux conditions de travail (souvent mauvaises), à la faible rémunération et à la couverture sociale insuffisante du travail de care, et qui revendique des améliorations urgentes.
Références
Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (Éd.) (2010). Reconnaissance et revalorisation du travail de care : agir pour l’égalité. Berne. Confédération suisse.Modak, M. & Bonvin, J.-M. (Éd.) (2013). Reconnaître le care : un enjeu pour les pratiques professionnelles. Lausanne : ÉÉSP.
Razavi, S. & Staab, S. (Hrsg.) (2012). Global variations in the political and social economy of care : worlds apart. London : Routledge.