Protection des consommateurs et des consommatrices
La protection de la consommation devient un thème politique au début des années 1930 aux États-Unis (lutte contre les corporations) et se développe avec les campagnes contre l’industrie automobile américaine, lancées par Ralph Nader à la fin des années 1950. C’est dans ce cadre que John F. Kennedy énoncera devant le Congrès, le 15 mars 1962, quatre droits fondamentaux des consommateur·trice·s : le droit à la sécurité, le droit à l’information, le droit de choisir et le droit d’être entendu. À la même époque naissent en Europe les premières coopératives d’achat qui entendent défendre les intérêts des classes populaires face à l’explosion de la production de masse, en particulier dans les domaines du contrôle des prix, de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires.
En Suisse aussi, les femmes se mobilisent et, dès les années 1960 – avant même d’avoir obtenu le droit de vote (1971) – transforment les coopératives de consommation créées le siècle précédent en associations de défense des consommateur·trice·s, qui voient alors le jour en 1959 en Suisse romande, en 1961 en Suisse alémanique et en 1974 en Suisse italienne. Suite à une initiative populaire pour instaurer la surveillance des prix en 1978 et à l’entrée de la protection des consommateur·trice·s et des consommatrices dans la Constitution suisse en 1981, l’information aux consommateur·trice·s est formalisée dans la loi en 1986. En 2010, la Fédération romande des consommateur·trice·s (FRC), l’Associazione consumatrici e consumatori della Svizzera italiana (ACSI) et la Stiftung für Konsumentenschutz (SKS) ont décidé de développer ensemble un Agenda des consommateur·trice·s pour défendre d’une seule voix les intérêts des consommateur·trice·s au niveau national, sous le nom d’Alliance des organisations de consommateur·trice·s. Dans le but d’entretenir le dialogue avec la politique et l’économie, par-delà même les frontières linguistiques et nationales, l’Alliance est membre du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).
Dès 1975, la prédécesseuse de Union européenne, la Communauté économique européenne, a adopté un programme pour une politique de protection et d’information des consommateur·trice·s liée, selon les expertes Astrid Epiney et Florence Rivière, essentiellement à la réalisation de deux objectifs : d’une part, amortir les effets de la libéralisation de la circulation transfrontalière des marchandises et des services et prendre des mesures de protection des consommateur·trice·s, afin d’éviter que la réalisation des libertés fondamentales ne remette en cause les intérêts des consommateur·trice·s. D’autre part, il s’agit de favoriser l’élimination des distorsions de concurrence et des obstacles au commerce, et donc également la réalisation du marché intérieur, par une certaine harmonisation. Depuis, la Suisse adapte régulièrement son droit national en suivant les grandes lignes tracées par Bruxelles.
En effet, bien que la Suisse ne soit pas membre de l’Union européenne, la majeure partie des textes consacrés à la protection des consommateur·trice·s reprennent, souvent mot à mot, le contenu de directives européennes. Ainsi les règles du droit européen de la consommation concrétisent des objectifs, qui sont identiques à ceux de l’article 97 de la Constitution (protection de la santé, de la sécurité, les intérêts économiques et procéduraux des consommateur·trice·s). Comme le relève la Commission fédérale de la consommation (2016), en Suisse comme dans l’UE, le droit de la consommation ne relève pas du droit social (avec le consommateur comme partie faible à protéger), mais du droit économique. Dès lors, le droit de la consommation complète le droit de la concurrence, car il vise à corriger des déficits structurels, pour permettre au consommateur d’arbitrer le jeu économique, en faisant pression par ses choix sur les offres des professionnel·le·s.
Cette caractéristique du droit suisse de la consommation s’explique par le principe de l’adaptation autonome du droit suisse au droit européen, qui doit essentiellement servir à préserver et améliorer les chances des entreprises suisses d’accéder sans trop d’entraves au marché européen. Il en résulte une capacité contractuelle généralement plus faible des consommateur·trice·s et de leurs organisations – que ne peut compenser l’aide financière limitée du Bureau fédéral de la consommation ou l’action mesurée du Surveillant des prix – par rapport aux lobbies de l’économie privée.
Les marchés se sont profondément transformés au cours des 20 dernières années. La réglementation, l’ouverture des marchés mondiaux, les nouvelles technologies et la multiplication des services aux consommateur·trice·s ont été les facteurs principaux du changement. Ces évolutions n’apportent pas que des avantages aux consommateur·trice·s. Les marchés proposent aujourd’hui un plus grand choix de produits d’une complexité croissante, rendant plus difficile aux consommateur·trice·s de comparer et de juger la valeur de ce qui leur est offert, surtout si l’on pense à l’explosion du commerce online qu’accompagne la disparition des magasins de proximité et la diffusion des services de l’économie de plateforme (sharing economy).
Les consommateur·trice·s aussi ont changé. Un nombre croissant d’enfants et de jeunes adultes ont maintenant accès aux marchés, ainsi qu’une multitude d’adultes âgé·e·s, qui s’y heurtent toutefois à des difficultés spécifiques. Cette segmentation du marché accentue les problèmes d’information aux consommateur·trice·s, car s’il est vrai que ces dernier·ère·s sont dans l’ensemble mieux éduqué·e·s et plus sensibles aux problèmes de durabilité de la consommation, beaucoup n’ont pas les compétences requises sur un marché devenu plus complexe et plus riche en informations.
La théorie économique dominante part du principe que le libre fonctionnement des marchés donnerait habituellement les meilleurs résultats pour les consommateur·trice·s. En réalité, le marché ne peut produire des résultats optimaux en l’absence de réels concurrents ou lorsque les consommateur·trice·s ne disposent pas d’informations suffisantes sur les produits et les prix disponibles ou si les informations sont incomplètes, trompeuses, excessivement complexes ou trop nombreuses et qu’il n’existe pas de réponse collective possible (class action).
Il s’agit alors de déterminer si le niveau de préjudice subi par les consommateur·trice·s doit déclencher l’intervention de l’État : réglementer pour protéger le·la citoyen·ne-consommateur·trice ou laisser faire le marché est le dilemme habituel des politiques nationales, avec une forte pression de la part des multinationales et des trusts pour le laissez-faire et pour l’abolition du protectionnisme – sauf celui de leurs intérêts – comme le démontrent les discussions sur TTIP/TISA, qui prévoient la suppression systématique de normes de qualité, de sécurité ou de santé, gênantes pour le commerce, et la privatisation de services publics.
Références
Bureau fédéral de la consommation (Éd.) (2016). 30 ans : article constitutionnel sur la protection des consommatrices et consommateurs. Berne : Eidgenössisches Büro für Konsumentenfragen.Epiney, A. & Rivière, F. (2003). La protection du consommateur. Genève : F.J.S.
Marchand, S. (2012). Droit de la consommation : le droit suisse à l’épreuve du droit européen. Genève : Schulthess.