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Sexualité(s)

Marta Roca i Escoda


Première édition: December 2020

La sexualité est un vaste domaine constitué de normes, de valeurs ainsi que de lois qui historiquement définissent une morale sexuelle. Cette morale est encadrée par des agents dont le pouvoir de contrôle et de définition quant à la « bonne sexualité » varie au cours de l’histoire et prend différents sens selon les contextes : les instances religieuses, le corps médical, les politiques économiques ou culturelles. La sexualité est également une question identitaire. Ce champ de l’intime embrasse l’identité de genre, l’orientation sexuelle, les différences corporelles, les capacités reproductives, les besoins, les désirs, les fantasmes, les pratiques sexuelles et érotiques. Mais la sexualité subit un contrôle par l’État à travers le droit qui fixe la limite du normal et du pathologique, comme le sens normatif du mariage, de la reproduction ou de la majorité sexuelle. Ce va-et-vient entre l’intime et le social forme, selon le sociologue Jeffrey Weeks, la boîte noire de la sexualité.

Concernant les droits sexués, en Suisse comme ailleurs, l’on verra inscrites dans le Code pénal et civil ainsi que dans la Constitution des lois encadrant la sexualité et les sexualités. Au cours du XXe siècle, tant la médecine que le droit ce sont affairés à réguler le domaine de la sexualité, allant de l’eugénisme promu par le sexologue Auguste Forel, en promulguant des lois qui interdisent la reproduction à certaines catégories de la population, aux débats interminables autour des droits reproductifs. Citons à ce titre les trente ans du processus législatif de l’avortement avec l’entrée en vigueur du modèle du régime du délai en 2002. Plus récemment la libéralisation de l’accès à l’avortement a été remise en question avec l’initiative populaire « Financer l’avortement est une affaire privée », lancée en 2010, rejetée par une majorité du souverain en janvier 2014. Du côté de la Procréation médicalement assistée (PMA), le peuple suisse a voté en juin 2016 en faveur d’un assouplissement de l’interdiction du diagnostic préimplantatoire qui pourra désormais être pratiqué sous condition d’existence d’un risque sérieux de prédisposition héréditaire à une maladie grave qui se déclarerait avant l’âge de 50 ans et pour laquelle il n’existe aucune thérapie efficace et appropriée. Ce débat toujours d’actualité croise de nos jours trois phénomènes : le développement des nouvelles technologies utilisées dans les processus de reproduction humaine ; leur encadrement juridique et normatif ; l’ouverture des droits aux minorités sexuelles.

Dès les années 1950 avec les études de Kinsey, en passant par les réflexions de Foucault, la sexualité contemporaine a été un sujet de conceptualisations, un terrain de revendications portées par les mouvements féministes et LGBT ; mais aussi un terrain de contre-mobilisations, comme c’est le cas des mouvements pro-vie ou anti-mariage homosexuels. Ces contre-mobilisations ont fait l’objet d’initiatives populaires récentes, sous forme de comités référendaires tant au niveau fédéral que cantonal.

A côté des mobilisations et contre-mobilisations, le domaine de la sexualité s’est vu affecté d’une suite d’événements ; citons notamment l’épidémie du sida. Cette crise sanitaire révélera des enjeux sociaux et politiques liés à la sexualité. On parlera des droits humains sexuels, on assistera à une visibilisation des pratiques et des sexualités minoritaires. En Suisse, à la fin des années 1980, une nouvelle santé publique va se profiler pour faire face à cette épidémie. Il faudra nommer et montrer des actes sexuels dans une pédagogie préventive. La solidarité et la lutte contre les exclusions sociales seront les piliers de la politique de prévention. De ce fait, deux des populations les plus affectées par l’épidémie, les homosexuels et les prostituées, seront appréhendées dans une logique de reconnaissance et donc d’intégration des droits sexuels dans l’espace politique. La question homosexuelle et la prostitution montrent comment dans le domaine de la sexualité il y a bel et bien des basculements de qualification importants allant d’une question de la morale à une question de droits.

Le Code pénal suisse de 1942 dépénalise les relations homosexuelles entre adultes consentants. Cependant, la loi condamne encore toujours les actes commis par un majeur sur un mineur, les abus de détresse et la prostitution. Cette dépénalisation se caractérisera par une pathologisation de l’homosexualité, car les homosexuels sont considérés comme des malades mentaux jusqu’aux années 1990. Les pathologies sexuelles changent au cours de l’histoire et selon les institutions. Dans la classification internationale des maladies de l’OMS (CIM), le transsexualisme fait toujours partie de la liste des maladies mentales, au titre des « troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte ». Par contraste, la récente mouture du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), la « bible » américaine adoptée par les médecins-psychiatres du monde entier, ne considère plus le transsexualisme comme un trouble.

Dans le même registre, on peut penser à la lutte historique des féministes dénonçant les violences envers les femmes, où la question du viol a été centrale. Tant la pédophilie que le viol, par exemple, sont des phénomènes dont la une qualification morale basculera du tabou social et de l’impensable juridique à la condamnation pour immoralité. Concernant les violences envers les femmes, ce qui était à une époque perçu comme un devoir conjugal sera inscrit dans le Code pénal, en 1992 comme viol conjugal, en tant qu’infraction contre l’intégrité sexuelle ; et par la suite, en 2004, poursuivi d’office. Cette inscription pénale n’a pas été exempte de débats entre expert·e·s et parlementaires. La question des agressions sexuelles faites aux mineur·e·s et par corollaire la majorité sexuelle (qui en Suisse est fixée à 16 ans) a aussi été l’objet de débats politiques et législatifs en Suisse, dès les travaux autour du Code pénal de 1942.

Toutefois, la logique des droits sexuels propulsée par les organismes internationaux a été adoptée par la Confédération dès les années 2000. De ce fait, la santé publique suisse travaille sur la mise en place d’une perspective de santé sexuelle. Dans cette démarche, la Commission fédérale pour les questions de sida s’est transformée en 2012 en Commission fédérale pour la santé sexuelle.

Citons également les controverses historiques au sein du féminisme quant à la prostitution ou la pornographie. La prostitution féminine a toujours été admise dans le droit suisse comme relevant du libre arbitre des femmes s’y livrant, mais réglementée au cas par cas par les cantons. Dans cet esprit libéral, en droit suisse, seuls certains aspects de la pornographie sont réprimés. Mais depuis le 1er juillet 2014, consommer de la pornographie dure est punissable de 1 à 3 ans de prison, selon la nouvelle réglementation entrée en vigueur. Et l’âge de protection des enfants passe de 16 à 18 ans.

Enfin, ce vaste domaine de la sexualité et sa dimension sociohistorique doivent aussi être pensés comme lieu de conflits, de controverse de luttes morales et politiques. Quelle est la bonne sexualité ? Quelle est la bonne attitude sexuelle ? Quelle est l’identité sexuelle normée ?

Références

Giami, A. & Spencer, B. (2004). Les objets techniques de la sexualité et l’organisation des rapports de genre dans l’activité sexuelle : contraceptifs oraux, préservatifs et traitement des troubles sexuels. Revue d’épidémiologie et de santé publique, 52(4), 377-387.

Mottier, V. (2012). État et contrôle de la sexualité reproductive : l’exemple des politiques eugénistes dans les démocraties libérales (Suisse, Suède et Royaume-Uni). Politique et sociétés, 31(2), 31-50.

Weeks, J. (2014). Sexualité. Lyon : Presses universitaires de Lyon.

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