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Politique de la reproduction

Isabelle Engeli


Première édition: December 2020

La politique de la reproduction comprend une série d’enjeux relatifs au contrôle des naissances et à la contraception, à l’avortement et plus récemment aux nouvelles technologies de reproduction communément appelées procréation médicalement assistée (PMA) et à la gestation pour autrui (GPA). Si la contraception et l’avortement, aussi appelés interruption de grossesse (IG) pour sa forme sanctionnée par la loi, s’attachent au contrôle des naissances, la PMA et la GPA portent, quant à elles, sur la stimulation de la reproduction. C’est l’invention de la fécondation in vitro en 1978 qui, en permettant la fécondation d’un ovule en dehors du corps de la femme, a marqué le début d’un fertile développement en matière de PMA. Les avancées technologiques se sont rapidement enchaînées pour permettre notamment la congélation des ovules et des embryons ainsi que le diagnostic préimplantatoire qui permet d’examiner génétiquement les embryons avant leur implantation, afin de ne sélectionner que ceux qui ne seraient pas, par exemple, porteurs d’une prédisposition génétique à une maladie grave. Avec le développement de la PMA est apparue la pratique sociale de la GPA où une femme tierce assure la gestation pour autrui. Cette gestation est dite altruiste lorsqu’elle ne comprend pas de rémunération financière.

Alors que la contraception n’est que peu régulée en Suisse, l’IG et la PMA sont eux fortement encadrés légalement. L’accès à l’IG est réglé par le modèle dit du régime du délai depuis 2002. Les articles 118 et 119 du Code pénal différencient l’IG non punissable sur requête de la femme qui doit invoquer un état de détresse durant les 12 premières semaines suivant ses dernières menstruations, l’IG non punissable pour indication médicale grave relative à la préservation de l’intégrité physique et psychique de la femme à partir de la 13e semaine sur avis médical uniquement, et l’IG punissable qui comprend toutes autres circonstances. Ce dernier cas de figure est lourdement sanctionné pour la personne ayant pratiqué l’IG et la femme qui a consenti à l’IG illégale. En cas d’IG non punissable, le corps médical doit recueillir le consentement écrit de la femme, informer cette dernière des risques médicaux de l’intervention et des possibilités d’adoption ainsi que lui remettre un dossier comprenant les listes des centres de consultation et des associations susceptibles d’apporter une aide morale ou matérielle.

L’accès à la PMA est sévèrement restreint en Suisse par l’article 119 de la Constitution fédérale sur la procréation médicalement assistée et le génie génétique dans le domaine humain et la loi sur la procréation médicalement assistée entrée en vigueur en janvier 2001 (LPMA). Ce cadre légal pose de strictes conditions de recours à la PMA pour raisons médicales uniquement et interdit la congélation des embryons, le don d’embryon ou d’ovule et jusqu’à récemment le développement de plus de trois embryons in vitro et le diagnostic préimplantatoire. Les couples de même sexe et les femmes célibataires sont interdits d’accès à la PMA tandis que seuls les couples mariés peuvent accéder aux techniques nécessitant un don de sperme. Quant à la gestation pour autrui, elle a été interdite sous toutes ses formes dès 1992.

La politique suisse de la reproduction est relativement restrictive en comparaison européenne. L’accès à l’IG durant les premières semaines de grossesse n’est pas un droit inconditionnel en Suisse, mais une exception à sa pénalisation et ceci uniquement à condition que la femme fasse valoir un état de détresse, condition qui a été abolie dans la plupart des pays européens. Le délai de 12 semaines est également un des plus courts d’Europe. La régulation de la PMA et de la GPA se distingue également par son caractère restrictif. La majorité des pays européens autorise la congélation des embryons in vitro et le don d’ovule ; un nombre croissant de pays ont ouvert l’accès à la PMA aux couples de même sexe et permettent certaines formes non commerciales de GPA. La politique suisse en matière de reproduction ne figure pas non plus parmi les plus libérales d’Europe en matière de financement public. La contraception n’est pas remboursée par l’assurance de base, l’IG n’est, elle, remboursée que depuis 1982 et uniquement après déduction de la quote-part et de la franchise alors que d’autres pays européens garantissent un accès 100 % gratuit. Une IG se situant entre 400 et 3 500 francs, la quote-part de 10 % n’est pas négligeable pour les femmes, et plus particulièrement pour celles dotées de faibles ressources économiques. Quant à la PMA, elle n’est que partiellement couverte par l’assurance-maladie et reste en grande partie du ressort financier des couples, ce qui accentue les inégalités socioéconomiques face à la reproduction, le seul coût d’un cycle de fécondation in vitro étant estimé à 6 000 francs.

L’IG et la PMA ont connu un débat public particulièrement vif en Suisse. La question de la libéralisation de l’IG a occupé la scène fédérale dès le début des années 1970 par l’entremise d’une initiative visant à la décriminalisation de l’avortement déposée par Anne-Marie Rey et les futur·e·s membres fondateur·trice·s de l’Union suisse pour décriminaliser l’avortement. De multiples solutions, allant de l’interdiction totale à la délégation fédéraliste aux cantons ou à l’entière décriminalisation, ont été soumises pas moins de cinq fois à la décision populaire jusqu’à l’acceptation du régime du délai le 2 juin 2002 par 72,2 % de oui et le rejet à 81,7 % de l’initiative concurrente « pour la mère et l’enfant » qui visait à son interdiction. Le régime du délai représente en Suisse un compromis politique obtenu de haute lutte au bout de plus de 30 ans de tergiversations entre les partis laïcs et le mouvement en faveur de la décriminalisation, le Parti démocrate-chrétien qui favorisait un accès plus restrictif centré sur l’obligation de la consultation et les mobilisations évangélique et pro-vie qui militaient en faveur de la protection de l’embryon.

La PMA est arrivée plus tardivement en Suisse mais n’en a pas moins suscité controverse. La première initiative lancée par Der Schweizerische Beobachter en 1985 et soutenue par l’organisation Feministischer Frauen gegen Gen- und Reproduktionstechnologie a cadré le débat politique de manière instrumentale sur la protection contre les abus en matière de PMA et les risques de futures pratiques eugénistes. Le peuple suisse a approuvé à une large majorité en 1992 un contre-projet à l’initiative qui reprenait le principe de la protection de l’être humain et de son milieu naturel contre l’utilisation abusive des techniques de procréation et de génie génétique. Malgré les demandes du corps médical en faveur d’un assouplissement, la loi sur la PMA de 2001 suivra largement la ligne restrictive de l’article constitutionnel et rajoutera des contraintes et interdictions supplémentaires.

La politique de la reproduction est récemment réapparue sur la scène fédérale par le biais de deux votations populaires. L’initiative populaire « Financer l’avortement est une affaire privée » avait été lancée en 2010 par un comité interpartis et soutenue par l’Union démocratique du centre et le mouvement pro-vie avec pour objectif de radier l’IG de la liste des actes médicaux couverts par l’assurance de base sous réserve de rares exceptions. Constituant une remise indirecte de la libéralisation de l’accès à l’avortement, elle a été rejetée par une large majorité de votant·e·s en janvier 2014. Du côté de la PMA, alors que la réouverture du débat sur la GPA ne semble pas être à l’ordre du jour, le peuple suisse a voté en juin 2016 en faveur d’un assouplissement de l’interdiction du diagnostic préimplantatoire qui pourra désormais être pratiqué sous condition d’existence d’un risque sérieux de prédisposition héréditaire à une maladie grave qui se déclarerait avant l’âge de 50 ans et pour laquelle il n’existe aucune thérapie efficace et appropriée.

Références

Engeli, I. (2010). Les politiques de la reproduction : les politiques d’avortement et de procréation médicalement assistée en France et en Suisse. Paris : L’Harmattan.

Rey, A.-M. (2007). Die Erzengelmacherin : Das 30-jährige Ringen um die Fristenregelung. Zürich : Xanthippe Verlag.

Rothmayr, C. (2006). Explaining restrictive ART policies in Switzerland and Germany : similar processes – similar results ? German Policy Studies, 3(4), 595-647.

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