Soins médicaux
Parmi les soins médicaux, on distingue usuellement les soins primaires, secondaires et tertiaires. Les soins primaires désignent les interventions préventives et le traitement des affections bénignes. Ils sont généralement fournis par les médecins de premier recours ou par l’infirmier·ère·s de pratique avancé·e (advanced practice nurse, APN) dans les pays où la fonction est reconnue. Au cœur du système de santé, les soins secondaires mettent l’ensemble des ressources du plateau hospitalier à la disposition des patient·e·s. Ils sont destinés au traitement des maladies aiguës et des maladies chroniques en phase aiguë. Finalement, le secteur des soins tertiaires comprend les soins de réhabilitation, les soins et l’aide à domicile, ainsi que les prestations des établissements médicaux-sociaux (EMS). En assurant des congés d’hôpitaux sans délai et une prise en charge post-hospitalière adéquate, le secteur des soins tertiaires permet de réduire le temps de séjour hospitalier et le taux de réhospitalisation, tandis que par le maintien à domicile, il contribue à différer, et parfois à éviter l’institutionnalisation.
Toutefois les interfaces entre les secteurs sont trop souvent des obstacles à une prise en charge continue et cohérente, la culture professionnelle ne favorise pas la collaboration entre les différents corps de métier et aucun acteur ou actrice n’est explicitement chargé·e de garder une vue d’ensemble sur la situation de soin. Le système de prise en charge est morcelé. Le problème est structurel. Il trouve ses origines dans le profond mouvement de spécialisation professionnelle, la diversification de l’offre et l’intensification progressive de la concurrence qui ont marqué le développement du système sanitaire dans la période de forte croissance économique de l’après-guerre.
Ce déficit est particulièrement manifeste dans la prise en charge au long cours de la maladie chronique. En 2015, l’Observatoire suisse de la santé estime à plus de 2,2 millions le nombre personnes dans le pays souffrant d’une maladie chronique. Cela représente approximativement un tiers de la population de 15 ans et plus. Plus l’âge avance, plus le risque de morbidité est grand. Parmi les personnes de plus de 50 ans, la moité souffre d’une maladie chronique et dans le groupe des personnes de 80 ans ou plus, 40 % sont atteints par au moins deux maladies chroniques simultanément. En 2011, les coûts de traitement des maladies chroniques non-transmissibles étaient estimés à 52 milliards de francs, soit 80 % environ du coût global de la santé. C’est pourquoi, le développement de la coordination et de l’intégration des soins est un axe prioritaire de la politique de la santé présentée en 2013 sous le titre « Santé2020 » par le Conseil fédéral.
Les modèles de soins intégrés sont des entités développées pragmatiquement et ancrées historiquement. Il n’est par conséquent pas aisé d’en produire une typologie systématique et exhaustive. Djalali et Rosemann proposent 13 critères susceptibles à la fois de les catégoriser et d’en évaluer la puissance intégrative. Parmi les modèles qui peuvent ainsi être esquissés, le managed care et le réseau de soins intégrés (RSI) véhiculent une conception globale du système de santé.
Le managed care consiste à instaurer un jeu d’incitations d’ordre économique et financier qui tracent la voie d’un comportement économiquement rationnel des acteur·trice·s impliqué·e·s. Développé initialement aux États-Unis, il repose essentiellement sur les principes d’une concurrence régulée et du payement prospectif des prestations. Il est également lié au développement des Caisses de santé (Health Maintenance Organisations, HMO) et des réseaux de médecins. Dans leur forme la plus aboutie, les Caisses de santé sont des vecteurs d’intégration puissants, dont l’efficacité économique, en termes de calcul coût-bénéfice, reste toutefois discutable. Combinant les rôles d’assureur·e et de fournisseur·e de prestations, elles ambitionnent d’offrir une palette aussi complète que possible de services dans les trois secteurs des soins médicaux. L’assurance-maladie (LAMal), qui entre en vigueur en 1996, confère au managed care les bases légales d’un développement durable. Renforçant considérablement le poids des agents payeurs, il ne rencontre toutefois pas le succès escompté auprès de la population. Appelée à se prononcer par les urnes, celle-ci rejette le projet en 2012. Cette opposition au managed care n’est pourtant pas interprétée par les expert·e·s de la santé comme un rejet des soins intégrés, mais comme une invitation à considérer d’autres modèles d’intégration.
Le RSI se présente comme alternative possible au managed care. Il apparaît au Canada dans le cadre de la réforme de la prise en charge gérontologique et psychiatrique du tournant des années 2000. La coordination entre les fournisseur·euse·s de prestations et la planification de leurs interventions est assurée par des instruments comme le case management, l’assessment pluriprofessionnel, le guichet unique ou encore les protocoles et les algorithmes de traitement qui sont les leviers de l’intégration dans ce modèle. Le RSI est une entité organisationnelle propre – généralement une association à but non lucratif – dont les membres sont les fournisseur·euse·s de prestations, publics et privés. Le financement du fonctionnement du réseau, ainsi que des projets que celui-ci conduit, est en principe assuré par les cotisations des institutions membres. Mais il peut aussi être couvert par les pouvoirs publics.
Alors que le managed care s’inspire du marché pour concevoir et structurer la prise en charge sanitaire, le RSI est pensé comme un instrument de santé publique. C’est pourquoi les requérant·e·s de prestations sont considéré·e·s dans ce modèle comme des bénéficiaires, ou encore des ayants droit, avant d’être client·e·s ou consommateur·trice·s. Toutefois, la mise sur pied des RSI implique la création d’une strate organisationnelle supplémentaire qui surplombe les organismes pourvoyeurs de prestations existants. Il est permis de penser que celle-ci réduise l’efficience et la flexibilité du dispositif. En outre, avec la mise en place de directives et d’algorithmes d’intervention, l’accompagnement, fortement standardisé, est construit comme un processus fondamentalement linéaire et planifiable. Cette approche rend le RSI particulièrement sensible aux contingences de l’accompagnement qui apparaissent comme des éléments essentiellement dysfonctionnels, susceptibles d’en perturber la marche. Enfin, si le RSI ne fait pas appel à la métaphore du client, il reste attaché à la conception bio-psycho-sociale du patient. Dans ce cadre, la maladie est construite comme une altération des fonctionnalités somatiques ou psychiques qui trouve sa signification dans les besoins qu’elle engendre. Pourtant, l’affection a une autre teneur lorsque ses conséquences sont définitives puisque la patiente ou le patient, qui n’a plus la perspective de guérir, doit apprendre à vivre avec elle. Dans ce cas, ce ne sont pas les déficits qui sont déterminants pour la prise en charge, mais les richesses et les réserves qui peuvent effectivement être mobilisées pour faire face dans la durée. Pour permettre une prise en charge adéquate de la maladie chronique, le RSI doit pouvoir s’appuyer sur une image constructive de la patiente ou du patient qui met en exergue ses ressources et ses potentiels, ainsi que ceux de son entourage et du réseau institutionnel associé à l’accompagnement.
Références
Djalali, S. & Rosemann, T. (2015). Neue Versorgungsmodelle für chronisch Kranke : Hintergründe und Schlüsselelemente. Neuchâtel : Schweizerisches Gesundheitsobservatorium.Fleury, M.-J. (2002). Émergence des réseaux intégrés de services comme modèle d’organisation et de transformation du système sociosanitaire. Santé mentale au Québec, 27(2), 7-15.
Observatoire suisse de la santé (Éd.) (2015). La santé en Suisse – le point sur les maladies chroniques : rapport national sur la santé 2015. Berne : Hogrefe.