Chercher dans le dictionnaire

Protection des mineur·e·s

Kay Biesel, Clarissa Schär

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

La protection des mineur·e·s est une tâche réglementée par l’État qui comprend aussi bien des mesures juridiques qu’institutionnalisées. Au sens strict, elle vise à protéger les enfants et les jeunes dans leur bien-être et à éviter les mises en danger du bien de l’enfant. Les formes typiques de menaces pour le bien de l’enfant sont la violence physique, psychologique et sexuelle contre les enfants ainsi que la négligence. L’État peut intervenir dans la liberté et le statut juridique des titulaires de la garde parentale si le bien-être de l’enfant est en danger et que les parents ne veulent et/ou ne peuvent pas éviter ce risque. L’objectif de la protection des mineur·e·s au sens large est de prévenir le développement de menaces pour le bien de l’enfant dans les familles et les institutions par le biais des services de l’aide aux enfants et à la jeunesse et de créer des conditions pour qu’ils·elles grandissent dans une relation intergénérationnelle.

Pendant longtemps en Suisse, la protection des mineur·e·s n’a pas été considérée comme une mission de l’État. Ce n’est qu’avec l’émergence d’un système de production capitaliste, la montée de la question sociale et l’évolution des attitudes envers la famille et l’enfance, que la protection des enfants a été considérée non plus seulement comme une affaire privée mais comme une affaire publique aussi. À la fin du XIXe siècle, dans un contexte de baisse de la mortalité infantile et du taux de natalité, un modèle familial bourgeois a commencé à s’établir, lequel considérait l’enfance et la jeunesse comme une période préservée pour l’éducation, la formation et le développement personnel. Bien que ce modèle familial bourgeois ne pût s’imposer durant une longue période, il a servi de légitimation pour les interventions sociales de l’État dans les familles. Orientée vers le concept de « déchéance » et des perspectives moralisatrices, les placements selon la loi sur les pauvres cèdent de plus en plus la place à des mesures préventives de retrait d’enfants. Elles ont été soutenues par des processus de judiciarisation, de rationalisation, de scientifisation et de professionnalisation de la tutelle. Les dispositions du Code civil relatives à la protection des mineur·e·s, qui ont été introduites en 1907, ont ainsi établi la responsabilité de l’État pour le bien-être des enfants et des jeunes. Cela a permis à l’État d’intervenir plus qu’auparavant dans les familles. Les interprétations et les pratiques eugéniques et médicopsychiatriques, de plus en plus répandues dans la première moitié du XXe siècle, soutenaient des approches sociodisciplinaires et abusives. Aujourd’hui, elles sont résumées sous le terme de « mesures coercitives à des fins d’assistance », dans le contexte duquel des dizaines de milliers d’enfants de familles pauvres (Verdingkinder) ou de familles ayant un mode de vie itinérant ou une origine yéniche (« les enfants de la grande-route ») ont été placé·e·s dans des fermes ou dans des foyers, ont dû travailler dur et ont parfois subi de graves abus (sexuels) durant une bonne partie du XXe siècle.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’acceptation de modèles de vie et de famille pluralisés s’est progressivement accrue suite à l’essor économique, la prospérité sociale et l’ouverture culturelle. Ces processus de libéralisation se sont accompagnés d’une révision complète du droit des enfants en 1976. Elle a englobé une série de nouvelles mesures de protection de l’enfance et introduit le concept de « bien de l’enfant » en tant que principe directeur du droit de l’enfance. En 1995, le Conseil fédéral a commenté le rapport « Enfance maltraitée en Suisse » publié trois ans plus tôt, sensibilisé à l’ampleur des abus envers les enfants et cherché à améliorer l’application de la loi et des conventions internationales. Avec la ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant en 1997, la position juridique des enfants dans la société, leur protection contre les menaces qui visent leur bien-être et ainsi l’importance sociopolitique de la protection des mineur·e·s ont été renforcées. Le rapport du Conseil fédéral de 2012 intitulé « Violence et négligence envers les enfants et les jeunes au sein de la famille » attribue pour la première fois un rôle clé à l’aide aux enfants et à la jeunesse et souligne l’importance d’une offre nationale de services d’aide aux enfants et à la jeunesse. Le rapport contient une déclaration de l’Office fédéral de la justice sur l’interdiction des châtiments corporels, selon laquelle l’interprétation du terme « bien de l’enfant » interdit aujourd’hui la violence dans le cadre des méthodes d’éducation des parents. Cependant, il n’existe actuellement en Suisse aucune loi interdisant expressément les châtiments corporels dans l’éducation.

La protection des mineur·e·s en Suisse est assurée par des interventions de l’État, qui sont principalement régies par le Code civil suisse (CC). Le CC contient des conditions relatives à l’ingérence légitime dans le droit des parents afin de protéger les enfants et les jeunes contre les menaces pour leur bien-être, qui sont appliquées par 146 autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA).

En 2013, les APEA ont remplacé, en tant qu’autorités spécialisées, les 1 420 autorités tutélaires, dont la plupart étaient dirigées par des laïcs. En plus d’assurer la protection des adultes incapables de jugement et d’action, leur tâche est de clarifier les cas de mise en danger du bien de l’enfant et, le cas échéant, d’ordonner, de superviser et d’abroger les mesures de protection des mineur·e·s en droit civil. Elles prennent leurs décisions dans un organe tripartite qui, selon les recommandations de la Conférence des autorités cantonales de tutelle, devrait être composé de manière aussi interdisciplinaire que possible (voir l’entrée « Protection des adultes » pour une discussion détaillée sur l’APEA et d’autres organes dans le domaine de la protection des mineur·e·s).

Le système suisse de protection des mineur·e·s est unique à l’échelle internationale. Sa structure et son organisation varient d’un canton à l’autre. Il ne dispose pas de suffisamment d’accès légaux et institutionnels aux services de l’aide aux enfants et à la jeunesse, qui ne sont pas liés à l’adoption de mesures de protection de l’enfance en vertu du droit civil. Dans de nombreux autres pays, la protection des mineur·e·s est principalement assurée par des services consensuels d’aide aux enfants et à la jeunesse. En Suisse, par contre, bien que la législation renforce le consensus, elle est mise en œuvre dans la pratique principalement selon la logique de « l’assistance par l’intervention » et garantie par des mesures et des sanctions étatiques dans les domaines du droit civil et pénal.

Le remplacement des autorités de tutelle organisées dans le système de milice par les APEA en 2013 a constitué une étape importante pour la protection des mineur·e·s. Les spécialistes formé·e·s qui travaillent actuellement veillent à rendre leurs décisions bien fondées et compréhensibles. Pourtant, ils font face à des critiques massives de la part du public et des médias, lesquelles ont été exacerbées par des cas individuels tragiques de protection des mineur·e·s. Le financement des décisions arrêtées par les APEA est également controversé, puisqu’avec l’introduction des APEA, certains cantons ont adopté des règlements selon lesquels les APEA sont devenues partie intégrante de l’administration cantonale, tandis que la responsabilité des coûts incombe aux communes de résidence des personnes concernées par les décisions.

Compte tenu de ce contexte problématique, il y a actuellement le risque que la réorganisation de la protection des mineur·e·s perde de son élan et que l’APEA ne dépasse pas sa réputation d’organisme d’enregistrement et d’intervention. Il est donc nécessaire d’examiner de manière critique les conditions-cadres sociopolitiques nécessaires pour répondre aux exigences et attentes en matière de protection des mineur·e·s tournée vers l’avenir. Il serait souhaitable de renforcer une protection des mineur·e·s davantage orientée vers le principe directeur de « l’assistance au lieu de l’intervention » et exploitant de manière plus offensive les possibilités existantes en matière d’aide aux enfants et à la jeunesse dans le contexte du traitement des mises en danger du bien de l’enfant.

Références

osch, D., Fountoulakis, C. & Heck, C. (Hrsg.) (2015). Handbuch Kindes- und Erwachsenenschutz : Recht und Methodik für Fachleute. Bern : Haupt.

Vaerini, M. (2015). Guide pratique du droit de protection de l’adulte et de l’enfant. Berne : Stämpfli.

Voll, P., Jud, A., Mey, E., Häfeli, C. & Stettler, M. (Hrsg.) (2008). Zivilrechtlicher Kindesschutz. Akteure, Prozesse, Strukturen : Eine empirische Studie mit Kommentaren aus der Praxis. Luzern : Interact.

Retour en haut de page