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Droits LGBT (évolution des)

Marta Roca i Escoda


Première édition: December 2020

L’acronyme LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) désigne le terme actuellement utilisé pour faire référence aux minorités sexuelles et à l’évolution historique du mouvement homosexuel. En Suisse, ce mouvement est né dans la première moitié du XXe siècle. Cependant l’« homosexuel » comme question sociale apparaît dès le XIXe siècle, dans le cadre de la confection du Code pénal suisse. À ce moment-là, se construit une pathologisation qui perdurera pendant presque un siècle, en opposition à une pénalisation. C’est durant cette période que l’homosexualité sera la marque d’une « dégénérescence anatomique et psychique » qui appréhende l’homosexualité comme innée. Face au refus d’une pénalisation, les sciences construiront une différence qui permettra, plus tard, de légitimer une multitude de discriminations (p. ex. l’âge du consentement aux rapports sexuels).

Les premières formes organisées de personnes s’identifiant comme homophiles ou homosexuelles se constituent, en terres helvétiques, dans les années 1930, dans le contexte de la naissance et du développement du Kreis qui, comme d’autres mouvements homophiles européens, met en avant une définition positive de l’homosexualité. Durant ces années des actions juridiques et politiques ont lieu autour de la construction du Code pénal suisse de 1942, qui donne lieu à une dépénalisation partielle de l’homosexualité. Partielle en effet, dans la mesure où les actes consentants demeurent encadrés par un article sur l’outrage aux mœurs, qui permet aux polices cantonales d’opérer des surveillances et de mener à terme un travail de fichage des personnes homosexuelles, sous forme de registres jusqu’aux années 1980.

La fin des années 1960 verra émerger un mouvement homophile, se distanciant du premier modèle proposé par le Kreis, car il s’agira de promouvoir une visibilité des homosexuel·le·s dans la société avec la finalité d’y être intégrés. Durant la même période, une association nationale, l’Organisation suisse des homophiles (SOH), est constituée dans le but de fédérer les différents groupes homosexuels suisses. Regroupant en 1976 plus de 600 membres, la SOH vise une transformation radicale de la société.

La mouvance des années 1970 se caractérise par la création de groupes plus radicaux prônant la libération homosexuelle et refusant l’assimilationnisme prêché par les mouvements homophiles précédents. Ces groupes radicaux sont créés en Suisse alémanique (la HAZ à Zurich) et s’étendent ensuite en Romandie. Dans ce même contexte, en 1974, une organisation radicale nationale, la coordination homosexuelle suisse (CHOSE) voit le jour. Ces groupes vont mobiliser le droit pour dénoncer les discriminations à l’encontre de l’homosexualité. Dans ce cadre de lutte, le Groupe homosexuel de Genève (GHOG) fera un travail pionnier dans l’articulation du problème des discriminations.

Dans les années 1980, l’épidémie du VIH/sida marque un changement radical dans l’esprit du militantisme et dans la forme des structures des associations gays, celles-ci devant tout à coup gérer une épidémie aux conséquences mortelles. L’association genevoise Dialogai, créée en 1982, est exemplaire de ces transformations, puisqu’elle devient la première antenne cantonale de lutte contre le sida en Suisse. Suivent en 1983 l’Organisation suisse des enseignants et éducateurs homosexuels (OSEEH), en 1985 l’Aide suisse contre le sida (ASS). Durant ces années, plusieurs associations cantonales gays et lesbiennes seront créées, et deux associations faîtières verront le jour, Pink Cross (1993) et LOS (1989). Dans ce cadre nouveau, plusieurs victoires politiques sont remportées : même âge de consentement pour les relations homosexuelles et hétérosexuelles (1992), suppression des fichiers de police et des certificats de bonnes vies et mœurs (années 1980), reconnaissance des couples homosexuels (2005).

L’institutionnalisation des couples homosexuels, qui commence au niveau cantonal (Genève 2001, Zurich 2002 et Neuchâtel 2004), sera un processus long et controversé. La loi sur le partenariat ou LPart est entrée en vigueur en 2007, après avoir été approuvée en référendum en 2005. La loi amène une reconnaissance politique et juridique importante des couples homosexuels. Elle introduit notamment plusieurs principes stipulés dans le droit du mariage, comme le devoir d’assistance et de respect envers le partenaire et l’interdiction pour un des partenaires d’aliéner le logement commun sans le consentement de son partenaire. Le partenaire est l’héritier légal en cas de décès. Dès 2008, après un jugement du Tribunal fédéral, les personnes engagées depuis longtemps dans un partenariat enregistré peuvent bénéficier d’une rente de veuvage au même titre que les personnes mariées. Avec ces changements législatifs, le Parlement suisse estime contribuer à une meilleure acceptation des couples homosexuels par la société, mais ne met pas les couples hétérosexuels et homosexuels sur un pied d’égalité, puisque le mariage et la filiation continuent à être exclusivement hétérosexuels.

Quelques années plus tard, en 2016, grâce aux demandes des associations des familles homoparentales et du mouvement LGBT, les deux chambres et le Parlement approuvent une nouvelle loi qui permet à une personne liée par un partenariat enregistré d’adopter l’enfant de son partenaire (dans le cadre du nouveau droit de l’adoption entré en vigueur en janvier 2018). L’adoption crée une pleine parentalité juridique. En parallèle, en 2015, la Commission des affaires juridiques du Conseil national fait un pas vers l’ouverture du mariage aux couples homosexuels en donnant suite à une initiative parlementaire. Mais à ce jour, le futur est incertain car cette initiative législative devra être soumise au Parlement et sûrement au peuple suisse dans les années à venir.

Actuellement, l’égalité juridique entre couples homosexuels et couples hétérosexuels n’est pas garantie, elle n’est pas clairement inscrite dans le droit. Les discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne forment pas un motif de discrimination de l’article 8 de la Constitution suisse. Dès les années 1980, le mouvement homosexuel a revendiqué l’interdiction des discriminations à l’encontre des personnes homosexuelles. Une petite victoire a été emportée dans les années 1990, dans le cadre de la révision du Code pénal et de la Constitution, en interdisant les discriminations basées notamment sur le « mode de vie ». En 2013, une initiative parlementaire est déposée au Conseil national proposant de compléter le Code pénal, en élargissant la disposition existante luttant contre la discrimination raciale, à l’orientation sexuelle.

Si l’orientation sexuelle est une revendication importante du mouvement LGBT, l’identité de genre constitue un thème récent dans le champ social et politique, qui perçoit la transsexualité comme une pathologie et pas forcément comme une transidentité. Les personnes transgenres sont encore vues comme des individus nécessitant une intervention chirurgicale pour remettre en place l’identité de genre avec le « bon corps ». Le mouvement transgenre en Suisse lutte précisément contre cette vision, dans l’objectif de « dépathologiser » l’identité transgenre. Plusieurs actes et décisions récents présagent cette dépathologisation. Le 1er février 2012, l’Office fédéral de l’état civil a publié un avis de droit basé sur les recommandations du Conseil de l’Europe sur le fait que les stérilisations forcées seraient abandonnées lors d’une procédure de changement de sexe. De plus, une personne a désormais le droit de faire apparaître sur ses papiers son sexe social et non plus obligatoirement son sexe biologique. En outre, il est possible de demander un changement de nom sans changement de sexe.

Références

Delessert, T. & Voegtli, M. (2012). Homosexualités masculines en Suisse : de l’invisibilité aux mobilisations. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.

Roca i Escoda, M. (2010). La reconnaissance en chemin : l’institutionnalisation des couples homosexuels à Genève. Zurich : Seismo.

Ziegler, A.R., Montini, M. & Copur, E. (Hrsg.) (2015). LGBT-Recht der Schweiz : Eingetragene Partnerschaft, faktische Lebensgemeinschaft, Rechtsfragen zur sexuellen Orientierung und Geschlechteridentität (2., völlig überarb. und stark erg. Aufl.). Basel : Helbing Lichtenhahn.

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