Hébergement d’urgence
Selon le Conseil fédéral, 25 lieux d’accueil d’urgence dans 16 villes ou agglomérations sont dénombrés fin 2013 (réponse à l’interpellation parlementaire 14.3770) ; un nombre inconnu de logements de transition ou de chambres d’hôtel sont utilisés par les services sociaux cantonaux, régionaux ou communaux, par exemple pour résoudre les problèmes des personnes expulsées de leur domicile pour défaut de paiement, pour séparation ou pour non-respect des règles locatives ; on dénombre 18 refuges ouverts pour des femmes victimes de violence conjugale ; différents types d’habitat, le plus souvent précaires et collectifs, sont enfin proposés aux personnes dont la procédure d’asile est en cours ou qui en ont été exclues. Leur nombre varie en fonction des arrivées de personnes réfugiées en Suisse.
Selon l’Office fédéral de la statistique, 7 % de la population vit dans un logement surpeuplé en 2014, et 17 % dans une habitation privée de douche ou de baignoire, sans W.-C., trop sombre ou encore trop humide. Le nombre de personnes ne disposant pas de logement est en revanche inconnu, faute de données statistiques. La question du logement des pauvres n’a en outre guère été thématisée par les politiques sociales, l’étude réalisée en 2015 dans le cadre du Programme suisse de lutte contre la pauvreté étant l’exception. Elle a mis en lumière le fait que les coûts du logement représentent une charge trop élevée pour quatre ménages touchés par la pauvreté sur cinq. Les buts sociaux concernant le logement inscrits à l’article 41, lettre e, de la Constitution fédérale de 1999 ne sont donc pas atteints (« La Confédération et les cantons s’engagent, en complément de la responsabilité individuelle et de l’initiative privée, à ce que […] toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables. »)
Les lieux d’accueil d’urgence hébergent en 2016 des populations très diversifiées : personnes temporairement sans domicile, mendiant·e·s, musicien·ne·s, migrant·e·s, etc., mais la sous-dotation en termes de places reste le point commun de ces structures. Les autorités politiques communales justifient ce rationnement ou même l’absence de lieux d’accueil de nuit en utilisant la rhétorique de l’effet d’attirance. Ces politiques sont en outre le plus souvent basées sur le thermomètre, les places proposées étant plus nombreuses durant les mois d’hiver. Il s’ensuit une politique systématique de pénurie, car il n’y a pas assez de places disponibles, même dans les abris de protection civile (PC), ce qui force de nombreuses personnes à rester dans la rue chaque nuit, comme le documentaire L’Abri de Fernand Melgar s’en est fait le témoin en 2014. Pour cette population, on n’observe guère en Suisse le développement de politiques de type housing first (le logement d’abord) telles qu’elles se déploient au nord de l’Europe ou en Amérique, car on en reste principalement à des modèles d’intervention dits « en escalier » (step to step), basés sur des hébergements de transition, et qui partent de l’idée qu’un individu doit remonter la pente inverse de la désocialisation avant de pouvoir être logé.
La politique concernant l’hébergement d’urgence des femmes victimes de violence domestique est également caractérisée par le manque de places disponibles, signe sans doute de la difficulté à reconnaître socialement les effets de la domination masculine. Selon l’Office fédéral de la statistique, 9 381 personnes ont subi des violences domestiques en 2013 : les trois-quarts étaient des femmes ; c’est également la proportion des victimes d’homicide de sexe féminin entre 2009 et 2013 (N = 123). Le danger de la vie domestique est donc bien réel pour de nombreuses femmes en Suisse, qui peinent toutefois à trouver un logement d’urgence en cas de menace. La plupart des maisons d’accueil ont adhéré à la Fédération solidarité femmes de Suisse et du Liechtenstein, qui demande le développement d’une politique nettement plus active en la matière.
Enfin, les personnes qui demandent l’asile en Suisse, si elles ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien, reçoivent une aide sociale organisée par les cantons. Pour les loger, plusieurs d’entre eux ont recours à des abris PC, autrement dit aux mêmes types de lieux en sous-sol et sans fenêtre qui sont proposés aux personnes sans-abri, le canton de Vaud étant celui qui a le plus recours à cette « solution ». L’Établissement vaudois d’accueil des migrants a ainsi utilisé 10 abris PC en 2014 pour loger 500 personnes. Le recours aux abris PC est également utilisé par certains cantons depuis 2004 pour les personnes mises au régime de l’aide d’urgence en vue de les inciter à partir, une pratique dénoncée par certaines organisations, mais jugée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 22 novembre 2013 conforme aux exigences concernant le respect de la dignité humaine contenues à l’article 12 de la Constitution fédérale. Malgré la pression que constitue l’arrivée en Suisse de victimes de guerres ou de violences, aucune politique globale d’hébergement n’a été mise en place.
Références
Ansermet, C. & Tabin, J.-P. (2014). Misère de la gestion de la misère. Le Sociographe, 48, 45-55.Bochsler, Y., Ehrler, F., Fritschi, T., Gasserl, N., Kehrli, C., Knöpfel, C. & Salzgeber, R. (2016). Wohnversorgung in der Schweiz. Bestandsaufnahme über Haushalte von Menschen in Armut und in prekären Lebenslagen. Bern : Bundesamt für Sozialversicherungen.
Stern, S., Trageser, J., Rüegge, B. & Iten, R. (2014). Maisons d’accueil pour femmes en Suisse : analyse de la situation et des besoins. Zürich : INFRAS.