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Assurance-invalidité (révisions législatives)

Cristina Ferreira


Première édition: December 2020

Entrée en vigueur le 1er janvier 1960, la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) a fait l’objet de révisions successives dont les plus récentes datent de 2004, 2008 et 2012. Outre l’assainissement financier de l’assurance, le principal fer de lance de ces réformes est de réaffirmer la primauté de la réadaptation sur le versement de rentes. Ce principe a été introduit explicitement pour la première fois dans le texte de loi avec la 4e révision LAI du 21 mars 2003. Depuis, pour atteindre cet objectif, à chacun de ces moments législatifs des prestations sociales ont été abrogées et de nouvelles mesures ont été introduites.

Avec la 4e révision de la LAI (2004) ont été supprimées les rentes complémentaires pour conjoint·e·s et les rentes pour cas pénible qui concernaient les personnes au bénéfice d’un quart de rente mais qui percevaient l’équivalent d’une demi-rente. Dans le même mouvement, a été introduit le trois-quarts de rente pour les taux d’invalidité d’au moins 60 % ; en conséquence, le taux d’invalidité pour obtenir une rente entière a été fixé à 70 % au moins. Initialement prévue dans le projet de loi, la proposition de supprimer le quart de rente a été refusée en votation populaire en 1999. L’allocation pour impotent·e a été uniformisée de manière à supprimer les inégalités de traitement existantes entre les mineur·e·s atteint·e·s d’une maladie congénitale et celles et ceux qui souffraient d’une maladie survenue après la naissance. Jusqu’alors seul le premier groupe avait le droit à bénéficier de contributions aux frais spéciaux et aux frais de soins à domicile. Sur le plan de la réadaptation, le nouvel article 18 LAI a inscrit le droit d’être activement soutenu·e dans la recherche d’un emploi approprié, ou à être suivi·e pour préserver le poste de travail. Enfin, parmi les mesures importantes introduites par la 4e révision, figure la création des Services médicaux régionaux (SMR) qui consacre la volonté du législateur d’adopter des critères plus stricts dans l’évaluation médicale de l’incapacité de travail.

C’est avec la 5e révision de la LAI en 2008 que la volonté de redéfinir l’invalidité dans des termes plus restrictifs s’affirme pleinement. Les rentes complémentaires versées aux conjoint·e·s ont été supprimées au motif qu’elles reposaient sur un modèle marital stable, dominant par le passé, mais qui ne correspondait plus aux dynamiques conjugales actuelles. Dans le même ordre d’idées, ont aussi été supprimés des « suppléments de carrière » versés aux personnes qui devenaient invalides avant l’âge de 45 ans. Ces suppléments étaient calculés sur la base d’un revenu qui aurait pu être obtenu si la personne avait poursuivi sa carrière professionnelle. Calqué sur le modèle d’une carrière linéaire et prévisible, ce droit a été jugé obsolète. Simultanément, la 5e révision a renforcé les obligations individuelles de réduire le dommage et d’entreprendre tout ce qui peut être raisonnablement exigible pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail. Au surplus, pour se donner les bases légales permettant une extension de l’action de l’assurance des mesures inédites ont été introduites : la détection et l’intervention précoces sur les lieux de travail auprès de personnes signalées en raison de période d’arrêt de travail et dont il s’agit de conserver le poste ou d’envisager une reconversion. Enfin, les personnes qui sont « en menace d’invalidité » peuvent, après examen, bénéficier de nouvelles mesures comme le réentraînement progressif à l’endurance, l’accoutumance au travail et l’aide à la formation. L’ampleur de ces réformes a alimenté le débat public au cours d’une campagne référendaire qui a abouti à une votation populaire le 17 juin 2007 et à l’acceptation de la 5e révision. Parmi les objets âprement discutés s’est trouvé le refus du gouvernement d’instituer des obligations légales pour les employeur·euse·s sous la forme d’un système de quotas de places de travail réservées aux personnes en situation de handicap. L’alternative adoptée a été la sensibilisation des entreprises à cette problématique au moyen de campagnes et d’incitations financières.

Le premier volet de la 6e révision de la LAI de 2012 s’inscrit expressément dans cette philosophie. Prenant acte du succès relatif des instruments de réadaptation introduits par la 5e révision, le législateur a voulu offrir davantage de garanties aux employeur·euse·s. L’assurance-invalidité réduit les risques que représente le recrutement d’une personne dont un rendement plus faible est présumé en raison d’un handicap et/ou d’une maladie. À cette fin, des allocations d’initiation au travail sont versées qui compensent financièrement les performances réduites de la personne pendant la période d’initiation. Cette révision a également introduit les placements à l’essai pendant plusieurs mois permettant aux employeur·euse·s de tester une personne sans être astreints à une obligation d’engagement. En parallèle, les instruments d’un « accompagnement actif » ont été renforcés pour mieux explorer le potentiel de réadaptation de ceux et de celles qui perçoivent de nouvelles rentes. Dans un autre registre, une contribution d’assistance destinée aux bénéficiaires d’une allocation pour impotent vivant à domicile a été instaurée. Le droit à cette contribution a été étendu aux mineur·e·s mais à condition qu’elle leur permette de suivre la scolarité ordinaire.

Ces processus législatifs s’inscrivent dans un contexte historique et idéologique plus large qui place l’activation des bénéficiaires de prestations au cœur de l’action publique. Préconisée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette politique de l’activation – d’abord mise en œuvre dans l’assurance-chômage et l’aide sociale – s’étend dorénavant aux régimes de l’assurance-invalidité. Dans le paysage européen, la Suisse fait partie des pays engagés sur cette voie économique libérale – comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni – qui consiste à subordonner les interventions des assurances sociales aux exigences sélectives imposées par le marché du travail. C’est sans doute la raison pour laquelle les révisions de la LAI ne font pas l’objet d’un consensus politique. À chaque processus législatif ont eu lieu des oppositions vives de la part de la société civile et qui ont abouti à des référendums (4e et 5e révisions). En substance, les critiques formulées ces dernières années dénoncent la fragilisation des droits sociaux acquis et les effets de précarisation qui en résultent. Selon cet argumentaire critique, bien que la philosophie de l’activation promeuve l’autonomisation des individus, elle peut aussi comporter des exigences de performance auxquelles certaines personnes ne sont pas aptes à satisfaire en raison d’une santé fragile et/ou d’un niveau insuffisant de qualifications. À ces contradictions, viennent s’ajouter les rapports de force entre les partis politiques comme ce fut le cas avec le deuxième volet de la 6e révision de la LAI rejeté par le Parlement en juin 2013. Les parlementaires se sont montré·e·s divisé·e·s autour de ce deuxième train de mesures dont l’un des principaux points d’achoppement a été l’introduction d’un système linéaire de rentes ayant pour effet une réduction des montants perçus par les rentier·ère·s.

Toujours est-il que ces révisions législatives tendent à redéfinir les rapports qui lient les personnes à la puissance publique selon des modalités plus exigeantes en termes d’efforts individuels. L’un des indices les plus révélateurs est le renforcement de l’obligation faite à l’assuré·e de réduire les risques de bénéficier des prestations de l’assurance. Comme le fait remarquer Béatrice Despland en 2012, l’appel à la responsabilité individuelle, qui sous-tend ces obligations, tend à se substituer à la garantie par l’État d’assurer la sécurité matérielle en toutes circonstances. Compte tenu de la restriction instituée dans l’accès aux rentes, l’un des enjeux à venir réside dans les transferts potentiellement massifs vers l’aide sociale de personnes jugées aptes à se réadapter par leurs propres moyens.

Références

Despland, B. (2012). L’obligation de diminuer le dommage en cas d’atteinte à la santé. Son application aux prestations en espèces dans l’assurance-maladie et l’assurance-invalidité : analyse sous l’angle du droit d’être entendu. Genève : Schulthess.

Organisation de coopération et de développement économiques (2010). Maladie, invalidité et travail – surmonter les obstacles : synthèse des résultats dans les pays de l’OCDE. Paris : OECD Publishing.

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