Regroupement familial
La Suisse a commencé à réguler la question du regroupement familial au niveau législatif dès les années 1980, sa réglementation ayant été jusque-là très peu développée. Auparavant, le statut de saisonnier ne donnait pas droit au regroupement familial, ce qui avait pour conséquence que les parents proches séjournaient souvent illégalement. Ce thème est aujourd’hui traité dans différentes lois, en particulier la loi sur l’asile, la loi sur les étrangers et l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Confédération suisse et la Communauté européenne et ses États membres.
La Suisse étant un État fédéral, la compétence en matière d’application des normes et des régimes du regroupement familial appartient aux cantons. Le droit fédéral prévoit des droits, respectivement des possibilités, de regroupements familiaux différents en fonction des statuts juridiques. Cependant, dans tous les cas, le respect d’un certain nombre de critères est nécessaire, par exemple un séjour régulier, un logement approprié ou des ressources financières suffisantes. La pratique des cantons révèle une grande diversité notamment dans l’utilisation et l’interprétation de concepts tels que « l’intérêt de l’enfant », les « raisons familiales majeures » ou encore les « besoins financiers ». Ce dernier critère a pour conséquence l’exclusion des bénéficiaires de l’aide sociale ou des personnes risquant de devenir dépendantes de l’aide sociale du droit au regroupement familial.
Une des particularités du régime suisse concernant le regroupement familial est qu’il contient une discrimination des citoyen·ne·s suisses par rapport aux ressortissant·e·s des États membres de l’Union européenne (discrimination à rebours). En effet, lorsqu’une personne suisse demande le regroupement familial en faveur d’un·e ressortissant·e d’État tiers, des conditions strictes s’appliquent (regroupement familial des enfants jusqu’à 18 ans uniquement, pas de regroupement des ascendants) alors que les ressortissant·e·s de l’Union européenne bénéficient d’un droit au regroupement plus large (enfants jusqu’à 21 ans ainsi que beaux-enfants et beaux-parents). Cette discrimination a pour conséquence des pratiques différentes suivant les normes juridiques qui s’appliquent.
Autre aspect essentiel développé par la jurisprudence et en particulier celle de la Cour de justice de l’Union européenne : le regroupement familial inversé. La question ici est de savoir si un parent étranger (regroupé) peut se baser sur le droit de séjour de son enfant mineur·e (regroupant) pour demander une autorisation de séjour. Durant plusieurs années, les autorités suisses ont refusé d’accepter cette possibilité mais, en 2009, le Tribunal fédéral a repris l’interprétation du regroupement familial inversé de la Cour de justice de l’Union européenne et a autorisé dans deux cas la délivrance d’un titre de séjour à des parents ressortissants de pays tiers dont l’enfant possédait la nationalité suisse. Dans ces décisions, les juges fédéraux ont surtout mis l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant selon la Convention relative aux droits de l’enfant et sa nationalité suisse qui lui permet de partir et revenir en Suisse.
Les débats autour du regroupement familial se focalisent sur deux questions. Tout d’abord celle de l’interprétation de la notion de famille et son traitement dans notre société. Cette question sensible se répercute sur l’interprétation du terme d’unité de la famille. Il s’ensuit que certaines réglementations prévoyant une définition stricte de la famille ont pour effet de laisser certains liens personnels sans protection. Un exemple actuel est la mise en œuvre de l’initiative populaire sur le renvoi des étranger·ère·s criminel·le·s, qui prévoit en général l’automaticité du renvoi avec des exceptions pour les cas de rigueur. Une telle pratique peut avoir de lourdes conséquences sur la vie familiale. La protection de la vie familiale, inscrite dans le droit international, est également remise en question par l’initiative populaire pour la primauté du droit national sur le droit international. Une dernière question est liée à l’augmentation des flux migratoires et à la séparation des familles pendant leur fuite. Le regroupement familial est d’une grande importance pour ces nouveaux·elles migrant·e·s et devient, de ce fait, une « cible » des partisans d’une politique migratoire restrictive.
Références
Amarelle, C., Christen, N. & Nguyen, M. S. (Éd.) (2012). Migrations et regroupement familial. Berne : Stämpfli.Amarelle, C. & Nguyen, M. S. (Éd.). Code annoté en droit des migrations (vol. II, Loi sur les étrangers LEtr). Berne : Stämpfli.
Dubacher, C. & Reusser, L. (2012). Le regroupement familial et les limitations au droit à la vie familiale. Berne : Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers.