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Sécurité sociale (propositions d’alternatives)

Olivier Grand


Première édition: December 2020

Il existe de nombreuses propositions d’alternatives à la sécurité sociale telle qu’elle est envisagée aujourd’hui. Elles sont souvent conçues, théorisées ou soutenues par des personnalités issues de milieux politiques ou scientifiques, à l’image de l’écrivain et philosophe André Gorz qui a consacré de nombreux travaux à cette thématique dont l’ouvrage intitulé Métamorphoses du travail (1988). À travers le monde, diverses formations politiques – allant de l’extrême gauche aux libertariens, en passant par les sociaux-démocrates et les verts – ou des organes de la société civile, tels que des ONG, syndicats, think tank nationaux ou transnationaux, peuvent également être à l’origine de l’une ou l’autre de ces contributions ou en débattre. Parmi les propositions énumérées ici, motivées en totalité ou en partie par les déficits d’adaptation des structures existantes de la protection sociale aux mutations socioéconomiques, certaines vont dans le sens de l’instauration d’un revenu garanti alors que d’autres recommandent le partage du travail rémunéré. Plutôt que la réforme du système de sécurité sociale, c’est donc l’adoption d’un système alternatif qui est mise en avant.

L’alternative la plus connue et probablement la plus controversée est celle du revenu garanti. Elle fait l’objet de différentes déclinaisons : allocation universelle, dividende universel, revenu de base inconditionnel (RBI) ou imposition négative. L’allocation universelle consiste à assurer à tout individu, indépendamment de son statut ou de son état, dès sa naissance et jusqu’à sa mort, un revenu suffisant pour couvrir ses besoins et lui permettre de participer à la vie sociale. La paternité de cette notion peut être attribuée à l’humaniste Thomas More au début du XVIe siècle. Elle a été reprise au XVIIIe siècle et aux débuts de l’industrialisation, puis a régulièrement été remise au goût du jour sous des formes diverses et en réponse à des contextes particuliers. Par exemple, Philippe Van Parijs, économiste et philosophe belge, soutient dans un article de 1986 un déplacement de la division marxiste classique entre propriétaires des moyens de production et travailleurs, vers une division entre celles et ceux qui disposent d’un travail salarié et celles et ceux qui en sont privés. De là, il défend l’idée de l’octroi d’une allocation universelle (universal grant) ou d’un revenu de base (basic income) qui doit permettre de neutraliser ces inégalités face à l’emploi. Ce modèle a fait l’objet de diverses expérimentations à travers le monde, à l’exemple de la Finlande qui a initié début 2017 un tel programme pilote s’adressant à un échantillon de personnes sans emploi. À noter que le peuple suisse a refusé en juin 2016 une initiative fédérale visant à instaurer un régime similaire, initiative lancée à l’origine par un groupe bâlois et à laquelle s’est ensuite jointe l’association Basic Income Earth Network (BIEN) Suisse. Une autre déclinaison du revenu garanti, distincte du RBI par son caractère non universel, est l’imposition ou fiscalité négative prônée par l’économiste libéral Milton Friedman. Ce dernier, visant à venir en aide aux personnes économiquement faibles, imagina dans Capitalisme et liberté au début des années 1960 ce mécanisme d’imposition conditionné aux ressources matérielles.

Une autre piste de réflexion a été suggérée par l’essayiste américain Jeremy Rifkin. Dans son ouvrage La fin du travail (1996), dont le titre se réfère au postulat qu’il soutient concernant la raréfaction de l’emploi, il évoque son possible partage par la réduction de l’horaire hebdomadaire. Toutefois, il pousse plus loin son analyse : si les individus ne trouvent pas un travail rémunéré, ils doivent assumer une autre fonction au sein de la société. Ainsi, il encourage le développement du tiers secteur, lequel devrait être soutenu par l’État et offrir aux individus non insérés dans l’emploi une alternative, par la valorisation de leur engagement dans des activités associatives d’intérêt général. Ainsi, les individus actifs hors de l’économie classique devraient bénéficier d’un salaire social.

Dans l’esprit de cette orientation visant à réduire le temps de travail, il est possible de mentionner aussi la proposition de Congé sabbatique inconditionnel (CSI) émanant du réseau de réflexion suisse Denknetz. L’idée consiste à offrir la possibilité à toute personne, entre le début de sa carrière professionnelle et son départ à la retraite, de prendre des congés payés ou, si elle privilégie cette option, d’anticiper son départ à la retraite. Le droit à ce congé sabbatique est inconditionnel et vise à permettre de nouer un autre rapport au travail en pouvant être dédié à toutes formes d’activité (formation, développement personnel, loisirs, etc.). Partant du constat que le système helvétique de protection sociale est très fragmenté et que des doublons entre les divers dispositifs de ce système pourraient être évités, tout en souhaitant répondre aux difficultés liées à l’augmentation des inégalités face à l’emploi, ce même réseau de réflexion a développé le concept d’une assurance générale du revenu (AGR). L’objectif d’une telle assurance, qui viendrait se substituer aux principales assurances sociales et à l’aide sociale, consisterait à garantir un revenu suffisant à tout individu, lui permettant de subvenir à ses besoins tout en ayant accès à la participation sociale, pour pallier la perte d’un emploi ou une incapacité de travail. Les bénéficiaires de l’AGR aptes à travailler seraient tenu·e·s de réintégrer le marché de l’emploi, mais les conditions prévues par les auteurs de ce projet seraient plus favorables que dans le régime en vigueur dans les assurances sociales existantes.

Chacune de ces propositions, si elle venait à être mise en œuvre, se substituerait partiellement aux régimes actuels de la sécurité sociale. En conséquence, les modalités de financement et par là les règles de redistribution des richesses devraient être réformées et de nouveaux critères d’éligibilité définis. Toutes ces contributions sont motivées par la recherche de réponses aux difficultés auxquelles fait face notre société dans son rapport au travail salarié, elles impliquent une remise en cause des conceptions traditionnelles de la sécurité sociale en vue d’une plus grande justice distributive.

Références

Gurny, R. & Ringger, B. (2009). Die grosse Reform : Die Schaffung einer Allgemeinen Erwerbsversicherung AEV. Zürich : Edition 8.

Rifkin, J. (1996). La fin du travail. Paris : La Découverte.

Van Parijs, P. (1986). A revolution in class theory. Politics and Society, 15, 453-482.

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