Enfance et jeunesse
Version originale en allemand
Sur le plan culturel, l’enfance n’a obtenu un statut de phase particulière de la vie humaine que lors de la transition vers les temps modernes. Au cours de l’industrialisation, des sphères de vie distinctes se sont développées pour tous les enfants et les jeunes (en particulier les écoles). À partir du XVIIIe siècle, la pédagogie s’est penchée de manière intense sur les questions relatives au développement et à l’éducation, et à partir du XIXe siècle, la notion d’enfance s’est étendue, incluant désormais non seulement la phase de l’éducation mais également de la formation. À partir du XXe siècle, les enfants sont de plus en plus souvent perçus comme des individus. C’est ainsi que naissent des discours romantiques sur l’enfance et la jeunesse, notamment dans le sillon des mouvements de jeunesse. Ces changements de perception sont étroitement liés aux changements sociaux, tels qu’une vie de famille plus intime et la création d’institutions publiques chargées spécifiquement de s’occuper des enfants, de les éduquer et de les former (écoles, institutions à des fins d’assistance).
Le développement de l’État-providence et du système éducatif s’accompagne d’une différenciation des rôles, des droits et des devoirs de l’État, des parents (ou de la personne exerçant l’autorité parentale) et des enfants/jeunes. Les réglementations correspondantes en matière de politique sociale portent principalement sur la sécurité matérielle des enfants et des jeunes et sur leur accès au système d’éducation et de formation. Une importance croissante est accordée à leur protection et à des mesures de soutien. Outre la politique de l’enfance et de la jeunesse et la politique familiale, la politique de l’éducation, la politique de l’emploi, la politique migratoire et la création des institutions d’assurance (AVS, AI) sont particulièrement décisives quant au façonnement des conditions de vie des enfants et des jeunes. Depuis les années 2000, la Confédération joue un rôle croissant dans la politique familiale et celle de l’enfance et de la jeunesse.
Parmi les mesures de politique familiale majeures prises par la Confédération, citons le programme d’impulsion visant à encourager la création de places d’accueil pour enfants (2002), l’introduction de l’assurance-maternité (2005), l’introduction des allocations familiales (2006) ainsi que celle des subsides fédéraux destinés à la réduction des primes de l’assurance-maladie (2007). Ces mesures témoignent d’une responsabilité sociale croissante en matière de financement et de prise en charge des enfants et des jeunes. Le programme d’impulsion (prolongé à plusieurs reprises) a permis d’augmenter le nombre de places d’accueil de manière significative, mais il est encore faible en comparaison internationale. Les offres varient considérablement d’une région à l’autre et impliquent fréquemment des coûts élevés pour les parents.
Dans le rapport du Conseil fédéral Pour une politique suisse de l’enfance et de la jeunesse de 2008, la politique de l’enfance et de la jeunesse est conçue comme une politique de protection, d’encouragement des activités et de participation. Le rapport distingue la politique de l’enfance et de la jeunesse au sens large et au sens strict. Dans son acception stricte, elle inclut les activités politiques qui façonnent directement les conditions de vie des enfants et des jeunes. La politique de l’enfance et de la jeunesse comprise dans un sens plus large a pour but de faire valoir les souhaits et les besoins des enfants et des jeunes dans les divers domaines politiques. La politique suisse de l’enfance et de la jeunesse se caractérise par la répartition fédéraliste des compétences entre la Confédération, les cantons et les communes. Ces politiques relèvent en premier lieu de la compétence des cantons et des communes. En conséquence, les offres et les prestations destinées aux enfants et aux jeunes ainsi que leurs possibilités de participation varient considérablement. La Confédération n’intervient qu’à titre subsidiaire.
L’accent mis sur l’encouragement des activités, sur le soutien et la participation dans la loi sur l’encouragement de l’enfance et de la jeunesse (LEEJ) exprime une nouvelle compréhension de l’enfance et de la jeunesse. Les enfants et les jeunes sont davantage considérés comme des actrices et acteurs actif·ve·s dans les processus politiques ; ils et elles doivent pouvoir agir de manière autonome, responsable et démocratique.
Les mesures de protection des enfants et des jeunes visent à protéger leur intégrité physique et mentale ainsi que leur santé. Dans le cadre de la réforme du Code civil de 2013, le droit des enfants et des jeunes d’être entendu·e·s dans une procédure de protection a été renforcé. Une autorité interdisciplinaire, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) est désormais chargée de toutes les dispositions de droit civil. La protection des enfants et des jeunes gagne ainsi en considération. Le droit d’être entendu montre qu’ils et elles sont désormais considéré·e·s comme des actrices et acteurs autonomes disposant d’un statut de personnes juridiques, dont le point de vue est pertinent et doit être pris en compte dans l’action de l’État.
Mentionnons en outre les particularités du droit pénal suisse des mineur·e·s, qui met l’accent sur les mesures éducatives. Ainsi, l’enfance et la jeunesse sont comprises comme des processus de développement individuel dont le bon déroulement relève d’une responsabilité sociale.
Au niveau fédéral, l’encouragement des activités pour enfants et jeunes a récemment gagné en importance. Il est structuré de manière hétérogène au niveau cantonal et communal. En comparaison avec d’autres démocraties occidentales et malgré l’expansion des vingt dernières années, la politique de la famille suisse est sous-développée. Dans ce domaine, une spécificité suisse de l’image de l’enfance et de la jeunesse apparaît clairement : bien que, d’un point de vue de libéralisme social, les enfants et les jeunes devraient être davantage impliqué·e dans les prises de décision politiques, à l’inverse, d’un point de vue de libéralisme économique, les familles restent largement responsables du financement et de la prise en charge de leurs enfants. D’autres caractéristiques distinguent la Suisse d’autres pays : sa faible proportion d’étudiant·e·s, le rôle dominant de la formation professionnelle de degré secondaire II ainsi qu’un régime national de transition vers l’emploi particulièrement développé, qui vise l’intégration professionnelle de 95 % des jeunes avant l’âge de 25 ans. L’institutionnalisation croissante de la transition vers l’emploi rémunéré ainsi que la prolongation et la discontinuité des cursus de formation entraînent de nouveaux défis pour les jeunes, mais également pour la politique de l’enfance et de la jeunesse.
Les défis actuels de la politique de l’enfance et de la jeunesse en Suisse résultent en particulier de l’accroissement des inégalités sociales, de la pluralisation des formes de vie familiale et de l’évolution technologique. Notons en particulier que la proportion de jeunes touché·e·s par la pauvreté en Suisse reste importante, avec un taux de pauvreté de 5 % et un taux de risque de pauvreté de 16 %. La pauvreté infantile a des conséquences négatives immédiates et à long terme. Elle est considérée comme un risque majeur pour le développement. La Suisse aurait besoin d’études scientifiques qui permettraient de faire évoluer la politique de l’enfance et de la jeunesse aux niveaux national, cantonal et local. De plus, les enfants et les jeunes ont encore trop peu la possibilité de participer aux processus politiques.
Références
Moser, J. (2008). Der schweizerische Wohlfahrtsstaat : zum Ausbau des sozialen Sicherungssystems. Frankfurt a.M. : Campus.Office fédéral des assurances sociales (Éd.) (2014). État actuel de la politique de l’enfance et de la jeunesse en Suisse. Berne : Office fédéral des assurances sociales.
Poretti, M. (2015). Politiques locales de l’enfance et de la jeunesse en Suisse romande : état des lieux et enjeux. Sion : Centre interfacultaire en droits de l’enfant.