Droit de la famille
Version originale en allemand
Le droit de la famille est influencé par des facteurs non juridiques en constante mutation – et vice versa. Les possibilités de la biotechnologie (tests génétiques, procréation médicalement assistée), l’évolution des pratiques éducatives, l’économie (pénurie de travailleur·euse·s qualifié·e·s), les mouvements migratoires et les nouvelles constellations familiales telles que les familles recomposées, sont à l’origine des tendances observées à la pluralisation. De plus, de nombreux domaines juridiques traitent de questions familiales : le droit privé, et plus particulièrement le droit de succession et le droit des personnes, mais également la loi sur la procréation médicalement assistée, le droit du travail, le droit fiscal, le droit de l’aide sociale, le droit des assurances sociales et le droit des migrations. Ainsi, les facteurs d’influence interdépendants se multiplient et créent un champ de tension qui oppose les réalités familiales vécues et une compréhension juridique fondée sur le statut.
Dans ce contexte, une série d’aspects posent problème : les reliquats de règles directement discriminatoires, les normes à l’origine d’inégalités de fait, les concepts de normes ancrés dans des stéréotypes de genre, la négligence des rapports interculturels, des pratiques façonnées par des clichés ou ne prenant pas suffisamment en compte les faits, mais également la faiblesse des infrastructures pour les familles (« la famille est privée »). Ces éléments sont l’expression et la conséquence de l’idéal de la famille conjugale unique.
Sur le plan sociopolitique, le droit suisse de la famille prévoit, dans le seul cas de la famille conjugale, une indemnisation complète pour prestations effectuées au sein de sa famille et entraînant une perte (partielle) de l’autonomie économique. Trois législations revêtent à ce propos une importance particulière : le droit de l’entretien (après le mariage ; séparation ou divorce), le régime matrimonial ainsi que le partage de l’avoir de prévoyance professionnelle. La notion d’entretien englobe l’ensemble des besoins vitaux d’une famille et de ses membres. On distingue les obligations et les contributions d’entretien, l’entretien sous forme de prestations en espèces (pension alimentaire en liquide) et en nature (prise en charge et tenue du ménage), l’entretien pendant et après le mariage ainsi que l’entretien de l’enfant. Le droit de l’entretien est régi par divers principes et la pension alimentaire est calculée à l’aide de diverses méthodes. Quant au régime matrimonial, il règle les effets du mariage sur les biens des époux et leurs prétentions respectives concernant les biens préexistants ou acquis pendant le mariage. Le partage de l’avoir de prévoyance professionnelle, enfin, garantit un droit individuel à l’épargne du deuxième pilier.
Toutefois, on doit noter des déficits dans les domaines couverts par la loi. Ainsi, aucun montant minimum pour une pension alimentaire adéquate pour enfants n’est fixé (p. ex. à hauteur du maximum de la rente simple d’orphelin) et les arguments relatifs à l’entretien sont souvent avancés de manière incongrue. La notion d’« entretien » désigne le plus souvent le seul entretien en espèces, alors que trop peu d’attention est accordée à l’entretien en nature. D’autre part, la répartition unilatérale du déficit est fondamentalement intenable. Le déficit désigne la différence entre les ressources disponibles et les besoins de l’ensemble des membres de la famille. Selon le principe de la répartition unilatérale, le déficit est supporté par la personne ayant droit à la pension alimentaire en espèces (en règle générale la personne ayant la garde de l’enfant, très majoritairement la femme). Cette personne sera alors plongée dans une situation de pauvreté et devra dans ce cas solliciter l’aide sociale, tandis que la personne tenue de verser la pension alimentaire en espèces (généralement la personne qui exerce une activité rémunérée, très majoritairement l’homme) conserve son minimum vital. Le partage du déficit est désormais revendiqué. D’autres aspects sont problématiques dans une logique de protection sociale, comme la dérogation au principe du partage par moitié des fonds de prévoyance ou encore l’importance centrale accordée à la mère dans le droit de la filiation.
Un droit de la famille fondé sur un modèle familial exclusif risque d’ignorer les principes directeurs (en particulier le bien de l’enfant, la liberté de choix, l’égalité) et les réalités. En effet, les responsabilités familiales sont, aujourd’hui, assumées dans une diversité d’arrangements. En se concentrant sur l’état civil, le travail de care effectué et les responsabilités familiales réelles ne sont pas suffisamment pris en compte, que ce soit dans le cadre ou en dehors du droit de la famille. Cette situation est particulièrement problématique en raison de l’absence de réglementation de la communauté non maritale.
Certes, le modèle de la famille conjugale unique s’érode aussi juridiquement, comme l’illustrent ces exemples : l’autorité parentale conjointe s’applique désormais de manière générale après le divorce, mais pas en cas de concubinage. Depuis le 1er janvier 2017, le Code civil prévoit une contribution pour la prise en charge de l’enfant en cas de concubinage : l’enfant a ainsi droit à des prestations d’entretien qui comprennent les coûts de sa prise en charge par l’un des parents. Pour le bien de l’enfant, la possibilité de la garde alternée (résidence alternée) doit être examinée dans le but de stabiliser la relation de l’enfant avec ses deux parents après une séparation. L’échange d’informations (en particulier concernant la filiation génétique ; nouveau système d’information dans le triangle de l’adoption) gagne en importance car la présence de différents systèmes familiaux est admise. L’adoption de l’enfant du ou de la partenaire devient possible aussi dans les partenariats entre personnes de même sexe. Et enfin, les libertés de choix sont élargies (p. ex. révision du droit du nom).
Ainsi, les évolutions des formes de famille concrètes impactent le droit formel, bien qu’uniquement de manière ponctuelle. La dynamique des relations et des phases de la vie devrait mieux être prise en compte par les procédures administratives et les institutions (en particulier, via la mise en place de tribunaux de la famille et de la médiation linguistique et culturelle), mais aussi grâce au développement de conditions-cadres structurelles.
En ne protégeant plus seulement la famille conjugale (protection institutionnelle), les sphères économique et familiale ne sont plus strictement séparées. Les prestations familiales ne sont ni purement privées ni purement immatérielles, mais représentent un garant de la solidarité et une base de l’efficience économique. Elles sont indispensables pour l’ensemble de la société. Les prestations familiales sont fournies dans un vaste éventail d’arrangements, les relations familiales étant en constante évolution. Par conséquent, une approche relationnelle peut être judicieuse pour définir (le droit de) la famille : le droit de la famille vise à protéger la relation en tant que telle (alors que d’autres relations juridiques visent la réalisation d’autres objectifs). L’objet du droit de la famille est la réglementation de relations interpersonnelles spécifiques incluant des obligations de soin et des responsabilités particulières.
Références
Contributions du symposium Avenir Familles du 24 juin 2014 à l’Université de Fribourg (2014). FAMPRA.ch. La pratique du droit de la famille, 4, 779-1008.Pfaffinger, M. & Hofstetter, D. (2015). Umsetzung von Art. 16 in der Schweiz. In E. Schläppi, S. Ulrich & J. Wyttenbach (Hrsg.), CEDAW : Kommentar zum UNO-Übereinkommen über die Beseitigung jeder Form der Diskriminierung der Frau (S. 1211-1250). Bern : Stämpfli.
Schwenzer, I. (1987). Vom Status zur Realbeziehung : Familienrecht im Wandel. Baden-Baden : Nomos.