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Intégration dans le contexte de la migration

Esteban Piñeiro

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

L’intégration peut se rapporter à différents phénomènes sociaux, à des individus, des groupes, des organisations ou des États-nations. Tandis que le terme d’« intégration systémique » fait référence à l’intégration des institutions dans des réseaux tels que le marché, les médias, la politique, ou désigne la cohésion d’une société dans son ensemble, le terme d’« intégration sociale » (selon Lockwood) renvoie à l’intégration ou à l’insertion d’acteur·trice·s individuel·le·s avec leurs intentions subjectives et leurs relations dans des systèmes existants ou dans des contextes sociaux donnés. Dans le domaine de la migration, on utilise le plus souvent le concept d’intégration sociale. Celle-ci désigne très généralement l’intégration la plus équitable possible des migrant·es dans les sous-systèmes de la société (culture, école, marché du travail, politique, sécurité sociale). Hartmut Esser distingue quatre variantes de l’intégration sociale : la culturation (connaissances et compétences), le positionnement (position sociale ou professionnelle, absence de discrimination), l’interaction (orientation mutuelle des acteur·trice·s, construction de relations par des actions) et l’identification (relations intellectuelles et émotionnelles dans un système ou un collectif, valeurs). La distinction entre intégration et assimilation, proposée par Hans-Joachim Hoffmann-Nowotny, est également très courante. Ce dernier conçoit l’intégration comme une participation aux valeurs, aux biens et aux positions (statutaires) des systèmes sociaux. Les concepts d’assimilation et d’acculturation, qu’il utilise comme des synonymes, se réfèrent par contre à l’adaptation culturelle. Selon lui, l’assimilation exige une intégration réussie. Sont cruciales à cet égard la réceptivité et l’ouverture d’esprit de la société d’accueil.

Depuis le milieu des années 1990, la notion de l’intégration a considérablement gagné en importance dans la recherche et dans les programmes gouvernementaux en matière de migration. Tandis que la question de l’intégration avait été longtemps laissée aux institutions sociales, elle est aujourd’hui considérée comme une tâche essentielle de l’État. Le postulat de l’intégration a d’abord pris de l’ampleur dans les grandes villes suisses en quête de réponses aux crises économiques et aux défis sociétaux. Pour beaucoup de spécialistes, les discussions relatives au choix d’un modèle cantonal amenaient une nouvelle vision. On passait des techniques sociales obsolètes appliquées aux travailleur·euse·s étranger·ère·s immigré·e·s à une politique d’intégration orientée sur l’amélioration de la situation juridique et sociale de la population étrangère. La Confédération a, à son tour, commencé à postuler l’idéal émancipateur d’une participation égale des personnes de nationalité étrangère à la société.

Alors que, à l’époque de la première loi suisse sur les étrangers (LSEE), la politique visant à empêcher la surpopulation étrangère était encore considérée comme une négation de la population étrangère et l’idée d’intégrer cette population par un ius soli (naturalisation forcée) était conçue comme une stratégie d’absorption nationale de cette même population, la politique d’intégration et d’assimilation des années 1960 et 1970 visait, elle, à réduire la distance culturelle entre la population étrangère et les Suisses. L’insertion et l’assimilation étaient encore conçues comme des stratégies de la police des étrangers visant à combattre « l’emprise étrangère », afin de limiter les contradictions économiques et politiques par un rapprochement entre la population indigène et étrangère. Dans les années 1980, l’idée de la coexistence multiculturelle a atteint son apogée. En effet, la non prise en compte de la diversité culturelle et de la multiplicité des modes de vie est apparue comme problématique. Au lieu de l’assimilation forcée, s’est progressivement imposé un droit à la différence, fondé sur le principe de l’intégration. Ces nouvelles options ont permis une approche pragmatique, fondée sur l’État de droit. Les immigrant·e·s ont commencé à bénéficier de droits civils et, dans certains cas, de droits politiques de plus en plus étendus. Aujourd’hui, le droit de vote et d’éligibilité varie fortement selon le canton et la commune. Les cantons du Jura et de Neuchâtel connaissent le droit de vote au niveau cantonal. Quatre cantons ont introduit le droit de vote et d’éligibilité des personnes étrangères sur le plan communal (NE, JU, VD, FR). Dans le canton de Genève, elles ont le droit de vote mais pas d’éligibilité. Trois cantons alémaniques (AR, GR, BS) ont introduit un droit de vote et d’éligibilité facultatif au niveau communal. Dans le canton de Bâle-Ville, ce droit existe dans les communes de Bettingen et Riehen, mais pas en ville de Bâle.

Avec la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) de 2008, l’intégration a été ancrée dans la loi pour la première fois. En tant que l’un des deux principes de la politique migratoire suisse (immigration policy), l’intégration constitue – avec l’admission – une forme de contrôle du séjour (immigrant policy). L’intégration vise, selon la loi suisse sur l’immigration, la « coexistence de la population résidente indigène et étrangère ». Elle est fondée sur la reconnaissance mutuelle et le respect d’une base commune de valeurs fondamentales. D’une part, la Confédération cherche à renforcer la volonté d’accueil de la société majoritaire et à créer des conditions favorables à l’égalité des chances. Il s’agit de promouvoir la participation de la population étrangère à la vie économique, sociale et culturelle. Ces tâches étant conçues comme transversales, tous les niveaux étatiques (Confédération, cantons et communes) sont censés contribuer au processus d’intégration en collaboration avec les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales et les organisations de personnes de nationalité étrangère. D’autre part, on attend de la population étrangère qu’elle respecte l’ordre juridique suisse et les valeurs de la Constitution fédérale, qu’elle apprenne la langue nationale parlée au lieu de résidence, qu’elle tienne compte des conditions de vie en Suisse, qu’elle accepte de participer à la vie économique et qu’elle acquière une formation. L’État peut exiger des efforts d’intégration et menacer les étranger·ère·s de sanctions et de renvoi. Les citoyen·ne·s d’« États tiers » peuvent être soumis·es à un devoir d’intégration sous la forme d’une convention d’intégration. Le principe « encourager et exiger » exprime cette imbrication d’aspects libéraux et restrictifs : si les mesures libérales de soutien visent à favoriser l’engagement individuel en faveur de l’auto-intégration, le principe de l’exigence s’inscrit dans la tradition d’un paternalisme contraignant de l’État activateur. L’intégration n’est plus seulement considérée comme un accompagnement bienveillant vers l’égalité des chances, mais aussi comme un critère de sanctions au regard du droit de séjour. Désormais, le concept d’intégration se trouve ainsi souvent sous les feux de la critique.

Tandis que la politique d’intégration de la Confédération est relativement homogène, les mesures d’intégration des cantons et des communes, quant à elles, sont hétérogènes. Chaque canton dispose désormais d’un programme d’intégration cantonal (PIC), regroupant toutes les mesures visant à promouvoir une intégration ciblée. Depuis le 1er janvier 2014, la Confédération et les cantons ont adopté une stratégie commune qui définit les domaines d’encouragement où des mesures d’intégration ciblées sont appliquées dans toute la Suisse. L’actuelle politique d’intégration suisse présente une forme particulière de politique sociale : la connaissance de la langue et celle des conditions de vie locales sont encouragées, voire exigées au regard de l’intégration professionnelle et sociale de la population étrangère. Simultanément, les domaines centraux de la protection sociale telles que la santé et le logement, le soutien précoce aux enfants ou les services sociaux, constituent des points forts des politiques d’intégration.

Références

Mahnig, H. (1999). La question de « l’intégration » ou comment les immigrés deviennent un enjeu politique : une comparaison entre la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse. Sociétés Contemporaines, 33-34, 15-38.

Piñeiro, E. (2015). Integration und Abwehr : Genealogie der schweizerischen Ausländerintegration. Zürich : Seismo.

Wicker, H.-R. (2009). Die neue schweizerische Integrationspolitik. In E. Piñeiro, I. Bopp & G. Kreis (Hrsg.), Fördern und Fordern im Fokus : Leerstellen des Schweizerischen Integrationsdiskurses (S. 23-46). Zürich : Seismo.

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