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Entreprise sociale

Stefan Adam, Bernadette Wüthrich

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

En Suisse, les organisations actives dans le domaine de l’intégration professionnelle et/ou sociale sont nommées des « entreprises sociales ». Jusqu’à présent, il n’existe pas de définition homogène du concept et du modèle ni dans la pratique, ni dans la politique ou la recherche. En règle générale, les entreprises sociales ou « entreprises d’intégration sociale et professionnelle » se caractérisent par leur caractère hybride dans la mesure où elles offrent, le plus souvent sur mandat des institutions d’assurances sociales, des emplois aux personnes défavorisées sur le marché du travail, les intègrent dans les processus de production et génèrent des revenus sur le marché en vendant des produits ou des services.

L’Italie est considérée comme le pays d’origine des entreprises sociales. Les premières d’entre elles y ont été créées dans les années 1970 en réponse à la fermeture des cliniques psychiatriques. En tant que mouvement social partant de la base, les personnes concernées se sont organisées en coopératives pour créer des emplois. Les conditions-cadres de ces coopératives sont réglementées par la loi depuis 1991. La forme originelle de l’entreprise sociale est donc étroitement liée à la logique de l’empowerment : concentration sur les potentiels – et non sur les déficits – des personnes défavorisées sur le marché du travail.

Les entreprises sociales suisses se distinguent à certains égards des modèles comparables à l’échelle internationale. Dans notre pays, par exemple, les employé·e·s défavorisé·e·s touchent plus rarement un salaire correspondant à ceux en usage dans la branche et leurs possibilités de participation sont moins étendues. L’importance des fonds publics dans le financement est plus marquée pour les entreprises sociales suisses, les rentrées d’argent sous forme de dons étant proportionnellement moins importantes. Une différence frappante est que les entreprises sociales suisses ne possèdent pas de forme juridique spécifique, comme c’est le cas en Italie, par exemple.

Sur le plan politique et médiatique, le terme « entreprises sociales » a gagné en popularité en Suisse à partir de 2000 environ. Il a été utilisé pour mettre l’accent, positivement ou négativement, sur les approches entrepreneuriales dans l’intégration sociale et professionnelle. Parfois, le terme a été étendu à d’autres organisations de l’action sociale. Dans le contexte scientifique, le terme est proche du concept de (work integration) social enterprise et, plus généralement, de social entrepreneurship. Dans les projets de recherche récents, le terme plus neutre d’« entreprises d’intégration sociale et professionnelle » (EISP) a été introduit.

Le développement des entreprises sociales doit être considéré dans sa relation étroite avec le système de protection sociale suisse. Avec la création de l’assurance-invalidité en 1960, des mécanismes de financement ont été introduits pour la première fois pour aménager des « ateliers (protégés) » qui offraient des possibilités d’emploi pour les personnes en situation de handicap. Face à l’augmentation du chômage dans les années 1990, la réforme de l’assurance-chômage a conduit à la mise en place de « programmes d’emploi temporaire » pour les chômeurs et les chômeuses. La révision de l’aide sociale en termes de politique d’activation à partir de 2000 a également conduit à une demande d’offres d’intégration et d’emploi. L’éventail des organisations qui offrent des emplois et un soutien dans le cadre de l’intégration sur le marché du travail est donc très large aujourd’hui.

Le premier état des lieux national mené en 2015 a permis d’établir une vue d’ensemble de ces organisations. Au total, il existe en Suisse 1 159 organisations qui offrent des services liés à l’intégration professionnelle ou sociale. Aujourd’hui, la Suisse compte environ 400 entreprises sociales qui proposent des emplois productifs pour des groupes cibles défavorisés et génèrent des revenus sur le marché en vendant des produits et des services. Elles ont le plus souvent une forme juridique à but non lucratif (fondation, association), seules environ 6 % d’entre elles sont organisées sous forme de société anonyme ou de société à responsabilité limitée. La majorité des entreprises sociales ont été créées depuis les années 1990 (60 %). Les secteurs économiques dans lesquels elles sont actives sont divers et vont des activités agricoles aux activités administratives. Les activités dans l’industrie, la restauration et la vente sont particulièrement répandues. En tant que sous-traitantes d’entreprises industrielles régionales, les entreprises sociales contribuent souvent à ce que des activités « improductives » puissent se maintenir en Suisse. 27 % des entreprises sociales proposent des emplois pour un groupe cible et 73 % s’adressent à plusieurs groupes cibles. Plus de 30 % des entreprises sociales versent une forme de salaire aux personnes concernées (p. ex. lié à la productivité), près de 40 % une forme de complément aux prestations versées par les assurances sociales alors qu’un peu plus de 30 % ne paient pas de salaire. Au total, les entreprises sociales emploient environ 43 000 personnes défavorisées et 10 000 salarié·e·s permanent·e·s. Leurs produits et services génèrent un chiffre d’affaires de 630 millions de francs.

Cependant, cette situation est régulièrement critiquée : les entreprises sociales bénéficieraient d’un « équipement luxueux » financé par des fonds publics, et ces fonds publics seraient privatisés par le biais de distributions de bénéfices. L’étude sur les entreprises sociales suisses montre cependant qu’elles ne réalisent pas de profits aux dépens de la collectivité. En raison de leur forme juridique, des règlements cantonaux, du but de l’organisation ou de leurs statuts, elles ne peuvent pas distribuer de bénéfices mais doivent expressément les conserver au sein de l’organisation. De même, les entreprises sociales ne se financent pas exclusivement par des contributions publiques : en moyenne, les recettes commerciales représentent la moitié des revenus d’une entreprise sociale.

D’un point de vue de politique sociale, les entreprises sociales soulèvent la question fondamentale de la position et de l’organisation d’un « second marché du travail » ou d’autres possibilités de traiter les groupes de population menacés d’exclusion. La participation volontaire, les modèles salariaux, la concurrence pour l’industrie, les questions du déplacement des emplois, les effets de lock-in et la précarisation des situations de vie font l’objet d’un débat politique particulièrement controversé. Toutefois, les aspects problématisés sont davantage liés au cadre des assurances sociales qu’à la structure des entreprises sociales (p. ex. la possibilité limitée de verser des salaires réguliers ou l’obligation de participer à une mesure du marché du travail pour les chômeur·euse·s). Des objectifs contradictoires en matière de concurrence et d’effets de lock-in peuvent survenir, en particulier lorsque des activités proches du marché sont proposées dans le but d’offrir aux personnes défavorisées des tâches réalistes tout en réduisant les coûts pour le secteur public grâce à des recettes commerciales. L’étude empirique des entreprises sociales montre que ces conflits sont généralement désamorcés par un bon ancrage local. Dans l’ensemble, en combinant un travail productif et un accompagnement social visant l’insertion, les entreprises sociales sont en mesure de produire des effets très positifs pour les personnes concernées, effets qui permettent des améliorations psychosociales ou mêmes matérielles au-delà de l’intégration sur le marché du travail. D’un point de vue entrepreneurial et socio-administratif, un certain nombre de défis restent à relever. La coopération entre les pouvoirs publics (qui mandatent) et les entreprises sociales doit évoluer, éventuellement pour uniformiser, à l’échelle des régions et des assurances sociales, les mécanismes de pilotage afin d’obtenir un équilibre optimal entre le mandat d’intégration et la marge de manœuvre entrepreneuriale (gestion des excédents, gestion de la concurrence, promotion de l’innovation). Il conviendrait également d’optimiser les rapports d’activité afin de permettre une évaluation efficace de l’impact économique et social et de refléter de manière adéquate les multiples avantages des entreprises sociales.

Références

Adam, S., Amstutz, J., Avilés, G., Caimi, M., Crivelli, L., Ferrari, D., … Zöbeli, D. (2015). Social enterprise in Switzerland : the field of work integration. ICSEM Working Papers, 19, online. http://www.iap-socent.be/icsem-working-papers

Adam, S., Avilés, G. & Schmitz, D. (2016). Facteurs de succès des entreprises d’intégration. Sécurité sociale CHSS, 3, 44-48.

Crivelli, L., Bracci, A. & Avilés, G. (2012). Il modello d’impresa sociale “made in Switzerland” : Risultati di un’indagine esplorativa condotta su piano nazionale. Manno : Scuola universitaria professionale della Svizzera italiana SUPSI.

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